Wharton Hood, md, mrcs** : Sur ce qu’on appelle « reboutement » – Sa nature et ses résultats * – 1er article – Traduction Pierre Tricot.
La plupart des praticiens en chirurgie ont appris, à leurs dépens, qu’une grande proportion de cas de perte de mobilité ou d’usage de membres consécutifs à blessure échoue bien souvent chez une catégorie d’hommes appelée « rebouteux ».
* Article paru en deux parties dans les numéros de juin et de juillet 1871 de la revue The Lancet. Traduction Pierre Tricot, novembre 2012.
** MRCS : Membership of the Royal College of Surgeons – Membre du Collège Royal de Chirurgie.
Titre original : « On the co-called “bone-setting” its nature and results » The Lancet, June 1871, p. 304-310
Les titres sont de la rédaction du Site de l’Ostéopathie
Présentation
La plupart des praticiens en chirurgie ont appris, à leurs dépens, qu’une grande proportion de cas de perte de mobilité ou d’usage de membres consécutifs à blessure échoue bien souvent chez une catégorie d’hommes appelée « rebouteux ». Dans tous ces cas, ces hommes ont coutume de dire que l’os ou l’articulation affectée est « démise, » quand bien même n’existe absolument aucun signe anatomique de déplacement ; et sur ce, ils procèdent à des manipulations grâce auxquelles dans de nombreux cas, le patient guérit rapidement. Lorsqu’ils condescendent à évoquer les rebouteux et leurs œuvres, les professeurs de chirurgie, sont plus enclins à mettre l’accent sur les blessures parfois occasionnées par les maniements soi-disant « rudes » des rebouteux que sur les améliorations qu’ils obtiennent souvent. Il est sans aucun doute judicieux de mettre en garde les étudiants contre le fait de tordre une articulation enflammée ou ulcérée, ou de tirer dessus ; mais il serait également bienvenu de s’enquérir attentivement de la nature des cas dans lesquels les rebouteux agissent positivement, ainsi que sur la nature des changements apportés par leurs manipulations. Dans une conférence clinique publiée dans le British Medical Journal il y a trois ans, M. Paget a produit une tentative de ce genre ; mais il a procédé avec le désavantage d’être guidé par son idée préconçue quant à la nature du traitement du rebouteux. Je vais ci-dessous démontrer que ses idées préconçues sont par certains aspects erronées, et qu’en conséquence, ses conclusions ne sont pas toujours correctes. Si, à présent, j’évoque son autorité, c’est uniquement pour montrer la grande importance pratique des questions ici discutées. Il dit à ses étudiants : « Il est probable que peu d’entre vous n’auront pas, au cours de leur pratique, l’occasion d’affronter quelque ennemi rebouteux : et si celui-ci parvient à guérir un cas pour lequel vous avez échoué, cela peut faire sa réussite, au détriment de la vôtre. » À première vue, il peut sembler que les conditions évoquées par M. Paget ne soient susceptibles de se réaliser que dans la pratique d’un chirurgien de piètre qualité, et parmi les praticiens les moins bons et les plus ignorants de la communauté. Cette présomption est pourtant bien éloignée de la vérité car j’aurais à rapporter des exemples dans lesquelles les échecs ont été ceux d’homme non moins réputés que M. Paget lui-même, et dans lesquels les patients occupaient des positions bien en vue. De tels cas, non seulement nuisent sérieusement à la réputation individuelle du praticien, mais discréditent également l’art de la chirurgie dans l’esprit du public. Je pense qu’ils rendent obligatoire à quiconque en possède la possibilité, de placer devant la profession un clair compte-rendu concernant ce que l’on appelle reboutement, évoquant ses méthodes, ses échecs et ses succès. Mais avant de faire cela, il est nécessaire d’évoquer la manière dont j’en suis venu à posséder l’information requise.
