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Le futur du structurel et du fonctionnel

Créé le : mardi 20 septembre 2016 par Alain Abeshsera, Jean Louis Boutin

Dernière modificaton le : lundi 6 novembre 2023

Étude sur les Principes de l’Ostéopathie
Le futur du structurel et du fonctionnel

Alain Abehsera


La tradition nous a laissé avec deux grandes familles de techniques ostéopathiques : le structurel et le fonctionnel. Le choix des noms est intéressant : il reprend les deux termes du principe le plus connu de notre profession ‘structure gouverne fonction’ et de son symétrique, ‘fonction gouverne symétrique’ (voir Alain Abehsera - Étude sur les Principes de l’Ostéopathie : encourager l’art de la réciproque).
Cette coupure pose plusieurs questions : historiques, philosophiques, physiologiques et tout simplement… techniques. Dans les écoles, dans la profession, ces étiquettes fusent sans qu’on sache trop, parfois, à quoi elles se réfèrent. Dans cet article, en partant d’une analyse du fonctionnel, l’auteur espère dégager les principes qui peuvent régir ces deux approches.
Pour en venir à cette conclusion : le nouvel ostéopathe, celui du futur que nous souhaitons, sera aussi ‘bon’ en structurel qu’en fonctionnel. Un tel praticien n’aura pas les mêmes limites cliniques que celles que connaissent actuellement les spécialistes de l’une ou l’autre branche de l’ostéopathie. Loin de posséder cet équilibre lui-même, l’auteur retrace à travers sa biographie, ses expériences, ses réflexions le pourquoi d’une telle affirmation. Un texte dédié aux étudiants en ostéopathie, et aux ostéopathes qui se sentent encore étudiants ou qui auront plaisir à retrouver quelques unes des expériences de leur scolarité…


 Du commencement...


J’utiliserai, pour commencer, quelques souvenirs de mon ‘enfance’ ostéopathique, c’est-à-dire les années 1971-1974. Les ‘structurels’, ou craqueurs, étaient, de loin, majoritaires. Quand je dis de loin, il faut mettre les bonnes proportions. Il y avait quelques dizaines d’ostéopathes en France, et quelques centaines de ‘kinési-ostéopathes’ à en avoir entendu parler ou à pratiquer quelques manips. En Angleterre, où j’avais fait mes études, l’école de référence était - et continue de l’être - essentiellement ‘structurelle’ comme la quasi-totalité des praticiens. Le fonctionnel était enseigné en post-gradué, réservé aux ‘adultes’. Le crânien ? Il fallait montrer patte blanche pour l’apprendre dans des séminaires ultra-sélectifs se déroulant aux USA. 

L’ostéopathie, c’était d’abord et avant tout les dites Lois de Fryette (1).

Note 1
Il s’agit, en réalité, de lois proposées par le chirurgien Robert W. Lovett (1859-1924) co-auteur avec E. Bradford, du Treatise on Orthopaedic Surgery, considéré comme le texte de référence de la chirurgie orthopédique de son temps, lois reprises et ‘ostéopathisées’ par Fryette.
Voir également : Robert W. Lovette, M.D., of Boston. From the Anatomical Laboratory, Harvard Medical School - A Contribution to The Study of the Mechanics of the Spine - Reprinted from The American Journal of Anatomy, Vol. II, No 4, pages 457-469, October 1, 1903 où sont décrites pour le première fois ce que les ostéopathes appelleront Les lois de Fryette.

Et les artisans, les grands, étaient ceux qui sentaient les lésions du premier ou second degré – on parlait même de troisième degré - et savaient les manipuler, rappelant un peu la hiérarchie des ceintures dans les arts martiaux. La question de l’objectivité de ce que nous faisions ne se posait même pas. Les maîtres étaient comme des Compagnons du Tour, qui sentaient une ‘chose’ qu’on appelle la lésion, qui savaient distinguer les plus importantes des plus accessoires, et parmi elles, la lésion primaire. Une fois trouvée, une fois calculée selon ses paramètres complexes, ils savaient corriger ou ajuster la ‘chose’ en question. Le structurel, c’était du logique, du béton comme on dit en argot. Les médecins, à part quelques rares orthopédistes, ne marchaient pas sur cette plate-bande et tout le terrain était libre (2).

Note 2
Hormis la ‘concurrence énervante’ exercée par les chiropracteurs dont nous essayions désespérément de nous distinguer sans toujours trop savoir comment expliquer.

L’ostéopathie, définie comme l’ajustement de ‘structures’ déplacées était – potentiellement – une science exacte. Personne ne doutait, dans nos rangs, qu’elle était le remède souverain pour le lombago ou la sciatique. Combien de fois, jeunes étudiants, nous avons été fascinés par tel ou tel professeur qui, devant un patient boitant de douleur, savait trouver la vertèbre à manipuler parmi toutes les structures tordues ! Qui aurait pu penser qu’une sciatique pouvait disparaître après un thrust sur C2 ? Et chez un autre, C4, ou encore D3 ? De la vraie magie mais aussi du rationnel, car on nous disait que ces torsions très à distance du bas du dos étaient la véritable cause de la sciatique. Cela venait en place de la dangereuse injection de cortisone, qui était, nous disait-on, le plus souvent inefficace et tout au plus, poussière sous le tapis. Il y avait un bémol dans toute cette gloire : pour ce qui n’était pas douleurs, l’ostéopathie structurelle semblait un peu… légère. Dans les textes anciens, on lisait bien que Still ou Littlejohn traitaient toutes sortes de maladies, du diabète au cancer. Comme personne ne savait reproduire ce qu’ils faisaient, c’étaient nos légendes… Certes, on avait appris à traiter une pneumonie avec l’ostéopathie structurelle, mais je ne connaissais personne qui avait réellement osé prendre en charge, sans antibiothérapie, de tels cas.

Exagérer la lésion

Rollin E. Becker (1910-1996)

Pendant cette éducation classique, certains d’entre nous entendirent parler, à travers des articles surtout, de l’existence d’une ostéopathie fonctionnelle. La première caractéristique était, chose révolutionnaire, qu’à l’inverse du structurel qui va ‘contre’, le fonctionnel va ‘avec’ la lésion. Il, disait-on, exagère la lésion. On ne soulignera jamais assez l’importance de cette inversion.

Lawrence H. Jones

Elle mérite qu’on en discute et qu’on apprenne à la pratiquer, car ce n’est peut-être plus le cas. Le fonctionnel, c’était aussi un fourre-tout où l’on pouvait mettre toutes les techniques qui ne ressemblaient pas au structurel, où l’on ne faisait pas craquer, parce qu’on ne pouvait pas faire craquer : crâne, viscères, vaisseaux etc. Ce n’était pas un rangement intelligent, mais un rangement par exclusion. Il faudra faire un jour l’historique de toutes ces techniques : crâniosacré, technique fonctionnelle de Hoover, myotensive de Mitchell, approche de Lawrence H. Jones, de R. Becker. Ce sont des techniques parfois très différentes, mais on a convenu de les mettre dans la boîte fonctionnelle. Elles représentaient un vent d’espoir pour tous ceux, parmi nous, qui se sentaient condamnés, avec le structurel, à traiter des lombagos et des sciatiques pour le restant de leur existence. Le fonctionnel, c’était l’ouverture au crâne, et donc au cerveau, aux viscères, et donc à tout un tas de maladies pour lesquelles le structurel semblait peu adapté, même si nos légendes affirmaient le contraire, ou si on entendait dire, que là-bas, au fin fond de la France ou des USA, existait tel ou tel praticien qui manipulait pour telle ou telle maladie. En dehors des problèmes de douleurs de l’appareil locomoteur, le structurel, c’était donc surtout des légendes et des rumeurs.

