Introduction
La rencontre avec autrui est l’élément essentiel de toute relation thérapeutique. Elle ouvre un espace qui se développe en toute confiance au fur et à mesure de la relation et autorise le soin. Cette rencontre est classiquement faite d’empathie et nécessite, de la part du thérapeute, présence, attention et intention. L’approche centrée sur la personne décrite par Carl Rogers (1902-1987) est un des moyens utilisé par de nombreux praticiens de santé.
Nous pouvons aborder cette relation en étudiant ce qu’elle est, ce qu’elle n’est pas, regarder les qualités nécessaires pour que cette relation se passe le mieux possible, trouver ses valeurs et ses limites, ses dangers, jusqu’où elle peut aller et jusqu’où elle ne doit pas se poursuivre, quels sont ses interdits, ce qui la favorise ou non, et en quoi elle consiste. Nous nous servirons alors de comparaison, et aurons établi une sorte de catalogue de toute relation. Aurons-nous mieux compris ce qu’est la relation à l’autre ?
L’ostéopathie approche le patient à travers un abord perceptif qui lui est propre, le toucher, et qui est sa spécificité : entre l’ostéopathe et son patient, nul instrument qui serve de média, seule la main est utilisée.
Il est possible de regarder la relation avec autrui en nous servant de Ressources : quel parti pouvons-nous tirer de la relation à autrui dans la démarche thérapeutique et quelle cohérence a-t-elle ? ce qui nous permettra de la découvrir et de l’exploiter pour pouvoir la mettre à profit et développer sa fécondité.
1. – L’approche ostéopathique centrée sur le patient
Carl Rogers a développé l’approche centrée sur le patient qui comporte trois attitudes : l’authenticité du thérapeute, l’acceptation inconditionnelle du patient et sa compréhension, le thérapeute faisant abstraction de tous préjugés, valeurs et contradictions. Cette approche particulièrement intéressante a été étudiée en ostéopathie dans un article paru dans l’International Journal of Osteopathic Medicine ([1]).
« Dans de nombreuses parties du monde, l’ostéopathie est considérée comme étant une approche de la santé centrée sur le patient et cette prétention est souvent utilisée pour différencier la profession d’ostéopathe d’autres professions de santé, y compris la médecine. Certains affirment qu’une approche centrée sur le patient est une « marque de fabrique » de l’ostéopathie ; d’autres prétendent qu’il s’agit là de la contribution originale de la profession au système de santé en général ».
Ces dernières années, s’est développée une approche un peu différente appelée approche bio-psycho-sociale qui « reconnaît la relation complexe bidirectionnelle existant entre le praticien et son patient dans laquelle les décisions sont partagées et la connaissance à propos de ‘quoi faire’ intégrée à la relation. La mise en pratique de cette approche constitue le service centré sur le patient, et considère les aspects sociaux et psychologiques de la maladie au même titre que la dysfonction médicale et biologique. Le soin centré sur le patient considère la signification personnelle de la maladie, de la douleur et de la souffrance dans le but de comprendre et d’aider à soulager la maladie et la dysfonction. L’adoption de ce modèle implique que le patient n’est plus envisagé comme bénéficiaire passif d’un soin, mais au contraire de plus en plus comme consommateur actif, ce qui conduit à incorporer son expérience, ses opinions et perspectives dans le raisonnement clinique et la prise de décision ».
Selon ces auteurs, le centrage sur le patient reconnaît la personne « comme un être humain doté de raison, de volonté, de sentiments et de besoins – dans le but d’engager la personne comme partenaire actif dans son soin et son traitement ». Cette approche demande au praticien un ajustement et une flexibilité par rapport à chaque patient individuel. Le centrage sur le patient ou sur la personne est une approche qui est désormais partagé avec d’autres professions de santé comme les infirmiers. Cependant, les ostéopathes semblent avoir une approche spécifique puisqu’ils sont plus « flexibles dans différents aspects de leur approche du patient. En fonction de leur relation avec leur patient, ils peuvent adopter une approche centrée sur le corps, sur le patient et/ou sur la personne, chacune de ces approches démontrant différentes caractéristiques de centrage sur le patient. À certains moments, la responsabilité et le raisonnement sont partagés avec le patient, mais à d’autres moments, le raisonnement clinique est moins collaboratif et est essentiellement informé par l’interprétation et la signification de la situation clinique plutôt que par la consultation des expériences et perspectives du patient. Dans certains moments, les praticiens utilisent dans leur raisonnement et leur pratique une approche plus biomédicale, centrée sur la maladie, et à d’autres moments, le même praticien peut être complètement biopsychosocialement orienté, appréciant la particularité propre et l’individualité de la personne. Ces trouvailles commencent à suggérer que le centrage ostéopathique sur le patient est un processus relationnel et dynamique ».