Richard Hutton
Il y a à peu près quatre ans, mon père, le Dr Peter Hood, a soigné feu M. Hutton (1), le fameux rebouteux et, avec l’aide du Dr Iles de Watford, l’a suivi tout au long d’une grave maladie. Lorsqu’il fut guéri, considérant l’aide considérable qu’il avait apportée à tant de pauvres gens, mon père refusa le moindre paiement de la part de M. Hutton. M. Hutton s’est alors senti particulièrement redevable et réellement désireux de faire quelque chose pour témoigner sa gratitude. En remerciement de la sollicitude dont il avait été l’objet, il proposa d’expliquer et de montrer tous les détails de sa pratique de rebouteux. La pression du travail empêcha mon père de donner suite à cette proposition et M. Hutton la dériva sur moi. Après quelque temps de réflexion, je décidai de l’accepter ; et en conséquence, et en fonction du temps dont je disposais, d’assister aux consultations que M. Hutton dispensait dans sa maison londonienne. Ma décision ne fut pas seulement dictée par la curiosité que je ressentais à l’idée de voir la manière dont il traitait les cas qui se confiaient à lui, mais également par le désir de publier dans quelque temps futur à l’attention de la profession, toute compréhension que je pourrais acquérir quant à l’apparent mystère des ses fréquents succès. Je ne me sentis en revanche pas le droit de publier quoique que ce soit du vivant de M. Hutton, parce que, bien qu’il n’ait à ce propos posé aucune condition, il transmettait librement ce qu’il pensait et s’autorisait à penser avec impartialité, un secret important et de grande valeur. Je n’ai cependant pas hésité à discuter des ses méthodes avec des amis proches ; et le récent décès de M. Hutton m’a libéré des scrupules qui me retenaient de faire connaître plus largement ces méthodes.
Au cours d’une seconde maladie qui frappa M. Hutton, je fus amené à prendre en charge les patients les plus démunis qu’il avait l’habitude de recevoir gratuitement, et découvris que je pouvais aisément accomplir tout ce que je l’avais vu faire. Je refusais cependant de prendre en charge la partie rémunérée de sa pratique et pour cette raison et quelques autres, ma relation avec lui cessa environ deux années avant sa mort. J’ai cependant découvert que notre relation avais duré suffisamment longtemps pour me permettre d’accéder à une connaissance dont la nature n’est pas transmise dans l’enseignement de la chirurgie classique, savoir, qui, guidé par la connaissance de l’anatomie, s’avère d’une valeur pratique inestimable, aussi bien dans les traitements préventifs que curatifs.
Dans les articles qui vont suivre, je me propose, par conséquent, de donner un bref compte-rendu des points les plus marquants des méthodes de M. Hutton dans les traitements des articulations endommagées, des résultats de ces traitements, et des catégories de cas dans lesquelles ils furent efficaces. Et en premier, je me dois d’évoquer la parfaite bonne foi et la grande honnêteté de M. Hutton. Il n’avait reçu aucune instruction, ignorait totalement l’anatomie et croyait fermement en la vérité de l’affirmation ordinaire selon laquelle « l’articulation était démise. » À ses yeux n’existait pas d’autre explication possible à la répétition constante des événements. Une articulation rigide, douloureuses et impotente se trouvait, grâce à son maniement, presque instantanément rétablie dans sa liberté et sa fonction, le changement s’accompagnant très souvent d’un son audible qu’il considérait comme la preuve du retour de l’os à sa place. Lorsque ce bruit, si plaisant à son oreille, se faisait entendre, il se tournait vers le patient et disait, dans son patois : « Z’avez entendu ça ? » La réponse venait : « Oui » ; et il rétorquait : « Maintenant vous voilà guéri – servez-vous de votre jambe. » Pour le patient (probablement aussi ignorant de l’anatomie que M. Hutton) qui était arrivé avec des béquilles, souvent après un long traitement chirurgical et qui repartait « en marchant et en sautillant, » il n’est pas surprenant que l’explication ait paru largement suffisante.
Lors de mes premières rencontres avec M. Hutton, j’ai souvent essayé de discuter avec lui des problèmes présentés, tentant d’expliquer ce qu’il avait fait en réalité. Mais je me suis vite rendu compte que si je désirais vraiment apprendre quelque chose de lui, je devais me contenter d’être attentif et de le regarder opérer. Il avait atteint un degré de confiance qu’il était impossible d’ébranler.