Homo sapiens osteopathicus manipulensis

Trente ou quarante années ont passé. En France, les ostéopathes se comptent par milliers. Qu’en est-il de l’ancienne distinction ? J’aimerai qu’un étudiant en ostéopathie choisisse ce sujet pour mémoire de fin d’études : la proportion actuelle d’ostéopathes pratiquant de manière exclusive l’une ou l’autre forme de manipulations, ou les deux. Mon sentiment, sans avoir les chiffres, est que le structurel est sur le déclin voire en voie de disparition au profit des techniques dites fonctionnelles ou énergétiques. Je le vois dans les rencontres professionnelles ou dans les sujets des mémoires de fin d’étude. Je me trompe, peut-être, mais je crois que l’homo osteopathicus manipulensis exclusivus est en train de s’éteindre, sur le moyen ou long terme. À part quelques cabinets ou écoles d’irréductibles, ils passent petit à petit pour anachroniques. On se retrouve donc dans la situation opposée à ce qui se passait aux débuts. À quoi peut-on attribuer cette extinction progressive de l’espèce ? Plusieurs raisons me viennent à l’esprit. Le terrain de l’orthopédie mineure n’est plus libre comme avant. Les médecins, les kinésithérapeutes l’occupent aussi. Les ostéopathes, en choisissant le fonctionnel, ont fait une ‘fuite en avant’. Le viscéral, le somato-émotionnel, le crânien sont autant d’approches assez particulières à l’ostéopathie que les ‘concurrents’ naturels n’ont pas pris. Ce sont des domaines où le jeune ostéopathe croit faire de la ‘médecine générale’, qui le sort du cadre musculosquelettique strict. C’est ainsi que l’ostéopathie a trouvé, ces dernières années, un rare domaine consensuel : la pédiatrie. Les sages-femmes sont la profession médicale qui est la plus consciente des bienfaits de cette approche et la recommande. Et il faut dire que là, le structurel, au sens des ‘manipulations’ est peu pratiqué. Ces techniques existent mais le crânien y est devenu roi. Autre raison de l’extinction : on pourrait citer la propension des techniciens fonctionnels à présenter leur approche comme ‘globale’, ‘respectueuse des tissus’, ‘non-violente’, ‘riche de principes’ etc… toutes sortes de qualificatifs qui, bien évidemment, font passer le structurel comme ‘partiel’ ‘irrespectueux des tissus’ ‘violent’ etc. Et finalement, l’impression que le structurel relève de la préhistoire, du grossier, d’une préoccupation pour la douleur, le détail, face à un fonctionnel qui a développé un vocabulaire de plus en plus sophistiqué et fin sur la santé en général. Et il ne faut pas oublier le public qui vote, en masse, pour le fonctionnel, puisqu’on le dit plus respectueux. Mettons à part les sportifs, qui, se traumatisant volontairement, forment une arrière-garde où les manipulations traumatisantes, le structurel, sont encore acceptées et recherchées.

Nous n’irons pas plus loin dans ces distinctions au sein de la profession. Il faudrait les chiffrer et les commenter. A priori, cependant, on peut affirmer la chose suivante : ni le structurel, ni le fonctionnel n’ont apporté encore de preuves cliniques qui pourraient indiquer la supériorité de telle approche sur l’autre. L’ostéopathie a déjà beaucoup de peine à apporter les preuves de son efficacité en général. Une supériorité du fonctionnel sur le structurel ou vice-versa n’a pas été établie à ce jour, il faudra le répéter sans cesse, par justice historique et scientifique. La sophistication du discours biomécaniste dans le structurel ou, à l’inverse, du discours globaliste chez les fonctionnels n’ont pas fait reculer les limites de notre efficacité clinique. Les ostéopathes, quelle que soit leur approche, traitent tous, à peu près, les mêmes pathologies chez l’adulte.

Mes distinctions de jeunesse
entre ‘structurel’ et ‘fonctionnel’


1) En ostéopathie fonctionnelle, l’intervention de l’opérateur est minimale et celle du patient, maximale L’opérateur est à l’écoute des tissus. En structurel, c’est l’inverse L’intervention du patient est minimale et celle de l’opérateur maximale : on invite le patient à se détendre, à ne pas agir, pour qu’agisse le praticien
2) De la même manière que des mécanismes complexes maintiennent la santé et l’équilibre de toute région, on peut supposer que ces mêmes mécanismes maintiennent la lésion ostéopathique lorsqu’elle se produit. Sinon, elle disparaîtrait ! On peut alors dire : les techniques fonctionnelles ont pour vocation de modifier les relations tissulaires très lentement, si lentement que les mécanismes de maintien de la lésion ne s’en aperçoivent pas. Alors que l’ostéopathie structurelle, le HVT, les modifie rapidement, si rapidement que les mécanismes de protection n’ont pas le temps de s’en apercevoir>
3) La notion d’exagération de la lésion mériterait toute une discussion quant à son utilisation dans les deux approches. A priori, cependant, le structurel va ‘contre la barrière’ et le fonctionnel s’éloigne de la barrière (technique fonctionnelle de Hoover, reprise par L H Jones).

 Le retour inévitable du structurel

Je ne peux parler au nom de techniques que ni je maîtrise ni je pratique. Je préfère raconter les choses comme elles se sont passées, et, sur la base de mes quarante années de fréquentation assidue de ces questions, je me permettrai de dire ce qui serait une évolution souhaitable pour la technique ostéopathique. Je le ferai en tentant de définir au mieux ce qu’est l’essence du fonctionnel, mon domaine de pratique. Par exclusion, ensuite, avec quelques mots seulement, ce que pourrait être l’apanage du structurel. Et mon respect infini pour le passé m’oblige à penser qu’au bout, ce sera du 50/50. Une fois bien définies, les deux approches sont nécessaires. Le déclin actuel du structurel n’est donc, je crois, qu’une phase historique, un temps de retrait pour que puissent s’affirmer les approches fonctionnelles globalistes. Lorsque cet affermissement aura eu lieu, le retour du structurel sera inévitable. Le temps de la récolte des fruits pour l’ostéopathie, le temps des grandes avancées cliniques, viendra quand structurel et fonctionnel seront forts tous les deux, et à l’équilibre.

Confessions d’un structurel incompétent

En tant qu’étudiant en ostéopathie, j’ai appris le ‘structurel’ mais je n’ai jamais accroché. Premièrement, je n’arrivais pas à faire de diagnostic. Quand je faisais les tests de mobilité, il fallait que je me force pour choisir dans quel sens cela ne bougeait pas. J’étais toujours étonné de voir comment les autres avaient l’air sûr d’eux et de leur choix. Mais l’étaient-ils vraiment ? Je sais que, pour faire plaisir au prof, et ne pas passer pour un idiot, ou encore retarder la classe, je disais que je sentais clairement que ça bougeait moins vers la droite que vers la gauche, surtout si le prof était passé avant et me l’avait dit. Mais, en fait, je ne sentais pas de différence. Ce n’était pas objectif. Je pouvais aussi bien décider que ça bougeait moins bien vers la gauche. Mais je n’osais pas dire cela. Alors je me disais que je n’étais pas objectif, mais l’ostéopathie, elle, l’était certainement. Comme le prouvait la certitude du prof qui, après avoir passé ses mains, et balancé le dos du patient de droite à gauche, trouvait l’étage ça bougeait le moins – première impossibilité pour moi – puis comment ça bougeait moins – deuxième impossibilité – puis comment réparer la chose – troisième impossibilité – et finalement, faire sentir à tous, comment cela bougeait mieux dans l’ensemble et le détail après la manip – quatrième impossibilité, toujours pour moi. On entendait des ‘oh !’ et des ‘ah !’ devant ces séquences de manipulation et je ne pouvais que me joindre à la chorale. Je ne noircirai pas à outrance mon inaptitude au structurel : je pouvais très bien faire le TOG, donnant une belle impression de rythme, de maîtrise des mouvements, de bonne prise, je pouvais bien imiter les manipulations et faire craquer… Mais pour moi, cela relevait de la singerie. Je n’avais aucune idée comment trouver la lésion primaire parmi les centaines d’articulations du corps et comment en déterminer les paramètres, a fortiori comment réparer tout cela. Et comme j’avais atteint assez rapidement une certaine notoriété, j’ai pris l’habitude de faire semblant que je sentais, comme tout le monde.