Mais cette approche centrée sur le patient a ses limites en ostéopathie et pour qu’elle se développe, il est nécessaire d’aborder « une pratique ostéopathique épistémologique, c’est-à-dire une compréhension de la manière dont les ostéopathes savent ce qu’ils savent et le type de connaissance qu’ils utilisent dans leur pratique professionnelle ». Là est le défi de l’approche ostéopathique centrée sur le patient dont le concept est complexe et ambigu, car l’approche épistémologique que nous proposons amène à une conception autre de la rencontre entre l’ostéopathe et le patient.
2. – Le vrai Visage de l’Autre
La rencontre, du moins celle du thérapeute avec son patient, ne peut se concevoir que si elle est une « relation originelle à autrui » ([2]) et seulement cela ! Elle n’est donc pas une relation de sympathie, d’empathie ou de compassion, sentiments qui non pas leur place ici. Pourquoi ? Parce que la présence de l’autre, la présence à autrui, et, comme le dit parfaitement Alain Finkielkraut « le fait même d’autrui » (AF,26), sa présence comme son « surgissement » font naître en nous « un double malaise : son regard [nous] réduit à l’état d’objet, et cet objet nous échappe puisqu’il est pour un autre ». Naissent et apparaissent alors enlisement et dessaisissement, du fait même que « sous le regard de l’autre, [nous sommes] ceci ou cela, et sur cette réalité pétrifiée, [nous n’avons] aucune prise ». Comment se défaire de cet état d’objet où nous sommes enfermés en même temps que nous saisissons l’autre également et, dans le même temps, en faisons un objet ? Nous avons tous les deux, thérapeute et patient, dans un élan spontané de réciprocité, barre sur l’autre, avec un désir de possession où vont se mêler tous les sentiments possibles, de la violence sadique à l’amour sentimental, de façon à échapper à cette étreinte, à cette emprise de l’autre et de nous-même. Comme il nous faut faire avec cette aliénation, nous mobilisons ces sentiments de sympathie, d’empathie, voire de compassion « heureuse rencontre d’âmes fraternelles qui se saluent et qui conversent » ([3]), qui affleurent à la conscience et qui, croyons-nous, vont nous permettre d’offrir à notre patient un espace thérapeutique sans préjugés et nous rendre la relation intérieurement confortable.
Or la relation thérapeutique nécessite de s’extraire de cette aliénation, parce qu’autrui ne peut être possédé et ne peut exister dans une relation où le combat ou la paix sont le maître mot. Autrui nous libère de cette relation si nous acceptons que l’Autre, avant d’être regard, est visage. Visage et non dessin, visage et non texte, à nous d’apprendre « non pas à mieux voir [ce] visage, ou à le voir autrement, mais à ne plus l’identifier avec ce que la vue peut en obtenir » (AF,29). Car nous ne sommes pas ici dans l’apparence du visage, mais dans son essence, « dans la résistance opposée par le prochain à sa propre manifestation, le fait pour lui [l’Autre] de s’absoudre de son image, et de s’imposer par-delà la forme et de [nous] laisser entre les mains que sa dépouille quand c’est sa vérité que [nous croyons] détenir » (AF,30). Et comme le dit E. Levinas « Rencontrer un homme s’est d’être tenu en éveil par une énigme » ([4]). Car le visage « a cette particularité fascinante de s’offrir et de se dérober au savoir. Il est le lieu du corps où l’âme se montre et se travestit » (AF,31). Et pour paraphraser A. Finkielkraut, l’Autre « est l’attrait d’une aventure, un beau risque à courir » (AF,40).