Première rencontre, première guérison
Lors de la première visite que je lui rendis, M. Hutton me demanda de l’accompagner chez un homme que j’appellerais M. A- et dont M. Hutton s’était occupé deux années auparavant. Alors qu’il était assis sur une chaise, dans sa cuisine, cet homme se précipita à la rencontre d’un ami. Au moment où ses pieds touchèrent le sol, il tourna le corps sans les bouger et, en faisant cela, tordit ou força violemment son genou gauche. Il ressentit sur l’instant une très forte douleur dans l’articulation, douleur qui dura une heure ou deux, puis diminua graduellement au cours de la journée. Il put continuer à vaquer selon ses besoins. Dans la nuit, il fut réveillé par une douleur grandissante et s’aperçut que son genou était très enflé. M. A- était le frère du professeur d’obstétrique d’un des principaux collèges médicaux de Londres et reçut les meilleurs avis chirurgicaux que Londres pouvait lui dispenser. On lui prescrivit le repos du membre et l’application de chaleur et d’humidité. Il obtint ainsi quelque diminution de la douleur, mais le genou demeurait enflé. Il arriva finalement chez M. Hutton qui déclara immédiatement que son genou était « démis, » et proposa de le replacer. Rendez-vous fut pris dans ce but, mais entre temps, le patient consulta d’autres éminents chirurgiens et il écrivit à M. Hutton pour décommander son rendez-vous. Au cours des deux années qui suivirent, il reçut divers traitements chirurgicaux, sans obtenir de soulagement significatif, ce qui le fit se tourner de nouveau vers M. Hutton. C’est lors de cette seconde visite que j’accompagnai M. Hutton et ce que je vis m’impressionna particulièrement. Le genou de M. A- était bandé et une fois la bande enlevée, il nous apparut très enflé, la peau brillante et décolorée. L’articulation était immobile, très douloureuse sur la partie interne. M. Hutton plaça tout de suite son pouce sur un point au-dessus du bord inférieur du condyle interne du fémur, ce qui déclencha une vive douleur chez le patient et le fit sursauter. Sans s’attarder davantage à examiner le membre, M. Hutton lui dit : « Qu’est-ce que je vous ai dit, il y a deux ans ? » M. A- répondit : « Vous m’avez dit que mon genou était démis. » « Et je peux vous dire la même chose aujourd’hui » répondit M. Hutton. « Pouvez-vous le remettre en place » demanda M. A- ? « Oui, je peux » « Alors, ce serait bien de le faire. » dit M. A- en lui montrant sa jambe. M. Hutton différa son intervention d’une semaine ; il ordonna d’envelopper l’articulation avec des cataplasmes de graines de lin et de le frotter avec de l’huile de pied de bœuf, donna un rendez-vous et s’en alla. Pendant qu’ils discutaient, j’en profitais pour examiner attentivement la jambe, ce qui me confirma qu’il n’existait aucune dislocation. Ma conclusion fut que le bon traitement était le repos et l’immobilité. La semaine suivante, je me rendis à nouveau chez M. A- et M. Hutton arriva tout de suite après moi. « Comment va ce genou ? » demanda-t-il ? « Je le trouve un peu mieux. » – « Vous avez pu le bouger ? » « Non. » – « Faites voir. » La jambe était étendue et M. Hutton se tenait devant le patient qui hésita à montrer sa jambe. « Vous êtes vraiment certain qu’il est démis et que vous pouvez le remettre en place ? » Il y eu un moment de silence, puis : « Donnez-moi votre jambe vous dis-je. » Non sans réticence, le patient s’exécuta et leva lentement la jambe pour la présenter à M. Hutton. Celui-ci s’en saisit, les deux mains entourant le mollet, puis, maintenant fermement le pied en enserrant le talon entre ses deux genoux, il plaça le pouce de la main gauche étendu en appui sur le point douloureux de la partie interne du genou. Il demanda au patient de rester assis, bien stable sur sa chaise. À ce moment, je pense que celui-ci aurait bien aimé reprendre le contrôle de sa jambe. M. Hutton inclina le genou vers sa droite, aidant avec les mains le mouvement de rotation qu’il imprimait sur la jambe. Il maintint une pression ferme de son pouce sur le point douloureux et fléchit soudain le genou. Le patient émit un cri de douleur. M. Hutton rabaissa la jambe et lui enjoignit de se lever. Il le fit, déclarant immédiatement pouvoir mieux bouger sa jambe et ne plus ressentir le point auparavant si douloureux. M. Hutton lui conseilla de l’exercice journalier modéré et sa guérison fut rapide et complète. Quelques jours plus tard, il put retourner au travail et de ce jour jusqu’à sa mort, survenue trois ans plus tard, son genou ne lui posa plus aucun problème.