J’ai donc dû renoncer à l’ostéopathie structurelle par sentiment d’incompétence. Et comme je ne suis doué dans aucun domaine de la mécanique (réparations en tous genres) et que les doués en structurel étaient ceux qui savaient aussi réparer une prise, un moteur de voiture ou ouvrir une porte bloquée avec le bon geste, toutes choses que je ne savais pas faire, le dossier de mon incompétence mécanique générale semblait suffisamment établi pour que je renonce. Ma découverte des ostéopathies dites ‘fonctionnelles’ fut donc une aubaine. Et je peux dire que je suis l’incarnation même de ce qu’on considérait à l’époque comme un cas fréquent : un ‘raté’ du structurel devenu fonctionnel. Certains appelaient les ostéopathes crâniens, à l’époque, des shampouineurs, c’est-à-dire des gars incapables de faire le vrai et difficile boulot de l’ajustement vertébral et qui se contentaient de masser le cuir chevelu, en prétendant qu’ils bougeaient le L.C.R. Le fonctionnel, c’était, en plus, le refuge pour les femmes, faibles par définition, et donc incapables de faire craquer comme il faut. Il fallait bien leur trouver une niche… ! Ces critiques n’étaient pas totalement fausses, dans mon cas. Il est vrai, pour reprendre Coluche, que le fonctionnel a été la porte ouverte à toutes les fenêtres. On pouvait joyeusement se dispenser de toute biomécanique, de tout savoir-faire technique en disant qu’il fallait juste suivre les tissus. Je me souviens de scènes où, en tant qu’étudiant, j’ai utilisé les très vagues définitions de la lésion ostéopathique en fonctionnel pour cacher ma totale ignorance de ce qui se passait mécaniquement. Mais, les abus mis de côté, je sais que ma rencontre avec le fonctionnel a été un grand évènement de ma vie professionnelle et de ma vie tout court. Pas tout de suite. Mes premières expériences furent décevantes. Par exemple, je n’étais pas vraiment capable de sentir les limitations du mouvement des os du crâne. Je voyais bien les différences ‘structurelles’ dans la position des os temporaux par exemple, mais de là à sentir les limitations de mobilité, les compressions, les ‘strains’... Et là encore, quand le ‘prof’ disait qu’il sentait la phase de ‘flexion’ du mouvement respiratoire primaire, je disais : oui, bien sûr, moi aussi ! Je n’arrivais donc pas plus à faire du fonctionnel que du structurel, lorsqu’on me demandait du faire du fonctionnel qui imite le structurel, c’est-à-dire qui joue la carte de l’objectivité.

J’avais bien aimé découvrir les techniques de Mitchell ou de Jones. Elles avaient une logique, une manière de contourner le problème de l’objectivité du ressenti de l’opérateur. Avec Mitchell, on avait à sentir des différences positionnelles, somme toutes assez faciles à percevoir, et la technique était logiquement construite par rapport à ce qu’on avait vu et touché, donnant des résultats assez étonnants. Non pas sur le plan clinique, mais du point de vue mécanique : les choses avaient clairement bougé après une séance, la colonne était plus droite. Jones avait trouvé une autre manière de contourner la nécessité de palper les composantes d’une lésion : à chaque articulation correspond une zone potentiellement douloureuse, et on cherche la position qui éteint cette douleur, forcément, la position de correction (3). Ce qui m’ennuyait avec ces techniques, cependant, était leur répétitivité. Elles offrent une routine, une grille de lecture par laquelle on fait passer le patient. Et cela me lassait. Je ne voyais pas non plus leur potentiel médical général. Elles semblaient ne s’adresser qu’aux problèmes du myosquelette. 

Note 3.
F. Mitchell Sr, élève de Fryette, a inventé une méthode destinée à contourner les difficultés palpatoires liées au structurel. L.H. Jones, élève de Hoover, a trouvé un système qui facilite grandement la palpation définie par Hoover dans sa technique fonctionnelle. J’ai eu l’honneur de rencontrer des élèves orthodoxes de Fryette et Hoover, ainsi que F. Mitchell Jr et L.H. Jones, ce qui m’a permis de bien percevoir les similitudes et les différences.

Le sur-mesure tissulaire

La découverte de Rollin Becker fut le tournant de ma vie professionnelle du point de vue de la technique. Il décrivait ce qui me semblait être une vraie lecture des tensions de tous les tissus : muscles, vaisseaux, viscères etc. Enfin une technique universelle ! Elle ne me paraissait pas routinière car chaque patient avait son ‘schéma interne’ qui variait d’un moment à l’autre. Quant à la subjectivité du ressenti, je ne me posais pas de question. Ce qu’on sentait était toujours ‘bien’, ça venait des tissus et on n’avait pas à se comparer à un autre opérateur. Ma rencontre avec R. Becker fut difficile. J’étais venu le remercier de m’avoir appris enfin ce que je cherchais, et il me répondit que je n’avais pas compris ses écrits. Je me suis aperçu plus tard en me faisant ‘manipuler’ par des orthodoxes de l’approche beckérienne que je n’avais effectivement pas compris la même chose qu’eux. Leur approche est amplement décrite dans la littérature, je ne la rappellerai pas. Je dirai ici brièvement ce que j’avais compris, et c’était, somme toute, quelque chose de très simple. Lorsqu’on pose les mains sur quelqu’un, on sent entre les mains une sorte de ‘champ’, dans lequel des mouvements lents apparaissent. Ces mouvements continuent un certain temps pour, à un moment, cesser, ce qu’on appelait le ‘still point’ - point de tranquillité - au cours duquel on pouvait sentir une ‘fonte’ tissulaire, une modification du champ entre les mains. Suite à cette fonte, un rythme lent, symétrique apparaissait. Ce schéma était universel. Partout où on met les mains, on pouvait sentir cette suite : 1) mouvements lents asymétriques, 2) point de tranquillité, 3) mouvement lent symétrique (ou rythme). Simple, efficace, merveilleux et reproductible. Je ne voyais plus, à l’époque, l’intérêt d’aucune autre technique ostéopathique. C’était du sur mesure pour les tissus. Fini le prêt-à-porter des autres approches où on vous disait, par avance, ce qu’il faut faire. Par définition, je ne voyais plus ce que pouvait apporter le structurel devant autant de respect et d’écoute des besoins de chaque tissu. C’est vrai qu’on pouvait encore garder au musée des techniques quelques manipulations structurelles comme le pompage du foie ou la pompe thoracique, à utiliser dans des cas particuliers. Mais la fonte des tensions ressentie lors du still point est quelque chose d’unique et d’incomparable… Et cette fois-ci, les résultats étaient au rendez-vous. Je m’aperçus que le sur-mesure tissulaire avait de remarquables effets.