Pour mieux comprendre cette relation phénoménologique à l’Autre, il nous faut étudier ce qu’est la vie, non pas la vie de tous les jours, celle que nous vivons, ici et maintenant, mais la Vie phénoménologique.
3. – Vie biologique et Vie phénoménologique
La vie biologique, tout le monde la connaît, c’est celle qui nous fait vivre, celle d’être simplement vivant avec une vie personnelle, professionnelle, politique, etc. Celle que les biologistes connaissent bien, des cellules de notre organisme, et qui tend à devenir la seule vie vivante de nos contemporains. Cette vie-là, les philosophes grecs l’appelaient « bios » (βίος), la vie de tous les jours, avec ses aléas et sa finitude, la mort. Cette vie-là c’est celle « d’être en vie », celle d’être animé par la vie, ou dit autrement, être vivant parce que l’on n’est pas mort. Elle est commune à nous tous et nous partageons ce fait d’être tout simplement en vie ! En allant un peu plus loin, on peut ajouter que dans ce sens, être vivant c’est conserver le souffle vital, l’élan vital que nous rendons lors de notre mort.
Il existe une autre sorte de vie, celle d’« avoir en soi la vie », celle qui nous qualifie de « vivant », d’être vivant. Ce second sens, les Grecs l’appelaient zôè (ζωή). C’est en quelque sorte la vie en soi, ce que Michel Henry qualifie de Vie phénoménologique absolue, celle qui nous fait nous sentir et nous éprouver en tant qu’être vivant et qui nous permet de ressentir la Vie chez l’Autre en tant que vie phénoménologique. L’exemple le plus évident est le regard réciproque que porte le bébé sur sa mère et sa mère sur son bébé : ils se ressentent mutuellement, s’éprouvent l’un l’autre, et cet éprouvé permettra au nouveau-né d’avoir ce sentiment de vie qui lui est essentiel et qui le portera toute sa vie. C’est ce qu’Emmanuel Galacteros ([5]) exprime en disant « l’essence [de la vie] c’est-à-dire le principe, le fond, de la Vie, non pas au sens de la vie biologique, mais au sens de la vie véritable ». Ce sentir et s’éprouver ici ne correspondent pas à ce que chacun ressent et éprouve individuellement, mais est à envisager comme Subjectivité absolue, en soi. On parle alors d’essence de la vie, du fond de l’être, de l’essence de l’être, de l’humanicité. C’est la Vie qui s’éprouve et se sent elle-même, qui se déploie en moi, qui se promeut en soi ou la vie même en tant que vie essentiellement, absolument vivante, cette « vie expansive, en tant qu’elle se donne et qu’elle se partage, ne se garde pas pour soi, mais se dévoue à l’Autre » (EG). Et comme le dit Michel Henry, « La vie se sent et s’éprouve soi-même, et elle n’est pas autre chose que ce « se sentir » et ce « s’éprouver soi-même » dans l’immanence absolue de son pur pathos » ([6]).
C’est à partir de cette essence de la Vie, que l’être en vie, c’est-à-dire l’être qui a la vie en soi, peut s’éprouver et se sentir comme tel. Cette faculté de l’être est la « source du sens de tout ce qui nous concerne spécifiquement puisqu’elle est en œuvre en chacun de nous, de la naissance à la fin de l’existence » (EG). Il s’agira donc pour le thérapeute de faire émerger « cette vie phénoménologique qui définit notre être le plus profond, qui motive tout ce que nous pouvons entreprendre, qui est la source de tout sens possible en lui » ([7]) et chez le patient dans la vivance ([8]) de la relation thérapeutique.
Avec autrui, c’est cette vie phénoménologique que nous mettons en présence dans la relation thérapeutique : il est nécessaire de créer un espace relationnel, un écart, un entre où va s’exprimer ce savoir original de soi, cet éprouvé de soi-même, qui se déploie au cours des interactions dans l’écart de l’entre.
4. – Écart de l’Entre ([9])
Dans l’espace où se rencontrent thérapeute et patient, se joue un moment important du soin. Cet espace dans lequel se dévoile l’intimité de l’un et de l’autre : l’un se présente, à un moment, dans une certaine nudité et parle de son intimité. Se joue, également ici, ce dont on parle peu en ostéopathie, la pudeur, celle du soigné comme celle de l’ostéopathe, cette dernière le plus souvent oubliée.