L’honorable Spencer Ponsonby
Un cas non moins remarquable fut celui de l’honorable Spencer Ponsonby qui, à l’époque, retint énormément l’attention. Comme M. Ponsonby a eu la gentillesse d’écrire pour moi l’histoire de son cas, et puisque sa description est particulièrement imagée, je ne puis faire mieux que de vous la présenter telle qu’elle m’est parvenue. Je dois juste signaler que les initiales A, B, C, etc., représentent les noms de personnages de considérable réputation au sein de la profession.
« Le 26 novembre 1864, en courant dans le jardin de Croxteth, près de Liverpool, je suis tombé et j’ai entendu à ce moment quelque chose craquer dans le mollet de ma jambe gauche. La douleur fut tellement vive que je m’écroulai tel un lapin sous la balle du chasseur et que j’eus bien du mal à regagner mon foyer à quelques mètres de là. Je mis immédiatement ma jambe à tremper dans un seau d’eau chaude et l’y laissais pendant une heure. Le lendemain, ne me sentant pas mieux, j’allais voir un médecin du voisinage qui me dit que j’avais claqué un muscle et que je devrais rester tranquille quelques jours. Il frotta avec quelque forte pommade ; il n’y avait pas de signe d’inflammation et il mit en place une attelle de cuir. Après deux ou trois jours, je fus capable de marcher en boitillant ; mais étant rappelé par télégramme à Londres et arrivant dans une maison déserte, je heurtais mon orteil contre un clou dépassant du plancher et me blessais vraiment méchamment.
« À partir de ce moment (2 décembre) jusque début mai, je fus suivi en consultation par M. A et M. B qui furent tous deux d’accord pour dire qu’il y avait une rupture de la gaine du mollet (je crois qu’ils l’appelaient gastrocnémien) et qui m’ont traité en conséquence. Parfois, ma jambe allait mieux ; mais la moindre sollicitation provoquait douleur et fragilité.
« À partir du 2 mai, je fus pris en charge par M. C. Il fut d’accord avec le diagnostic de ses confrères, mais pensa que j’avais une faiblesse constitutionnelle et me donna du fer et autres produits, qui n’eurent aucun effet. Ma jambe fut également placée dans un engin métallique, afin de soulager le muscle du mollet du poids de la jambe. Un autre éminent chirurgien vint me consulter le 24 juin. Il fut d’accord avec le traitement de M. C et avec son idée de faiblesse ; de même le Dr D, consulté lorsque je vins à Wildbad.
« Le 14 août, comme il n’y avait aucune amélioration, M. C a mis ma jambe dans un plâtrage élastique pour un mois. Je partis alors en croisière, tout en laissant ma jambe au repos complet pendant ce temps. Mon état de santé qui s’était détérioré progressivement s’améliora grâce à l’air marin, mais ma jambe n’allait pas mieux. Le chirurgien du bateau, le Dr E, m’examina également et fut d’accord quant à la cause du handicap, mais dit : ‘Une veille femme pourrait vous guérir, mais pas un docteur.
« Le 7 septembre, le plâtrage élastique fut enlevé et on essaya le courant galvanique pendant près de trois semaines. À la fin de cette période, je partis pour une croisière en bateau de quatre mois, et pendant tout le temps du voyage, reçus de douches d’eau de mer. Pendant tout ce temps, je me déplaçais systématiquement avec des béquilles ou avec deux cannes. Grâce à la croisière en mer, ma santé s’était considérablement améliorée, mais ma jambe était telle qu’auparavant et avait diminué de moitié.
« Le 5 avril, M. F commença à traiter ma jambe avec son système. Son idée était que les muscles étaient séparés, mais que si on rapprochait les deux parties, elles se rejoindraient. Je portais une botte à haut talon pendant la journée et pendant la nuit, mon talon était fixé de manière à être maintenu dans la même position. Aucune amélioration ne fut amenée par ce traitement et, en conséquence, après un mois d’essai, j’allais voir M. Hutton qui, en voyant mon haut talon s’écria : ‘Pourquoi portez-vous ce machin ?’ ‘Vous voulez donc vous estropier ?’ Je commençais à lui rendre compte des opinions des différents chirurgiens concernant mon cas, lorsqu’il dit : ‘Ne m’ennuyez pas avec l’anatomie ; je n’y connais absolument rien ; mais je peux vous dire que votre cheville est déplacée et que je peux vous la replacer.
