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Le chemin de nos mains.

Dr Alain Cassourra.
 
Créé le : vendredi 20 juillet 2007 par Alain Cassoura

Dernière modificaton le : samedi 4 novembre 2023

Le chemin de nos mains

Dr Alain Cassourra - Ostéoformations.

Avec tous mes remerciements à José Puren D.O qui fut mon moniteur à Bobigny


« Seuls les tissus savent » (Rollin Becker), la main les écoute avec « des doigts capables de sentir, de penser, de voir » (WG Sutherland). Le chemin est long pour développer jour après jour la finesse du senti ; de la construction du référentiel perceptif à l’écoute de l’involontaire, de la main agissante, émettrice, réceptrice, puis neutre à la prise en compte de l’intention. La main devient une interface relationnelle, le touchant est touché et les dimensions de la rencontre patient-thérapeute dépendent de ce dialogue silencieux. Je vous propose d’envisager ces différents aspects du toucher et leurs incidences tant sur l’enseignement de l’ostéopathie que sur sa pratique quotidienne.

La main de l’ostéopathe support et reflet de sa pratique

Nul du métier ne peut ignorer la grande diversité des pratiques de l’ostéopathie, médicale ou non. Notre propos n’est pas ici de hiérarchiser les pratiques, de décrier celle-ci, pour porter aux nues celle-là. Chacune a sa pertinence, à terme l’important est bien que le couple soignant-soigné évolue harmonieusement dans la cohérence d’une démarche. Qui s’est fait traiter a pu constater qu’au delà même du type d’ostéopathie pratiquée, dès le premier contact main du thérapeute -corps du patient, quelque chose se joue. On est tenté de dire que plus le thérapeute s’éloigne du structurel pour aller vers le viscéral, le crânien ou les fascias, plus la main devient légère et subtile. La corrélation n’est pas systématique, d’autant que chacun de ces domaines peut être abordé très différemment. Les propos de patients illustrent bien ce fait : « il fait craquer, il étire les muscles, il appuie sur des points réflexes, il donne des pichnettes, il rééquilibre les tensions, il manipule, il fait circuler l’énergie, il a du magnétisme, il a du fluide. ». Côté praticien les conceptions sont aussi très variées : ici une approche biomécanique, ici neurologique, ici vasculaire, ici fluidique, l’un pense métamère, l’autre somite, l’autre électromagnétisme, l’un pense DIM, l’autre pense peau, l’un pense volontaire, l’autre involontaire.. Mais qu’est-ce qui préside au type d’ostéopathie pratiquée, au delà de l’appartenance à une école ? Des aptitudes quasi innées d’une main qui conditionnerait la pratique ou un type de pratique qui façonnerait au fil du temps le toucher ?

Sans doute les deux se renvoient-ils la balle, et si la main remet parfois en cause certaines idées reçues, les concepts prédéfinissent souvent le champ d’action de celle-ci.

Quand le mental décide du chemin

Me voilà jeune médecin, danseur, n’ayant pu m’inscrire au D.U de l’Hôtel Dieu, je débarque à Bobigny dans l’idée d’apprendre les manipulations. La salle préfabriquée est comble, deux ostéopathes belges non-médecins, Duby et Burnotte, présentent avec brio anatomie et biomécanique du bassin, je dois bien l’avouer, je suis un peu largué. Ça va vite.