Cet espace est un espace en construction à chaque consultation, d’autant plus si le même patient revient plusieurs fois. Dans cet espace, il est habituel de dire que le thérapeute montre des sentiments de sympathie, d’empathie voire de compassion dans certains cas. Ces sentiments, aussi beaux soient-ils, semblent inadéquats et peuvent au contraire perturber profondément la relation. Car ces sentiments, ces bons sentiments, ne font que mettre à distance et créent une fausse intimité, une extériorité naturelle qui existe au tout début de la relation et que l’on peut facilement constater, mais ne permettent pas – contrairement à ce que l’on peut croire – une relation duelle dans un espace à construire et dans lequel se dévoile l’altérité. Ils entraînent, qu’on le veuille ou non, un manque de cohérence dans cette altérité présente et indispensable ici. Le soin nécessite un espace où l’un et l’autre se rencontrent, construisant pas à pas, en vis-à-vis, et créant un entre qui permet d’ouvrir l’écart et à l’autre d’émerger, et donc de pouvoir échanger, le « promouvant en partenaire de la relation résultée. L’entre qu’engendre l’écart est à la fois la condition faisant lever de l’autre et la médiation qui nous relie à lui » (Julien,2018,230). Ce vis-à-vis offre la possibilité que « l’un puisse à la fois dévisager l’autre et s’y dévisager » (idem,187). C’est également une « dépropriation réciproque…, ne se réinstallant jamais plus d’aucun côté » (idem,222).
Comment définir cet entre ? Il n’est, nous dit Julien « jamais isolable, ne possède rien en propre, est sans essence et sans qualité, mais par la même est “fonctionnel” […] et permet d’opérer ». Cet entre « est “nulle part”, en effet, il n’est d’aucun côté […]. Déroutant parce que impossible à localiser » (221). À quoi sert donc cet entre, cet espace entre patient et thérapeute ? C’est qu’il « laisse dans cet “entre” passer l’autre ».
Dans cet espace, « chacun ouvre sa position et la déplie – la découvre – vis-à-vis de l’autre et l’active par lui ». Il s’agit alors pour l’ostéopathe d’« activer de l’entre » et qui « loin d’être un temps mort, est par où la transformation d’un sujet fait silencieusement son chemin en réclamant la durée » (224). Il ne reste plus alors qu’à activer « un tel “entre” qui fait “tenir” et cohabiter » (225) en « rouvrant de l’écart et de la distance que l’on peut faire surgir de l’autre » (229). Il est nécessaire de « se constituer en “autre” et, par suite, s’établir en vis-à-vis. […] Il faut dégager de l’entre pour faire émerger de l’autre, cet entre que déploie l’écart et qui permet d’échanger avec l’autre, le promouvant en partenaire de la relation résultée. L’entre qu’engendre l’écart est à la fois la condition faisant lever de l’autre et la médiation qui nous relie à lui » (230). Cet espace, cet « entre » est un « élargissement des horizons et des perspectives entre lesquelles des vies originelles, en “faisant des écarts” pourront s’inventer. Par espacement, par conséquent, ouvrant le champ de l’altérité » (231).
« L’écart est aussi – d’abord – ce qui met en tension une vie de l’intérieur d’elle-même en la maintenant ouverte à l’un comme à l’autre possible, si distants et même le plus distant qu’ils soient entre eux ; qui, par là, promeut une intériorité alerte, en essor, en élan, en allant, parce que pouvant varier le plus amplement dans cet entre » (232). La vertu de l’écart est de générer de l’entre, et de l’entre générant de l’autre (233).
5. – La rencontre en Ostéopathie
« En instaurant une relation authentique avec l’autre de l’aider à devenir lui-même » ([10]).