« Comme il partait quelques semaines pour le Nord, il ne put entreprendre mon traitement et je retournais le voir le 27 juin, en lui disant que pendant ce temps, j’avais consulté des chirurgiens qui m’avaient assuré qu’il y avait peut-être des choses qui n’allaient pas chez moi, mais certainement pas la cheville qui était ‘tout à fait bien,’ mais que je voulais néanmoins me soumettre à son traitement. Il m’examina de nouveau très attentivement, commençant à l’os de la cheville et il plaça alors son pouce à un endroit pour moi très douloureux, comme une piqûre par une aiguille très pointue. Il commença à opérer sur moi ; après un certain temps, il y eut un changement très net et à partir de ce moment, la douleur disparut. M. Hutton me demanda de marcher doucement, de ne prendre aucun exercice violent pendant un bon moment et d’utiliser de l’eau froide en abondance. À partir de ce moment, ma jambe s’améliora progressivement. En septembre, je pus aller à la chasse sans problème et le 14 octobre, ayant raté un train, je pus marcher 20 km sur la route pour rentrer à la maison. L’année qui suivit, j’ai pu reprendre le cricket, le tennis et d’autres exercices intenses et je les continue depuis.
« J’ai oublié d’indiquer que le 5 juillet 1866, à peu près une semaine après ma première opération, je me blessai à nouveau à la jambe au cours d’un exercice trop violent, ce qui me fit boiter comme jamais auparavant. M. Hutton recommença son traitement et je n’eus par la suite aucune rechute. Sa conclusion fut que l’os de la cheville étant mal placé, les muscles étaient eux-mêmes mal placés et ne pouvaient pas se réparer. »
Article du journal Echo
Ces deux cas, choisis parmi de nombreux autres, permettent d’illustrer les faits que je vais bientôt évoquer et j’en fais mention dans le but de montrer que l’art du rebouteux a permis de compléter la meilleure chirurgie accessible en Angleterre et de guérir des patients ayant des situations sociales élevées. Dans le même but, je retranscris ici une lettre qui a été publiée dans le journal Echo de mars de l’année dernière, dans le but de démontrer les sortes d’effets que les traitements efficaces sont susceptibles de produire sur le grand public :
« Monsieur,- Il y a peu de temps, un peintre qui travaillait pour moi est tombé d’un étage, se blessant gravement ; il fut envoyé au Bartholomew Hospital. Il y resta à peu près trois semaines, avant d’être renvoyé comme guéri, alors même qu’il ne pouvait marcher sans béquilles. Après une quinzaine de jours, ne constatant aucune amélioration, je l’envoyai voir M. Hutton, de Wyndham Place, Crowford Street, qui trouva que son genou et sa hanche gauches étaient tous deux démis. Il les replaça correctement. Et depuis lors, l’homme peut venir normalement à son travail, comme il avait l’habitude de le faire avant son accident.
« Je connais plusieurs cas semblables démontrant l’incapacité de la profession chirurgicale. On apprend aux étudiants comment amputer bras et jambes et comment faire des invalides, mais aucun d’eux ne sait quoi faire sur les déplacements, ce qui éviterait pourtant bien des amputations. Personnellement, et grâce aux interventions de M. Hutton, j’ai pu éviter à deux personnes de se voir amputer de la jambe. Cette question mérite la plus grande attention, en vue d’établir un hôpital spécialisé dans les déplacements. Je suis tout à fait prêt à aider et à souscrire beaucoup, dans le cas où ce projet viendrait à se réaliser. Votre respectueux, Thomas Lawes. 65, City Road »
Des traitements brutaux des rebouteux
Un homme capable de guérir un défaut devrait être écouté quant à l’interprétation de sa nature ; et un chirurgien ne fait qu’exciter l’incrédulité dans les esprits des non-professionnels lorsqu’il refuse l’idée qu’aucun déplacement n’a jamais existé dans aucun des exemples évoqués ci-dessus. Mais voilà le fait ; et les déplacements, dans le sens conventionnel de ce terme, n’existent pas dans les cas traités avec succès par M. Hutton.