 L’histoire et la préhistoire de l’ostéopathie


La partie de ma biographie ostéopathique qui suit cette découverte serait trop longue à raconter ici. Je résumerai en disant que suivit une période de plusieurs années de surprises, de fièvre de l’explorateur devant un continent inconnu, et de déconvenues tout aussi phénoménales. Au tout début, je me disais que j’avais trouvé la panacée ostéopathique et médicale. La fonte des tensions m’indiquait, à chaque fois, que, certainement, la qualité de la circulation sanguine et nerveuse, la qualité des tensions tissulaires avaient dû changer pour le mieux et forcément, améliorer tous les problèmes présents. Je ne voyais pas de limite à une telle technique. Dans le domaine musculo-squelettique, c’étaient de vrais ‘miracles’ souvent. En mon for intérieur - et parfois je le laissais entendre lorsque j’enseignais - l’ostéopathie structurelle avait été enterrée définitivement par cette approche. Je ne le disais pas ouvertement, par respect pour ceux que j’avais connu, les Anciens, qui m’avaient tant appris, et parce que je savais très bien au fond, que je m’étais révélé un incapable dans ce domaine. Mais, après tout, on n’est pas obligé de connaître les choses du passé, et le structurel était le passé. En quelque sorte, je considérais qu’on peut passer directement à la conduite automobile sans être expert en cavalerie.

Tout va très bien mais il a très mal !

Après l’enthousiasme des débuts vint l’accumulation des échecs, de plus en plus retentissants : comme ce cas d’une sciatique où j’avais tout traité, de la tête aux pieds, où j’avais laissé le sacrum, l’occiput et la colonne dans un état mécanique ‘parfait’ à juger de la qualité et la symétrie de leur rythmes, mais où le patient, qui se sentait comme dans du coton, se levait ensuite, pour s’apercevoir qu’il avait autant, sinon plus de douleurs !! Ça, je ne pouvais pas le comprendre. Cela allait contre les principes ! Un échec comme celui-là me faisait oublier cent autres douleurs ‘résolues’. Comme aussi ce cas d’entorse banale de la cheville, dont je me souviens, où je m’escrimais à faire passer un still point à toute la jambe, le bassin, la tête, la table, mon bureau, la planète et… rien, le même blocage stupide en flexion de la cheville qui me narguait. Un ostéopathe structurel, témoin de la scène, vint et manipula l’astragale sur la table. En quelques secondes, le problème était réglé, et moi, j’étais comme un c… Quelle humiliation devant mon confrère qui n’avait vu de moi que cet échec ! Il n’avait pas vu les réussites que lui n’aurait probablement pas obtenues avec son cracking !! J’avais conforté l’image des ‘fonctionnels’ nuls en structurels et donc, inefficaces. Mais quelle belle leçon pour moi ! Je n’ai plus jamais dit que le structurel était mort et enterré. Je savais qu’au moins, dans le cas d’un astragale déplacée, seul os du corps à ne pas avoir d’insertion musculaire directe, les techniques d’écoute sont démunies. N’ayant pas les leviers musculaires pour ramener les choses de lui-même à l’équilibre, le corps attendait un ‘coup de main’ extérieur et c’est ce que l’ostéopathe a su lui donner. 

Morts en excellent état mécanique

Et puis, à l’autre extrême, dans les maladies d’ordre général, les échecs de mon ostéopathie miraculeuse s’accumulèrent également. J’avais cru que, enfin, soigner le cancer deviendrait possible. Les principes ne disent-ils pas que la ‘règle de l’artère’ est suprême ? Une bonne vascularisation n’aurait-elle pas dû nettoyer les tumeurs ? Les maladies neurologiques, de type SLA, sclérose en plaque, Parkinson etc. furent autant de territoires de déconvenue. Je passai des heures à rétablir le rythme du crâne, à tenter de manipuler le cerveau jusque dans les noyaux gris de la base. Aucun effet, et même parfois une aggravation après une légère amélioration. De quoi devenir fou… Pourquoi normaliser la mécanique du cerveau - et donc la circulation cérébrale - ne donne aucun effet ? On pourra me rétorquer que je ne faisais peut-être pas la bonne technique d’écoute, que je faisais du ‘mauvais’ tissulaire. Ce à quoi je répondrai : premièrement, ce que je faisais, quoi qu’il fut, était très efficace dans tous les domaines classiques d’application de l’ostéopathie, et deuxièmement, à ma connaissance, aucun technicien d’ostéopathie fonctionnelle ne peut clamer à ce jour que son approche est efficace dans toutes les maladies citées ci-dessus. Comme aurait dit R. Becker : tous les patients cancéreux que j’ai traités sont morts avec succès. Convenons-en : il existe une fracture entre nos principes et notre pratique. L’ostéopathe structurel peut avoir d’excellents résultats dans certains troubles de l’appareil locomoteur, le fonctionnel donner une sensation profonde de bien-être à son patient, mais ni l’un ni l’autre n’ont de réponse dans les ‘choses sérieuses’. Une belle mobilisation du bassin, un still point majestueux de la ‘boule crânienne’, une libération des ligaments suspenseurs du côlon ne servent à rien dans les grandes pathologies de ces sphères.

La fracture entre principes et pratiques est là, béante et nous laisse discourant dans le vide sur les conséquences merveilleuses sur les tissus d’une bonne séance d’ostéopathie. On fait dans le ‘soulagement’, le ‘symptomatique’ plus qu’autre chose et à nous de l’accepter avec humilité (4).

Note 4.
Avec, je le répète, pour exception, la sphère pédiatrique et il serait intéressant de comprendre pourquoi.


 Des demi D.O.


Cette situation n’est pas souhaitable pour l’avenir de notre profession. Elle n’a rien d’un projet à long terme. Il nous faut choisir. Devrons-nous nous débarrasser de nos principes devenus inutiles, mégalomanes et insensés par rapport à notre pratique ? Nous devrions décider une bonne fois pour toutes que l’ostéopathie structurelle ou fonctionnelle sont deux manières de régler à peu près les mêmesproblèmes, mais, il est vrai, la seconde méthode paraît moins ‘risquée’ que la première et plus facile à apprendre. On devra également décider si on peut être ostéopathe en ne connaissant que très peu le structurel ou inversement, en ne connaissant trois fois rien du fonctionnel. Rappelons que c’est déjà le cas depuis longtemps. La plupart des grandes figures de l’ostéopathie américaine crânienne et fonctionnelle n’ont pas eu de formationsignificative en structurel. Au cours de leur cursus universitaire, ils ont eu droit à une présentation de quelques heures. C’est ainsi que cela se faisait et se fait dans les collèges ostéopathiques aux USA. L’ostéopathie structurelle, en Amérique, se termine avec Fryette dans les années 1950. 

Peut-on alors considérer ces gloires comme des ostéopathes à plein titre, des D.O. ? Avec tout le respect qui leur est dû….non ! Modèles de notre passé, ce ne sont pas les modèles de notre avenir. Eux aussi ont connu des limites à leur efficacité, eux aussi ont vécu la fracture entre principe et pratique. Sachons ainsi que l’ostéopathie fonctionnelle ou crânienne a été développée et conçue par des praticiens qui ignoraient le structurel ou n’y avaient pas adhéré. Et que cette ignorance, qui n’est pas un défaut, doit cependant être repérée car elle est au cœur des limites de notre ostéopathie actuelle, qui est devenue soit fonctionnelle, soit structurelle. Notons également les réussites de chacun dans les domaines spécialisés, et l’échec de tous dans le domaine général. Tous les ostéopathes du passé, avec une petite restriction pour Still, Littlejohn et Fryette (5), ont connu la fracture entre principe et pratique. Mais comme il n’est pas question de se plaindre du passé ou de condamner qui que ce soit, surtout en ce qui concerne des gens dont nous avons tous tant appris, nous nous poserons la question du futur. Quelle ostéopathie mériterait de porter son nom de manière complète ?