Dans cette salle surpeuplée on entendrait une mouche voler tant nous sommes captivés par le cours. Jamais en médecine je n’avais entendu un tel discours. Voilà une anatomie non pas de l’homme disséqué mais de l’homme vivant ! Après la pose, le plus difficile nous attend, quasi à poil dans le couloir où sont dressées des tables de massage pour l’étape pratique. Ainsi nous nous retrouvons, inconnus deux heures auparavant, en tenue minimum, dans un lieu incongru par lequel défile la faculté, à nous toucher l’un l’autre au-delà de la peau, des maigreurs, des rondeurs et bizarreries de chacun et chacune, pour sentir le mouvement, de quoi ? De la sacro-iliaque ! et ce avec attention, douceur et précision. Un certain malaise s’installe pour au final atteindre son paroxysme : je le sais, la sacro-iliaque ne bouge pas, et il est hors de question de la sentir bouger. Il me faudrait sentir une anatomie dont je ne sais exactement ce qu’elle est, où elle est, et comment elle fonctionne. Comment être sûr de ce que je sens, tout cela ne procède-t-il pas d’une grande arnaque, celle de l’autosuggestion ? Peut-être est-il plus simple de ne rien sentir, toujours est-il que je ne sens rien. Cela prendra bien du temps avant de lâcher prise pour sentir l’impossible : la sacro-iliaque bouger. Quand il sera l’heure d’apprendre le viscéral ou le crânien, les mêmes certitudes auront les mêmes effets. Le mental décidera des possibles du senti. C’est contre des idées préconçues, acquises pour certaines pendant mes études médicales, pour d’autres d’ordre philosophique, culturel ou religieux que j’allais devoir me battre pour ouvrir les portes des perceptions tactiles. Nous ne sommes pas libres dans nos expériences mais le plus souvent soumis à l’étroitesse des informations stockées en notre cerveau, notre mental décide des possibles et du chemin de nos mains.

Les mains

Dans l’apprentissage, mes mains furent agissantes, au début armées de doigts crochus qui appuient toujours trop, pour être sûres d’être au bon endroit, sur le bon relief, à la bonne profondeur, à développer trop de force pour mobiliser les articulations dans des amplitudes trop grandes, imperméables aux réactions de défense, au malaise, à la douleur engendrée ou réveillée chez la personne touchée. Des mains agissantes, toujours trop. Puis ces mains devinrent celles d’un artisan habile, mais restèrent dans l’action, persuadées que de leur activité dépendaient diagnostic et traitement, à contraindre, à induire, étirer, décorder, thruster..

Pourtant dans l’acte fondateur de l’ostéopathie ce jour de l’année 1874 où Still dans une rue de Macon rencontre avec un ami une femme et ses trois enfants, souffrant de dysenterie, il n’est guère question de mains agissantes. Still pris de compassion, prend l’enfant le plus malade dans ses bras. Il est aussitôt frappé par l’inégalité de distribution de la chaleur et de la « vitalité » qui existait entre le dos de l’enfant et son ventre, alors il dirige et balance « l’énergie » entre ses mains des zones chaudes vers les zones froides. Peu d’action : ici les mains sont émettrices.

Quand Rollin Becker parle destissus qui commencent à bouger dans la direction qu’ils choisissent, quelle qu’elle soit ; des tissus qui partent, repartent, en avant, en arrière, en profondeur, et des mains qui les suivent, la place attribuée à la main change, son rôle aussi et avec eux comme à chaque fois, comme pour les mains agissantes ou émettrices, change l’idée que l’on se fait de l’acte ostéopathique, de la physiologie humaine, de la maladie. Ici les mains sont réceptrices, elles écoutent.

Quant Pierre Tricot part de l’idée que la structure tissulaire du patient est faite de consciences, il lui devient logique de s’adresser à elle comme à des consciences, c’est-à-dire de tenter de leur parler, et la main devient interface, ouvert sur un dialogue silencieux entre touchant et touché. On pourrait parler ici de main interrogatrice.

Mais n’existerait-il pas une main idéale, une main neutre qui laisserait toute la place à l’expression du touché dans toutes ses dimensions, physique, émotionnelle et mentale, une main qui au-delà des principes de la physique moderne, interfèrerait le moins possible avec l’objet de ses observations ? Une main neutre à la rencontre du plus intime de l’être.

Tout laisse à penser que Still, Sutherland, les grands maîtres de l’ostéopathie ont cette diversité du toucher à leur disposition. En ce qui nous concerne, quelle est notre main d’ostéopathe ? Au fil d’une journée de travail, d’un patient à l’autre, selon notre humeur, celle du patient, utilisons-nous toutes les palettes du toucher, passons-nous d’une main active à émettrice, réceptrice, interrogative ou neutre ? Ou restons-nous égal à nous même ancrés dans une même pratique, dans une consultation calibrée, univoque plus propice à l’évaluation ?