La rencontre…
« Se rencontrer un petit peu autrement qu’on le fait d’habitude, et, en revenant un petit peu au milieu de soi, pour éprouver comment la vie se manifeste en nous, et pour la partager, afin d’être l’allié, et là, le mot « alliance » prend toute sa signification, l’allié de ce mouvement de la vie en train de se vivre là dans ces personnes qui sont en face de nous, de manière à ce qu’on puisse vivre une véritable rencontre. Parce qu’est-ce qui vient de la rencontre ? Ce sont nos existences. On n’a pas les mêmes existences. On n’a pas vécu les mêmes choses, on n’a pas eu les mêmes parents, on n’a pas assisté aux mêmes évènements. Donc, quand on met l’accent sur les contenus de conscience et les évènements de l’existence, sur les mondes de représentations, il n’y a pas de véritable alliance et de rencontre possibles, parce que c’est justement ce qui nous sépare. Ce qui nous unit et ce qui fait qu’on peut se reconnaître en tant qu’être humain, qu’on peut reconnaître l’autre comme un autre moi humain, unique, différent des autres, et de ce fait irremplaçable, comme nous sommes uniques, différents des autres et irremplaçables, c’est justement que nous sommes habités par cette présence de la vie en nous, avec toutes ses potentialités, toutes ses capacités ([11]).
… En ostéopathie
Accepter la personne en elle-même, la prendre comme elle est, en tenant compte de ses capacités physiques et sensorielles, de ses valeurs et capacités créatives, et de sa vie spirituelle. Telle est l’objet de la rencontre en ostéopathie, accepter l’autre comme une fin, non comme un objet, car il s’agit ici « d’une relation entre deux présences vivantes, […] une relation de personne à personne » ([12]), entre deux êtres. Il s’agira alors de « créer un espace – un entre – et une ambiance propices » par une attitude de respect, d’ouverture à l’autre et d’écoute, qui implique que le thérapeute est digne de confiance (en état de congruence dit Rogers, équivalent à l’authenticité, à une cohérence interne, c’est-à-dire de pouvoir s’écouter, pouvoir être soi-même ([13])) pour lui permettre de trouver du sens à ce qu’il éprouve. Il est également « nécessaire d’écouter l’autre en l’acceptant, et d’être ouvert et non défensif dans la relation [… et d’écouter ] à partir du point de vue de l’autre », car le rôle de tout thérapeute « est d’aller au rythme du patient » ([14])et le lui faire comprendre de façon à ce que le patient perçoive la considération du thérapeute et sa compréhension. Enfin, il est nécessaire de bien comprendre que le diagnostic ostéopathique n’est pas indispensable ([15]) pour que le thérapeute se trouve dans cette condition de rencontre qu’est l’alliance thérapeutique.
L’alliance thérapeutique
Elle n’est pas un entretien psychologique, ce qui rendrait la relation caduque et sans objet puisque nous ne sommes pas des psychologues mais des ostéopathes même si la partie psychologique du patient doit être tenue compte. Mais nous ne faisons pas de la psychologie, ni de psychanalyse ! Elle n’implique pas non plus un transfert psychanalytique.
Elle implique à l’évidence la présence de deux personnes (voire plus quand il s’agit d’enfants ou de bébés), l’ostéopathe et le patient, qui se trouvent être en relation thérapeutique dans une interaction.
Qui dit alliance, dit obligatoirement de la part de l’ostéopathe, d’être l’allié de la vie phénoménologique corporelle, émotionnelle, mentale et spirituelle du patient et de s’intéresser moins au contenu du discours du patient (de la plainte selon C. Bochuberg) qu’à son expression corporelle, au logos de son corps puisque c’est à travers le corps du patient que l’ostéopathe va soigner par l’intermédiaire de ses mains.
Il s’agira alors de comprendre comment s’exprime la vie du patient et de trouver un chemin d’accès corporel à l’expression de cette vie, puisque cette expression de la vie utilise de multiples modalités existentielles.
Être l’allié de son patient, c’est lui offrir une relation dans laquelle il va pouvoir trouver des possibles différents, des modalités d’expression différentes qu’il ne connaît peut-être pas encore. Cela suppose la présence à soi et à l’autre. Car dans cette alliance, l’ostéopathe est l’allié du sentiment de vie du patient, ce qui nécessite un profond respect de l’autre, de ses expressions corporelles, émotionnelles, sentimentales, psychologiques et spirituelles.