Note 5.
Ces trois auteurs ont écrit et pratiqué une ostéopathie-médecine générale. Nous serions tenté d’inclure WG Sutherland, mais cet auteur n’a pas laissé de discussion cliniques sur les domaines d’application du crânien.

Besoin d’un peu d’Histoire

Source de l’image
Film où l’on voit A.T. Still manipuler une épaule

Quelques mots d’histoire permettront de placer en perspective les racines du structurel et du fonctionnel. Elles remontent loin dans le passé et nous nous limiterons au fondateur. Still, du point de vue de sa technique, est difficile à décrypter. On ne comprend pas très bien ce qu’il fait d’après ses descriptions. Certains éléments de sa biographie sont encore plus troublants. Le seul film qu’on a de lui nous le montre manipulant ou mobilisant une épaule comme un rebouteux le ferait. Et, effectivement, il se disait bonesetter ou rebouteux… Mais les histoires rapportées à son propos nous le décrivent aussi comme un magnétiseur ou guérisseur. On disait, plus précisément, mesmerizer, disciple de Mesmer, qui avait développé la notion de magnétisme animal. Still garde son origine mesmériste lorsqu’il affirme, par exemple, avoir fait son diagnostic dès la première seconde où le patient se présentait à lui. Il traitait aussi les gens à très grande distance, à des centaines de kilomètre de là où il se trouvait. Voilà un thérapeute aux capacités situées aux antipodes : il était capable de soigner une épaule souffrante par sa pensée à mille kilomètres, mais aussi avec un tour de main, devant lui. Un paradoxe ambulant. Pour lui, cependant, pas de contradiction : le reboutement direct de l’épaule comme le traitement à distance étaient des actes ostéopathiques légitimes. Comment comprendre alors ce paradoxe ? Tout simplement par le fait que son éducation d’enfant, ses lectures, ses goûts, les circonstances de sa vie d’homme et de professionnel l’avaient constamment exposé à une compréhension double du monde. La Réalité était à la fois une mécanique pleine de rouages et un cristal d’Esprit. Le reboutement, c’était la lecture mécanique du corps. On devait dégripper les pièces et c’est ce que nous montre ce bout de film où il manipule une épaule. Ce qu’aucun film ne pouvait nous montrer, par contre, c’est le diagnostic et le traitement à distance par son regard ou visualisation, comme on dit de nos jours. Ils découlent de la nature ‘spirituelle’ du Réel 

Le Grand Schisme Ostéopathique

Still est un cas unique de mélange de ‘magnétisme’ et de ‘reboutement’, normalement deux approches très distinctes, mais qu’il a intuitivement d’abord, puis rationnellement ensuite, mélangées. Quelque soit la technique qu’on pouvait le voir faire, il faisait également l’autre. Lorsqu’il posait les mains, il posait une vision également, une vision qui allait loin dans le corps. Il était mécanicien du principe vital, une impossibilité théorique mais que lui croyait avoir trouvé. Sa tentative de synthèse a donné les résultats cliniques qu’il a bien voulu nous rapporter et qui ne ressemblent en rien aux nôtres. Il traitait tout avec cette méthode : de l’asthme à la tuberculose, la pneumonie, le paludisme, la dysenterie et … le lombago. C’est en tous les cas, ce qu’il rapporte. On peut, en attribuant quelque sincérité à ses dires, que la fracture entre principe et pratique était beaucoup moins béante chez lui que pour notre génération. On ne peut dire inexistante - car il reconnaît aussi des échecs - mais beaucoup moins marquée. Still est un ostéopathe généraliste : il voit et traite de tout. 

Ses élèves ont reçu cet héritage sans vraiment en réaliser la nature double. Rapidement, une scission s’est opérée. Les mécaniciens de cœur et d’esprit ont repris la racine rebouteuse, en lui donnant ses lettres de noblesse anatomiques. Fryette est le plus connu. Les spiritistes de cœur et d’esprit ont repris la racine mesmériste (magnétisme) en lui donnant également ses références anatomiques. Sutherland, puis Becker s’y sont illustrés. Ces continuateurs gardent, cependant, un lien avec les deux sources. Fryette, par exemple, prend en charge, avec le structurel, des maladies générales sévères. Rapidement, cependant, la scission s’est aggravée jusqu’à arriver aux ostéopathes actuels qui n’ont souvent que peu de formation dans l’autre branche. C’est tout à fait notoire aux USA, et, en Europe, c’est le choix des écoles et de chaque praticien, qui rapidement, abandonne l’une ou l’autre branche selon ses goûts, ses capacités et sa sensibilité. L’aspect positif de cette histoire est, bien entendu, la sophistication atteinte par chacune des branches. Le pôle reboutement, presque débarrassé du magnétisme, a pu évoluer en une biomécanique très documentée et qui tente d’être rigoureuse. Le pôle magnétisme, presque débarrassé du reboutement, a pu s’épanouir également en ces techniques dites énergétiques ou tissulaires que nous connaissons, dans lesquelles la subjectivité a pu s’exprimer librement, et il faut le dire, de belle manière. Je dis ‘presque’ car, rappelons-le - chaque branche a dû garder quelques références de l’autre. Les énergéticiens continuent à se référer à l’anatomie, et les rebouteux à la globalité, titre d’ostéopathe - commun aux deux - oblige.


 Ostéopathie par correspondance


En me référant à l’Histoire, je peux donc dire que mon parcours d’étudiant et mes lectures m’avaient fait appartenir au clan des ‘magnétiseurs’. Avec peut être une petite différence : j’avais beaucoup étudié le structurel et connu d’excellents praticiens dans ce domaine. Entraînant un respect pour cette approche qui ne cessera jamais. 

Je reprends brièvement mon expérience des années qui suivirent ma découverte des techniques dites d’écoute des tissus. En 1984, je découvrais, par un hasard très construit, qu’on pouvait sentir à distance les mouvements lents que j’avais appris à reconnaître en touchant ! Assis près du patient, dans le vide entre mes mains, je pouvais sentir les mouvements lents asymétriques des tissus, les os se tordre doucement, les viscères se relever. Comme lorsque je touchais, ces mouvements étaient suivis d’un moment de calme, le still point, puis d’une fonte. Cette fois-ci, bien entendu, c’est le ‘champ’ entre mes mains qui donnait l’impression de ‘fondre’. Cela ressemblait à la sensation que l’on a lorsqu’on tient deux aimants à distance. Je n’y voyais rien d’imaginaire. Moi qui avait tant eu de problèmes avec l’objectivité des tests de palpation, avec les mains, me voici, croyant sentir, avec évidence, sans toucher !! Le patient, lui, dans la vaste majorité des cas, sentait la ‘fonte’ avec tout autant d’évidence, et me le disait. À tel point, que je pouvais - quand s’annonçait le still point entre mes mains – prévenir le patient qu’il allait sentir un changement. Ca marchait à peu près à tous les coups. Je n’avais jamais vécu quelque chose d’aussi reproductible. Sur le plan technique, je me retrouvais dans une situation historique complexe. C’était clairement une ostéopathie ultra-fonctionnelle, mais j’avais la sensation de la faire de manière très structurelle, car plus j’étais précis dans mes visualisations anatomiques, mieux cela marchait. Cela me rappelle une phrase de Still lorsqu’on lui demandait la différence entre ce qu’il faisait et le ‘mesmérisme’ (magnétisme). Il disait : de l’anatomie et encore de l’anatomie ! Comme lui, j’avais l’impression de ‘rebouter’ le principe vital

Bas les pattes !