L’attention et l’intention

Il ne suffit pas de poser ses mains sur un patient pour obtenir multitude d’informations, de la même façon qu’il ne suffit pas de demander à quelqu’un « comment allez-vous ? » pour avoir de ses nouvelles. La réponse à cette question dépend souvent de la façon dont elle est posée et de l’implicite compréhension du niveau d’attente de celui qui la pose par celui qui répond. A une question mécanique, réponse mécanique : « ça va » même si au fond rien ne va. Si un réel intérêt semble manifesté dans la question formulée mais que l’espace offert à la réponse reste limité (le questionné jugeant par exemple le questionnant comme non prêt à recevoir la réponse dans toute sa profondeur) la réponse sera peut-être « j’ai mal à la tête » alors que dans une relation différente elle aurait pu être « j’ai la rage depuis que mon patron m’a humilié lors d’une réunion, je n’ai pu rien dire, j’ai la tête qui va exploser.. ». Ainsi autant de niveaux de réponses possibles selon la perception qu’a le questionné de l’attention et l’intention du questionnant. Le phénomène est identique entre touchant et touché. Borris Dolto disait : « si des paroles peuvent être touchantes c’est bien parce que des gestes peuvent être éloquents » L’attention et l’intention présentes dans le toucher conditionnent directement le niveau de réponse donné par les tissus, donc les informations obtenues et le niveau du traitement effectué. Qu’est ce que j’entends par niveau du traitement puisque le patient vient avec une demande, l’exprime et que le bon traitement consiste à y répondre ? Certes mais la demande formulée en cache parfois une autre au moins aussi importante qui motive tout autant la consultation mais dont le patient ne dira mot. Ailleurs la demande sera bien formulée mais la solution thérapeutique ne se révèlera qu’avec la justesse, la pertinence du toucher. Mme X. consulte pour des douleurs du flanc droit, invalidante, attribuées à une ptose rénale qui a été opérée sans rien apporter comme soulagement. Elle a déjà été manipulée sans succès. Mme X. tait son enfance battue, elle n’a pas conscience du fait que des manipulations trop physiques la renvoient à ses souffrances anciennes. C’est la juste présence de la main, la juste écoute des tissus qui autorisera ces révélations silencieuses et permettront un traitement efficace par une main qui ici devra être tendre, maternelle et reconstructive. Ainsi à travers l’interface de la main posée, le touchant est touché et inversement. Le patient sent jusqu’où il peut se livrer, jusqu’où peut aller sa demande. « Ce que nous projetons chez notre patient ce sont nos modèles et nos représentations personnelles. Cette conscience fait également ressortir un aspect plus négatif : elle nous permet d’imaginer que nous projetons également nos limites et les tissus vivants répondent par conséquence dans le strict cadre de nos propres limites. J’irai même plus loin en disant que nos tissus manifestent sans doute nos limites.. »(Pierre Tricot).Dans le cas de cette patiente plusieurs réponses furent données, une au soulagement des douleurs du flanc droit, demande formulée par la patiente, une autre aux souffrances non formulées de réparation d’une blessure affective liée à l’enfance qui entravait sa vie de femme.

Le travail d’écoute de la main suppose une prise de conscience de l’importance de l’attention et de l’intention dans le toucher. L’ostéopathe définit son champ d’attention et son intention, et, ce qui est plus difficile, au fil de la consultation doit pouvoir les faire évoluer en réponse aux demandes tissulaires du patient.

D’un point de vue pédagogique

L’apprentissage de l’ostéopathie suppose donc du temps consacré à la main et à l’initiation au toucher. Cependant attendu que le mental est pour une grande partie un frein à l’autorisation de ce développement, particulièrement chez les médecins qui ont déjà une approche construite de l’homme, de sa physiologie et de ses pathologies, il me semble à ce jour inutile de trop insister d’emblée sur la construction d’un référentiel perceptif propre à chacun. Dans un premier temps il faut tout autant développer l’abord théorique, le travail de l’anatomie, les principes de l’ostéopathie, la physiologie, le travail de conceptualisation et rester sur une approche stricte des perceptions de base : densité des différents tissus, perception de la barrière motrice, de la mobilité volontaire et involontaire, le plus standardisé possible. Dans un second temps alors que la main commence à se construire et que la pratique ouvre des horizons nouveaux il est alors temps d’insister sur la singularité du référentiel perceptif de chacun. Celui-ci peut alors se construire différemment selon les aptitudes, certains ayant plus de facilités à percevoir les différentes densités tissulaires et l’organisation de leur mise en tension, tandis que d’autres seront plus à l’aise dans les perceptions des mouvements et de ses restrictions. Cela conditionnera bien sûr le type de techniques de correction utilisées. La richesse de ce référentiel engendrera la richesse et la singularité de la rencontre ostéopathe-patient ou touchant-touché. Dans cette approche nous nous trouvons confronté à un dilemme : au fil du développement de la finesse du toucher nous enrichissons notre pratique, nos possibilités thérapeutiques mais nous nous éloignons de l’evidence based medicine.