J’ai déjà parlé des descriptions données dans les conférences, évoquant les « traitements brutaux » des rebouteux et les blessures qui en ont résulté. Les rebouteux sont nombreux et, parmi tous ceux que je connais, beaucoup seraient susceptibles d’être ainsi évoqués. Mais pour ce qui concerne M. Hutton, un tel jugement serait immérité. Comme d’autres personnes, il a pu commettre des erreurs, et avoir mobilisé des articulations qu’il aurait mieux valu ne pas toucher ; mais ces cas sont très certainement exceptionnels. Il a des indications auxquelles il se fie et qui lui disent quand il peut être utile ; et j’aurais à montrer que ces indications, qu’il tenait de la tradition ou de l’expérience personnelle, étaient en parfaite harmonie avec les faits anatomiques et pathologiques, et n’étaient, par conséquent, pas susceptibles de conduire à des erreurs. Pour ce qui concerne les « traitements brutaux, » il utilisait effectivement la force ; et dans toutes mes premières tentatives de traitement de cas, j’ai fréquemment échoué parce que, me retenant par peur de faire des dégâts, je n’utilisais pas suffisamment de force. Mais la force était appliquée d’une manière très précise, afin d’atteindre l’objectif déterminé et cessait dès que cet objectif était atteint. Il n’y avait aucun mouvement hasardeux ou sans objectif ; bien au contraire, seulement un mouvement dont chaque étape était réfléchie et planifiée avant exécution, tout comme les mouvements du chirurgien lors de la réduction d’un véritable déplacement.
Dans le second article, je m’emploierai à décrire les cas traités, à la fois dans les aspects où ils se présentaient à un observateur non-professionnel, et également en accord avec ce que j’imagine être leur véritable pathologie.
Les patients qui recherchaient l’aide de M. Hutton, avaient, dans une large proportion d’entre-eux, reçu un traitement chirurgical pour quelque blessure ; et je ne puis décrire de cas plus typique, ni plus fréquent que celui qui suit :
Fracture de l’avant-bras
Un homme en parfaite santé se fit une fracture d’un ou des deux os de l’avant-bras et alla à l’hôpital où des attelles furent placées comme à l’habitude. Il devint patient externe et à l’occasion, les attelles furent retirées et replacées. Après un certain nombre de semaines, les os s’étant solidement ressoudés, on enleva les attelles et le malade fut renvoyé comme guéri. Il dit qu’il ne pouvait utiliser ni son poignet, ni sa main, ni son avant-bras, mais on l’assura que cette difficulté provenait seulement de l’enraidissement consécutif à la longue période d’immobilisation et qu’elle disparaîtrait rapidement. Au lieu de disparaître, cela ne fit que s’aggraver, ce qui l’amena à consulter M. Hutton. Bras et avant bras étaient fléchis quasiment à quatre vingt-dix degrés ; l’avant-bras était bloqué dans une position intermédiaire entre pronation et supination ; la main était dans son alignement ; et les doigts étaient étendus et rigides, le patient incapable de les bouger, incapable également de bouger poignet et coude. On pouvait mobiliser passivement dans un degré très limité, mais cela était particulièrement douloureux, notamment en des points très localisés à proximité de chaque articulation, points qui étaient également très douloureux à la pression. M. Hutton dit à l’homme que son poignet et son coude étaient « démis. » L’homme fit remarquer que la blessure intéressait le milieu de l’avant-bras – consécutives, sans doute, à quelque coup ou autre violence directe. M. Hutton lui répondit qu’effectivement, le bras était cassé, comme indiqué, mais que le poignet et l’épaule s’étaient trouvés dérangés en même temps et que les docteurs n’avaient pas remarqué ces blessures. Alors, à l’aide d’une rapide et habile manœuvre que je décrirais ultérieurement, il vint à bout de la rigidité des doigts, ce qui permit au patient de les bouger à nouveau. Le bénéfice acquis sur l’instant, vainquit la réticence du patient à confier son poignet et son coude à la manipulation ; et les deux furent promptement rendus à leur mobilité. L’homme partit en pouvant facilement étendre et fléchir ses articulations, si rigides l’instant d’avant, pleinement convaincu qu’en étant resté aux mains des docteurs, il aurait pu leur garder rancune.
Indications et contre-indications
Les cas de mobilité détériorée suite à des maladies touchant les articulations ou leur environnement étaient également fréquents ; mais il intervenait rarement dans les cas de maladies articulaires en évolution. M. Hutton évitait de manipuler une articulation qui lui paraissait enflammée ou sur laquelle existaient une rougeur ou une chaleur manifestes ou de laquelle s’écoulait du pus ; et je l’ai très rarement vu opérer lorsqu’existaient des cavités ouvertes à proximité.