Au fur et à mesure de l’exploration de cette technique, je m’aperçus que les mains ne jouaient plus un rôle primaire. Il m’est difficile d’exprimer cela : je sentais les mouvements dans mon regard, et par regard j’entends bien plus que les yeux. Il s’agit d’une sensation qui englobe la vision, le toucher, l’intérieur du corps. J’arrivais, avec le temps, à sentir les mouvements lents des tissus simplement dans mon observation de l’espace occupé par le patient, alors qu’au début, je pensais que les mains étaient nécessaires. Les résultats cliniques de cette approche furent aussi phénoménalement remarquables que décevants, comme pour la précédente période. Certes, je pouvais faire plus de choses. Comme traiter des problèmes hormonaux ou même chirurgicaux. Mais les grands échecs restèrent les mêmes. Aucun effet dans les maladies sérieuses. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé !! Et de – presque- me tuer à la tâche. À l’issue de dix années de pratique de cette approche, je développai un état d’épuisement important. Une sensation de fatigue au début, après chaque séance, qui évolua en un état d’épuisement profond, très aggravé par la moindre séance d’ostéopathie donnée à un autre. Je dus faire des examens qui montrèrent une ostéoporose importante liée à hyperparathyroidisme. J’étais devenu ostéopathe au sens propre du terme : malade des os. Ce dossier, je me suis exprimé là-dessus à diverses reprises, doit être considéré à part entière lorsqu’on parle de technique ostéopathique structurelle et fonctionnelle. Laquelle des deux approches est plus saine, moins dangereuse ou toxique sur le praticien ? Je crois que là, la réponse est assez évidente. Le structurel, qui se fait largement avec les mains, et comporte une activité physique du praticien, semble peu ‘dangereux’ à pratiquer. Le fonctionnel, et dans mon cas, il s’agissait d’ultra-fonctionnel, sans utilisation des mains, sans activité physique, peut être ‘dangereux’ pour le praticien, donnant l’impression qu’on se vide de son énergie.

L’auto-ostéopathie

Ce parcours d’un étudiant en ostéopathie, passionné tout le long, se termine donc mal vers l’an 2000. Je dois renoncer à toute pratique de l’ostéopathie, mon amour de jeunesse, et même à l’enseignement, que j’adorais faire aussi. Comment enseigner aux autres ce qui a failli vous tuer ? Deux ou trois années d’extrême confusion suivirent. S’ouvre alors une période où je découvre, par nécessité de survie, un nouvel aspect de la technique ostéopathique. Il a fallu tout simplement, devant l’absence de traitement médical ou ostéopathique pour ma condition, que je me débrouille, que je prenne rendez-vous avec moi-même et que je me traite. Ce fut la découverte de l’auto-ostéopathie, terme un peu stupide, mais qui sur le plan technique signifie que j’ai dû appliquer tout ce que j’avais appris à faire sur les autres sur moi-même. Et comment se traite-t-on soi-même ? En structurel ? Très limité… En fonctionnel ? Techniquement possible. Durant la période qui précède ma découverte du travail à distance, j’avais déjà fait des essais. Je posais les mains sur moi, attendait les mouvements asymétriques, puis le still point. Résultats : médiocres et passagers et donc, rapidement, ennuyeux à faire.

Je voudrais évoquer certaines des conséquences techniques de ce travail qui dure maintenant depuis plus de 10 années. Il a d’abord été impossible que je me traite… à distance… ! Comment me regarder moi-même de l’extérieur ? J’ai essayé le miroir et plein d’autres expériences intéressantes, elles se révélèrent toutes accessoires, et il faut aller à l’essentiel. Tout est possible : on peut se soigner soi-même en plongeant son regard intérieur dans son anatomie, sa physiologie et sa pathologie. On peut également utiliser les mains ou travailler sur soi sans les mains. Mais ce qui importe, c’est qu’en travaillant sur soi, et non sur l’autre, on expérimente, en direct, la distinction entre structurel et fonctionnel. Elle s’impose comme une nécessité.

Raconter cette expérience en détail dépasserait le cadre de notre discussion sur la dualité apparente structurel/fonctionnel. Je proposerai, pour résumer ce qui est en jeu, un exercice de palpation sur soi, qui permettra d’ouvrir le débat, même en théorie, et permettre de poser les bonnes questions.

Un petit exercice pour différencier le toucher du regard

Prenons la situation classique. Le patient est étendu sur le dos, devant, moi, un opérateur externe. Je mets les mains de part et d’autre de son crâne. Etant donné que je pense ‘manipuler’, je vais sentir ce qui se passe entre mes mains et parler donc des tensions dans les méninges, les os etc. Je peux aussi, comme le font souvent les ostéopathes, dire que je descends plus bas et que je sens le diaphragme thoracique, le bassin, plus coincé à droite, plus haut à gauche etc. Autant la première affirmation qui concerne ce que je sens entre mes mains peut être logique, autant la seconde, ce que je sens plus bas ou plus loin paraît difficile à admettre. Par quel moyen, j’arrive au bassin à partir de la tête ? Via les tensions de la toile conjonctive qui réunit toute partie du corps à toute autre ? Via les fluides ou les nerfs ? Via l’énergie, le Chi ou tout autre nom pour désigner la force de vie ? Peut être que tout cela est vrai, mais ce n’est, pour le moment, pas ‘prouvable’. Le patient, le plus souvent, ne peut confirmer ce que sent l’opérateur. Nous avons ainsi deux systèmes en contact : l’opérateur et son vécu, le patient et le sien, et ils ne coïncident pas. 

Reprenons le point de vue de l’opérateur. Il prétend sentir des tensions entre ses mains, et des tensions en dehors de l’espace entre ses mains. Ce faisant, il mélange deux choses : le toucher et le regard. C’est surtout avec le toucher que je sens entre mes mains, et avec le regard – ce qu’on appelle la visualisation – que je sens à distance de mes mains. Ces distinctions sont un peu artificielles car notre regard participe à notre toucher et notre toucher participe à notre regard comme on peut le montrer facilement. Mais il est important de distinguer ces deux perceptions dans la situation où il y a un opérateur externe à un patient. C’est aussi la moindre des politesses scientifiques d’avouer que ce qu’on sent entre les mains doit être différent de ce qu’on sent en dehors des mains.

Faisons un autre montage expérimental. Il suffit de demander, préférablement à un ostéopathe, d’être son propre opérateur et son propre patient. Les capacités quasi-miraculeuses du praticien qui sent les choses loin de ses mains trouvent alors une solution très simple, car fondée dans l’expérience directe. Qui peut contester qu’on puisse sentir ‘quelque chose’ entre le crâne et le bassin, si cela se fait sur soi ? Ce qui paraît irrationnel et ‘impossible’ pour le praticien, devient tout à fait acceptable et rationnel pour le sujet qui se perçoit. 


 L’ostéopatient


Reprenons donc la technique ci-dessus, avec un opérateur-patient. Étendu sur le dos, on met les mains de part et d’autre de son propre crâne. À partir de cet instant, deux chemins s’ouvrent à nous. Le premier, sentir les tensions entre les mains, faire du crânien sur soi, comme on le ferait sur un patient. C’est une expérience intéressante, non pas tant sur le plan clinique - car je pense qu’on tombe dans les mêmes pièges et limites d’une ostéopathie incomplète – mais sur le plan de l’expérience de l’anatomie. Reproduire le savoir anatomique appris dans les livres ou sur les patients ou en dissection sur soi est une expérience très intéressante, un exercice de visualisation tout à fait différent de celui vécu sur l’autre.