D’un point de vue pratique en consultation

L’évolution de la main de l’ostéopathe au fil de sa pratique peut toucher tous les domaines de celle-ci. Le travail ostéopathique de l’appareil locomoteur permet tout autant cette évolution que l’ostéopathie crânienne ou viscérale, pourvu que le praticien s’inscrive dans cette démarche. Ainsi lors de la réalisation d’une manipulation en thrust le praticien arrivé sur la barrière motrice, pourra sentir le refus des tissus à la réalisation de la technique, il pourra laisser se dérouler les tensions fasciales en restant dans la position de verrouillage et ne réaliser le thrust que quand les tissus déroulés ne seront plus dans le refus mais dans l’autorisation de celui-ci. Ce discours paraîtra obscur à qui n’a pas expérimenté ce type de travail, mais qui s’inscrit dans cette approche connaît l’enrichissement que cela représente dans la pratique de l’ostéopathie structurelle. Les manipulations faites dans l’acceptation tissulaire, ne sont pas vécues comme une agression par le patient, et ne sont pas réalisées à mauvais escient.

Le travail sur l’attention et l’intention ouvre les portes d’un dialogue silencieux qui permet quand cela s’avère nécessaire d’aller au-delà de la demande initiale formulée par le patient, pour une réponse plus pertinente à sa problématique. Les colorations intentionnelles peuvent changer, parfois guerrière, martienne, volontaire, parfois nourricière, lunaire, involontaire, parfois neutre. Selon la présence du touchant, sa justesse intentionnelle, des dimensions physiques, émotionnelles ou mentales du patient s’exprimeront à travers ses tissus. Car une dysfonction tissulaire peut révéler tout autant une vieille entorse oubliée de la cheville, la peur lors d’un accident de voiture ou la représentation mentale d’un accouchement qui n’a jamais eu lieu suite à une césarienne. Et par le travail ostéopathique existe la possibilité d’effacer ces mémoires physiques, émotionnelles ou mentales inscrites dans les tissus.

Notre représentation de l’anatomie, de la physiologie, nos schémas conceptuels, philosophiques, religieux prédéfinissent notre conception du possible, et cette conception définit souvent le cadre de la rencontre patient-thérapeute et les limites de notre pratique.

Qui lie le symptôme à une manipulation ou qui envisage la cellule comme consciente et intelligente, qui envisage la consultation ostéopathique comme un réajustement de désordres mécaniques, comme une reprogrammation du système nerveux, ou comme un échange d’informations, comme un dialogue de consciences à consciences n’aura pas la même pratique et n’aura pas le même toucher.

Quelque soit le type d’ostéopathie pratiquée l’invitation à « rester dans un état de lucide neutralité, bien aligné, émotionnellement calme, mentalement ouvert et sans être dans l’urgence de réussir » (Irene Dowd) me semble le préalable nécessaire à notre travail, ce qui nous amène au moins un temps à tempérer nos mains agissantes pour laisser la place aux mains réceptrices, à l’écoute.

Ce chemin de nos mains au fil de la pratique devient une aventure intérieure. Tous, nous fûmes surpris un jour par la richesse des informations reçues dans la relation touchant-touché d’une consultation. Cette expérience peut rester anecdotique à qui ne veut y prêter attention ou devenir le support à l’évolution de notre pratique. La beauté de notre travail d’ostéopathe réside entre autre dans l’aboutissement jamais atteint d’une pratique qui d’un côté touche à l’art, et de l’autre à la science, remettant en cause notre conception de la vie, de la physiologie et de la santé.

« Je découvre en l’homme un univers en miniature.
Je trouve la matière, le mouvement et l’esprit » (A T Still).



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