Les conditions de l’alliance
Dans cet espace de rencontre intersubjectif, cet « écart dans l’entre », véritable lieu où chacun se reconnaît comme identique et pourtant différent, et où chacun est reconnu dans l’originalité de son propre déploiement corporel existentiel, il n’est porté aucun jugement de valeur ni proposé aucune interprétation de ce qui est montré corporellement et de ce que le patient dit de lui-même.
Ceci permettra alors que soit respecté « ce qui constitue l’humanicité de l’homme, sa capacité à éprouver, appelée affectivité, cette grande force dynamique d’intégration des structures de la conscience » (Galacteros).
L’ostéopathe se servira de sa capacité à mettre sa propre tridimensionnalité entre parenthèse, c’est-à-dire ne donnera pas de sens à ce qui se passe entre lui et le patient. Dans cette alliance, l’ostéopathe s’appuiera sur le patient puisque le patient nous aide à l’aider !
PS. Une étude sur le concept grec “ZOÉ” rapproché du concept de “Biogène” apporterait sûrement d’autres éclairages
A suivre…
Cet article fait partie d’un ensemble appelé Ressources de l’Ostéopathie dont la présentation en a été faite lors des 14e Rencontres d’Ostéopathie comparée en juin 2019.
Notes
[1] Oliver P. Thomson, Nicolas J. Petty, Ann P. Moore, Reconsidérer le centrage sur le patient en ostéopathie. Article paru dans l’International Journal of Osteopathic Medicine, Volume 16, Issue 1, pages 25-32, Mars 2013 sous le titre Reconsidering the patient-centeredness of osteopathy, traduit par Pierre Tricot et publié sur le Site de l’Ostéopathie le 20 mai 2014 avec l’autorisation d’Elsevier. Les citations de ce paragraphe sont extraites de cet article. https://www.revue.sdo.osteo4pattes.eu/spip.php?article2209
[2] Alain Finkielkraut, La sagesse de l’amour. Paris 1991, Folio essais n°86, p.12. Toutes les citations de cet auteur dans cette partie viennent de ce livre que nous citerons par « AF »
[3] Emmanuel Levinas, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Vrin, 1974 p.178. Cité par A. Finkielkraut, op.cit., p.28-29.
[4] Emmanuel Levinas, idem, p.125. Cité par A. Finkielkraut, op.cit., p.30.
[5] Dr Emmanuel Galacteros, Phénomène de rencontre et alliance sophronique. Article paru dans la revue des sophrologues caycédiens de langue française, Sophrologie caycédienne en médecine et sciences humaines. N° 6 à 9, années 1994-1995, que nous citerons par « EG ».
[6] Michel Guerry Précision sémantique, en ligne, accessible à http://la.parenthese.pagesperso-orange.fr/precision%20semantique%20de%20michel%20guerry.htm (consulté le 08/10/2019).
[7] Michel Henry, Ce que la science ne sait pas. Texte paru dans la revue La Recherche, n°208, mars 1989, [en ligne], accessible à : http://www.palim-psao.fr/article-10642826.html (consulté le 08/10/2019).
[8] « La « vivance », c’est la vie en train de faire l’épreuve de soi-même, dans son existence, dans son pur pathos, c’est-à-dire avec ses modalités « souffrantes » et « jouissantes », qui peuvent d’ailleurs se manifester ensemble, car on peut souffrir et jouir en même temps ». Michel Guerry, art.cit.
[9] Comme pour « ressource », je m’aide ici du philosophe François Julien dans son livre Entrer dans une pensée, suivi de L’écart et l’entre. Folio essais 639, 2018, qui, s’il n’explique pas à proprement parler la relation d’aide, nous montre tout le parti que l’on obtient de l’altérité, créée par écart de l’entre.
[10] Daval René, « Les fondements philosophiques de la pensée de Carl Rogers », Approche Centrée sur la Personne. Pratique et recherche, 2008/2 (n° 8), p. 5-20. DOI : 10.3917/acp.008.0005. URL : https://www.cairn.info/revue-approche-centree-sur-la-personne-2008-2-page-5.htm (consulté le 08/10/2019).
[11] Michel Guerry, art.cit.
[12] Daval René, art.cit.