Il existe un second chemin. On pose les mains sur les faces latérales du crâne, et cette-fois ci, elles ne sont pas appelées à bouger ou suivre un quelconque mouvement. Elles vont devenir uniquement des barrières, des limites du champ de perception. Puis, on va faire intervenir son regard intérieur qui va explorer l’espace entre les mains, y sentir d’éventuels mouvements lents mais surtout, percevoir ce qui se passe ‘ailleurs’ dans le corps. Par exemple, dans le bassin ou les viscères. Cet ‘ailleurs’ va entrer en jeu et ‘bouger’ en corrélation avec les éventuels mouvements au crâne. Rappelons-le, dans cette technique, les mains servent surtout à ‘encadrer’ un espace du corps, ici le crâne, et laisser s’exprimer toutes les tensions intérieures par rapport à cet espace. Appelons, à la suite de nos maîtres américains, ce type de perception : l’ostéopathe intérieur. Il n’y a pas de limite à la complexité des schémas qu’on peut construire ainsi. On peut, assis sur une chaise, mettre les mains sur les ailes iliaques, et sentir le mouvement des deux hémi-thorax par rapport au bassin, des deux hémi-crânes en corrélation avec le thorax, tout en percevant la rotation, en réponse, des deux fémur, de l’atlas-axis vis-à-vis de la charnière cervico-dorsale. Une promenade multidimensionnelle en soi.

Je sens donc je suis

Comparons alors à nouveau l’action de l’ostéopathe extérieur à celui de l’ostéopathe intérieur. D’un côté, le premier dit percevoir entre ses mains – ce qui est possible – et plus loin que ses mains, ce qui est assez invérifiable et, de toutes les façons, très limité. De l’autre, l’ostéopathe intérieur peut sentir entre ses mains, et au-delà des mains, mais cette fois-ci de manière tout à fait vérifiable puisque c’est l’opérateur-patient qui sent et non pas un qui ‘dit’ à l’autre qu’il sent. Une fois cette fenêtre sur soi ouverte, la technique va beaucoup plus loin : on peut apprendre à sentir des corrélations mécaniques très complexes : entre la longueur des jambes, la position des temporaux, la tension dans la plèvre par rapport à l’atlas, du péricarde par rapport à la jonction cervico-dorsale ou à l’hyoide, la mâchoire inférieure et les lames orbitales du frontal. Ce discours sur les suites lésionnelles a été tenu depuis longtemps par les ostéopathes extérieurs. Mais il ne se vérifie vraiment qu’avec l’ostéopathe intérieur. Convenons-en : aucun ostéopathe ne peut sentir à la place de son patient, personne ne peut percevoir ce qui se passe à tout moment donné dans une autre personne. Qui peut percevoir, chez un autre, en même temps, la lourdeur dans le mollet gauche, la pointe d’angoisse dans le thorax, la sensation de bracelet autour du poignet droit, le picotement dans la racine d’une dent infectée etc. ? Quelque soit son éventuel don de voyance, un opérateur ne peut que prétendre sentir une très infime partie de ce qui se passe réellement en dehors de lui.

Sentir mes fonctions

Cette illustration technique me permet de dégager une définition plus précise de ce que devrait être l’essence de l’ostéopathie fonctionnelle. La tradition nous dit qu’à l’inverse du structurel, elle a pour vocation d’‘écouter’ les tissus, de les laisser s’exprimer, sans les influencer, sur le chemin de leur guérison. Or cette situation ne se produit réellement et complètement que lorsque l’opérateur est son propre patient. Les mains cessent alors de jouer tout rôle primordial, elles sont accessoires au regard, elles ne font qu’aider à ‘délimiter’ des zones d’observation, des points de vue sur soi. Et le regard intérieur va pouvoir interpréter dans un langage anatomique – la structure – des modifications physiologiques – la fonction. C’est en s’observant nous-mêmes, en apprenant à connaître notre anatomie vivante, à vivre ses mouvements, ses torsions, que nous atteignons le niveau de la véritable écoute et du respect des tissus. Ce que peut percevoir un autre pour nous, aussi louable et expert fut-il, ne peut être que minuscule par rapport à ce que nous pouvons connaître de nous-mêmes. La vocation future de l’ostéopathie fonctionnelle est donc, il me semble, la pédagogie de l’ostéopathie intérieure. Nous devons apprendre à le faire sur nous-mêmes et partager cette information avec les autres, ceux qu’on appelle nos patients. C’est, en tous les cas, le chemin thérapeutique que j’ai emprunté depuis que j’ai dû abandonner, de force, la position d’ostéopathe extérieur exclusif.

J’ai tenté ici de définir à l’extrême, ce que devrait être l’ostéopathie fonctionnelle. Ce qu’elle est actuellement, dans la pratique et l’enseignement des uns et des autres, est forcément le reflet de compromis individuels ou collectifs. Et plus nous serons précis dans notre définition du fonctionnel, plus nous pourrons dégager, par exclusion, une meilleure définition de l’ostéopathie structurelle.

Palper ses brûlures d’estomac

Dans son essence, nous l’avons dit, l’ostéopathie fonctionnelle n’est pas manipulative au sens propre, c’est-à-dire dépendante de l’action des mains. Elle est fonctionnelle, et le regard intérieur est en prise directe avec la fonction tissulaire. Il est le vécu direct de la fonction, sans intermédiaire. Je sens les brûlures de mon acidité gastrique, je sens aussi la pesanteur dans mon estomac, et seul moi peut sentir ces choses-là et les intégrer dans un schéma d’ajustement mécanique. Les mains ont peu à voir là-dedans. Affirmer qu’on peut palper l’estomac est déjà très douteux, alors palper un estomac avec des brûlures... Les mains peuvent beaucoup aider en cernant le diaphragme, par exemple, en aidant le regard intérieur à créer l’arène dans lesquels le Mouvement Autonome des tissus va réintégrer les choses à leur place, permettant d’aller vers un chemin de guérison. Bien entendu, la guérison, elle-même, est plus complexe. Atteindre l’essence du fonctionnel, la perception directe de ses propres fonctions, ne doit pas être claironné comme l’ultime solution, en tous les cas, pas pour l’instant. Celui qui souffre de brûlures gastriques n’est pas que le porteur d’un estomac déplacé, avec des os qui appuient sur le nerf Vague, expliquant les symptômes. Il est également un être rongé par des remords. Or ni les brûlures ni la culpabilité ne peuvent être ‘palpées’ par qui que ce soit d’extérieur. La véritable intimité est impalpable à l’autre et perceptible à soi. Ce sont des niveaux de fonction plus complexes qui interviennent : neurologiques, affectifs, sociaux etc. C’est dans ces cas que l’on peut laisser le chemin du fonctionnel s’exprimer pleinement. Les fonctions s’enchevêtrent naturellement : pendant que l’on sent sur soi ses brûlures, on percevra probablement ce qui nous ulcère, et les points de vue sur notre mécanique s’accompagnent de points de vue sur notre esprit.

Un homme averti en vaut deux. Nous savons par avance que la meilleure technique fonctionnelle, même telle que nous la proposons, ne donnera pas les réponses à tout. J’ai une expérience significative, à ce jour, essentiellement sur moi, étant devenu, de force, un opérateur-patient, avec des vécus très intéressants, réussites comme échecs, mais réussites dans certains domaines où l’ostéopathie extérieure, je le crois, ne pouvait m’aider. Ce que l’on peut dire, c’est que dans le cadre du traitement des maladies sérieuses, une ostéopathie fonctionnelle de ce type devrait beaucoup faire avancer les choses. Elle permet au patient d’attacher de l’importance, de transformer en autant de médicaments fonctionnels les sensations comme les nausées, les lourdeurs, les tensions, les tremblements, la ‘boule à la gorge’ et autres ‘petites’ choses qui n’intéressaient jamais personne ou qui lassaient ceux qui pouvaient s’y intéresser, tel l’homéopathe ou le psychologue.

Le coup de main

Je crois - toujours d’après mon expérience - que cette ostéopathie intérieure, tout en allant plus loin que ce qu’on obtient actuellement, aura aussi des limites parce qu’elle néglige l’autre pôle de l’ostéopathie, le structurel. Oui, cette tradition si ancienne des manipulations, malgré son apparence de violence faite au corps, a encore un bel avenir. Et, ayant dégagé l’essence du fonctionnel, je crois que nous pourrons mieux dire, ne serait-ce que par élimination, ce qu’est la vocation du structurel. Ne pouvant le faire en autant de détails que pour le fonctionnel, ni par place ni par compétence véritable, je crois pouvoir affirmer que cette essence est justement la manipulation, l’intervention extérieure de forces, la nécessité du ‘coup de main’ au sens propre et figuré. Pas forcément le cracking ou thrust, mais l’imposition de forces extérieures. Car nous sommes conditionnés par des forces autant intérieures qu’extérieures. Avec chacune, ses circonstances pathogènes. Il faudra apprendre à déterminer le juste équilibre entre le recours à l’ostéopathie intérieure - qui, ultimement, est destinée à être ‘phagocytée’ par le monde des patients - et l’ostéopathie extérieure qui, elle, a encore de beaux jours en tant qu’apanage de ‘praticiens’ formés. Le structurel, défini ainsi très généralement, ne sera plus uniquement le ‘cracking’. Il inclura toutes les situations où l’application de force extérieure est nécessaire et cela peut prendre de très nombreuses formes : gymnastique, danse et même boxe. Dans chaque cas, l’application des forces devra être cohérente avec l’état du patient et la biomécanique. On connaît déjà de nombreux cas, où une telle force extérieure est encore utile, voire la seule possibilité, car l’ostéopathe intérieur ne peut être que sollicité : nourrissons, vieillards, handicapés. Dans ces cas, l’ostéopathe extérieur prend en charge les choses avec, comme nous l’avons vu, souvent, d’excellents résultats. Cependant, dans le quotidien où l’on traite des gens ayant atteint l’âge et la faculté de conscience de soi, l’ostéopathie intérieure deviendra la référence, et l’extérieure, le coup de pouce. Mais là encore, tous les mélanges sont possibles : on peut faire du structurel sur soi et les autres, comme du fonctionnel sur soi et les autres. Pas de dogmes, et il reste toujours une place pour l’éclectisme devant chaque situation. C’est un tel chemin, inspiré de principes forts et de pragmatisme, qui réduira – sans l’abolir, car place aux autres sciences – la fracture entre les principes et la pratique que nous vivons actuellement et même depuis Still. 

Still point plus pompage

Dans notre passé, nous avions déjà appris, mais c’était très vague, qu’il fallait faire de tout pour aider à recouvrer la santé, du fonctionnel et du structurel selon les cas et la demande. Ces traitements hybrides disparaissent, je le crois, et c’est souhaitable, car comme dit le dicton, on devient des amateurs en tout, et des professionnels en rien. Mais on peut rappeler certains mélanges intéressants. Une séance où le patient-opérateur, avec l’aide pédagogique d’un ostéopathe extérieur, ‘travaillera’ sur son foie, sur sa fonction, en quête d’un bon still point. Une fois celui-ci obtenu, on pourra suivre avec un pompage intelligent du foie par l’ostéopathe extérieur. On peut imaginer beaucoup de ces mélanges qui feront revivre quasiment tout l’appareil ostéopathique structurel que certains pouvaient croire destiné au musée. 

Le structurel a donc pour essence d’aider le corps à réaliser ce qu’il ne peut pas ou plus faire par lui-même. Il nécessite la conscience de l’autre. Le fonctionnel, c’est encourager le corps à faire, de lui-même, ce qu’il est le meilleur à pouvoir faire. Il implique la conscience de soi. La fonction, c’est du moi. Alors que la structure, c’est de l’autre, même quand je pose les mains sur ma peau, car cette peau est traitée comme un objet par ma main qui sent. Tous les degrés de mélange entre ces deux consciences sont concevables, une fois les choses bien définies. Lorsque des forces extérieures ont déplacé, désordonné les choses - comme lors de l’accouchement pour le nouveau-né, comme chez le vieillard accablé par la gravité, comme chez le sportif traumatisé par un coup - il faut probablement que quelqu’un vienne, de l’extérieur, replacer et réordonner les choses. Lorsque les forces intérieures sont la cause du déplacement et du désordre, laissons les forces intérieures replacer. Elles savent mieux que quiconque la place et l’ordre des choses. Et s’il est vrai qu’on peut toujours essayer de se taper la tête contre un mur ou se pendre à moitié pour se traiter une compression du crâne ou une lésion atlanto-axoidienne, l’intervention de l’autre sera, dans ces cas, toujours plus précise et plus compassionnée que ce que nous pouvons faire seuls. La combinaison entre structurel et fonctionnel que j’essaye, consiste à encourager le ‘patient’ à prendre contact avec son ostéopathe intérieur, et moi, je donne les coups de pouce par-ci par-là pour renforcer les sensations grâce à ma connaissance de l’anatomie. Ça ressemble à du fonctionnel, mais c’est tout de même du structurel ! Tout est possible…

Il serait donc inconséquent de penser que l’une ou l’autre attitude, fonctionnelle ou structurelle, est dépassée, grossière ou une imposture. Jamais, dans l’absolu, la conscience ou la connaissance de soi - que représente le fonctionnel dans son essence - ne pourra être dépassée par la conscience ou la connaissance de l’autre, apanage du structurel. Et réciproquement. Chacune a ses domaines d’intervention et de compétence. Chacune implique une autre manière d’apprendre l’anatomie et la physiologie. Le D.O. du futur portera son nom pleinement quand il sera excellent pédagogue de la conscience de soi, et acteur de la conscience de l’autre. Une ostéopathie bien conçue dans ses racines pourra s’ouvrir naturellement aux autres aspects impliqués dans la santé et la maladie. La conscience de soi n’est pas que la perception de ma mécanique, mais aussi l’effet, par exemple, de ce que je mange sur mon corps et mon esprit. La conscience de l’autre, ce n’est pas qu’une histoire de coup de main ostéopathique mais aussi de toutes les autres sortes de coup de main. Et allez, le jeu de mots s’impose : entre humains.

Le fonctionnel et le structurel sont des portes très générales du Vivant. En tous les cas, à titre personnel, depuis que je comprends les choses comme cela, j’ai du plaisir à explorer le fonctionnel de moi-même et, de nouveau, le structurel de l’autre. Et puis, à un moment, toutes ces distinctions s’effondrent, et on prend tout simplement plaisir à se traiter et à aider les autres.

Je remercie Mr Jean Louis Boutin D.O., pour sa relecture du texte. Mr Frédéric Zenouda DO, rédacteur en chef du Magazine Le Monde de l’Ostéopathie qui a permis la reproduction de cet article publié dans le numéro 8 de la revue (Oct/Nov/Décembre 2013, la version présente a été cependant remaniée par rapport à l’original)



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