[13] Zech, Emmanuelle. « Que reste-t-il des conditions nécessaires et suffisantes au changement thérapeutique ? Une synthèse des évaluations critiques réalisées 50 ans après l’article de Carl Rogers publié en 1957 », Approche Centrée sur la Personne. Pratique et recherche, vol. 8, no. 2, 2008, pp. 31-49.
[14] Kahn, Edwin, et Françoise Ducroux-Biass. « Carl Rogers plus pertinent aujourd’hui que Freud », Approche Centrée sur la Personne. Pratique et recherche, vol. 8, no. 2, 2008, pp. 21-24.
[15] Il est évident – et c’est mieux de le dire – que nous ne mettons pas ici en cause l’importance du diagnostic d’opportunité ni du diagnostic fonctionnel dans la démarche de soin de l’ostéopathe. Nous soulignons seulement que ce diagnostic n’apporte rien à la relation de personne à personne. Ces deux diagnostics seront indispensables par la suite, une fois l’alliance thérapeutique effective.
Une phénoménologie de la rencontre
Merci Jean Louis pour la richesse de cette réflexion.
Deux pensées méritent un réflexion plus approfondie:
– Je n’ai pas de certitude dans le fait que tout le monde connait la vie biologique. Je suis souvent interpellé par le manque de connaissance de cette part là de notre vie dont les manifestations sont subies la plupart du temps. Interprétées comme des maladies, leur traitement n’amènent que rarement à une réflexion sur soi et soi par rapport à l’autre.Incomprises, elles suscitent des envies d’éradication, de négationnisme de soi et de leur manifestation de notre interaction avec notre environnement.
– Je ne sais rien d’un patient qui me rencontre que ce soit au début ou à la fin de la consultation. Cela est à différentier de l’opinion que je me fait de lui ou d’elle de l’entretien à la conclusion de notre échange. Ce qui est touché chez moi (mes peurs, mes croyances, etc…) va inévitablement orienter notre interaction et certainement poser la question de la véritable nature de notre alliance, ainsi que de sa durée. De même, sommes nous en droit de nous interroger sur la contrainte que pose son établissement.
Il me semble que nous avons là affaire à un lien passionnel, immatériel entre deux individus totalement séparé de l’action thérapeutique qui l’accompagne.
Amitiés
Bernard
Une phénoménologie de la rencontre
Sur la vie biologique, il s’agit de ce que Merleau-Ponty en dit : Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme, comme on voudra dire, en ce sens qu’il n’est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l’être simplement biologique − et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, … Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception,1945, p. 221.
En ce qui concerne la relation, peut-être faut-il reprendre ce qu’en dit Andreva Duval dans son petit livre “Introduction aux techniques ostéopathiques d’équilibre et d’échanges réciproques, 1976, p.11-12 sur les trois opinions du patient, de l’ostéopathe et des tissus
De même rapprocher cela de la “présence” :
Trois champs émergent dans ce modèle : la préparation pour la présence thérapeutique – c’est-à-dire la préparation avant la séance et dans la vie quotidienne, le processus de la présence – c’est-à-dire les processus ou les activités de la personne quand elle est présente de manière thérapeutique, et l’expérience de la présence pendant la séance. L’état de présence est décrit comme étant le fondement des conditions fondamentales de la relation thérapeutique selon Rogers – l’empathie, la congruence et le regard positif inconditionnel – et en même temps comme étant la condition qui permet leur expression. Voir : Geller, S. & Greenberg, L. (2005). La présence thérapeutique: L’expérience de la présence vécue par des thérapeutes dans la rencontre psychothérapeutique. Approche Centrée sur la Personne. Pratique et recherche, 1(1), 45-66. doi:10.3917/acp.001.0045.
Justement la relation thérapeutique dépend de l’état de présence du thérapeute, de la manière dont il se prépare et est capable de mettre entre parenthèse ses propres opinions personnelles, ce qui est touché chez lui – s’il réagit à cela, il n’est plus dans la présence nécessaire pour le soin
Cette réflexion que je porte depuis pas mal de temps n’est en rien un absolu : elle est un premier essai qui – du moins je l’espère – devrait se développer avec la réflexion de chacun, comme tu viens de le faire, mon cher Bernard