En règle générale, il s’agissait de cas chroniques et l’existence de quelque légère mobilité (même très légère) semblait une condition indispensable pour réussir ; et les principales demandes concernaient la douleur. La fréquente remarque de M. Hutton : « s’il n’y a pas de douleur, je ne peux pas faire grand chose, » montre la valeur qu’il accordait à ce symptôme. Des conditions habituellement traitées, je peux donner la classification suivante :
- 1. Raideur et douleur articulaires consécutives à la fracture d’un os les constituant. Ces cas sont de deux types : (a) articulations simplement raides, ainsi arrangées suite à des exigences de mouvement, et en ayant été incluses dans les attelles posées pour réduire la fracture ; et (b) articulation raides et enflées qui ont été plus ou moins impliquées dans le traumatisme original.
- 2. Foulures récentes ou anciennes, mais qui ont été traitées par une mise au repos imposée.
- 3. Articulations maintenues volontairement au repos pour éviter la douleur, que ce soit après quelque traumatisme les concernant directement ou concernant les tissus mous environnants, ou bien suite à quelque maladie douloureuse affectant ces derniers – par exemple, une épaule douloureuse à la suite de l’inflammation et de la suppuration de la bourse située sous le muscle deltoïde.
- 4. Articulation rhumatisante ou goutteuse.
- 5. Cartilages déplacés.
- 6. Enflure de ganglions sur le carpe.
- 7. Subluxations d’os du carpe et du tarse.
- 8. Tendons déplacés.
- 9. Articulations hystériques.
Les manipulations des cas de presque tous ces types m’ont pleinement convaincu que lorsqu’une articulation est maintenue au repos, elle est susceptible de créer des changements affectant sa structure propre ou celle de structures associées qui aboutiront à une réduction de sa mobilité. Il est probable que certains états constitutionnels comportent une propension plus marquée à de telles modifications, qui se produisent donc de manière plus ou moins rapide selon les personnes. Il serait difficile d’évoquer leur siège ou leur nature avec certitude sans recourir à un examen anatomique ; mais elles résistent à la mobilisation passive avec une sorte de résistance élastique, comme si les articulations étaient empêchées par de forts ligaments ou tissus fibreux. Il se peut que dans certains cas, les ligaments de l’articulation puissent se contracter ou se rigidifier, ou devenir adhérents aux parties adjacentes ; dans d’autres cas, des bandes fibreuses adventices ont pu se constituer ; dans d’autres, les muscles ont pu se rétracter. À nouveau, l’hémorragie a pu se solidifier et ainsi empêcher le mouvement comme un état analogue à une charnière rouillée. Il est même probable que l’un des effets du repos soit de diminuer les secrétions (le stimulus naturel donné par le mouvement étant supprimé) à la fois dans les articulations et dans les feuillets tendineux ; et ainsi, se produirait une sorte de sécheresse non naturelle, analogue à celle que nous pouvons supposer exister dans le cas d’un cheval « poussif au démarrage. » Dans tous ces cas, cependant, l’empêchement du mouvement devient source de douleur lorsqu’une mobilisation est tentée ; et la douleur est donc souvent envisagée comme une indication à demeurer au repos. Un patient peut souvent induire son chirurgien en erreur en disant que l’articulation affectée « semble faible, » une expression qui semble naturellement suggérer l’utilisation de quelque forme de soutien mécanique. Lorsque celui-ci est porté, il donne un léger regain de force, mais une fois ôté, la condition antérieure réapparaît, inchangée. Dans ces cas, « faiblesse » signifie que l’articulation ne peut être mobilisée sans douleur et les gens utilisent ce mot uniquement parce qu’ils ne savent pas comment décrire précisément la condition existante. Quiconque a souffert de lumbago comprendra parfaitement cela. Une personne ainsi souffrante ressent de la « faiblesse » en ce sens que la capacité à se relever de la position couchée semble avoir disparue. Elle n’a pas vraiment disparu, mais il existe une crainte instinctive à mettre les muscles concernés à contribution ; et cette crainte envoie au cerveau une impression d’incapacité à bouger ne pouvant être surmontée que par un grand effort de volonté.
Essai d’explications des traitements
Cela étant, les cas dans lesquels l’intervention de M. Hutton a été efficace furent ceux dans lesquels quelque restriction de mouvement consécutive soit à une blessure, soit à un repos imposé consécutivement, soit aux deux ensembles, et dans lesquels les mouvements douloureux de l’articulation testés purent être immédiatement recouvrés grâce à la manipulation. Dans le cas de M. A, décrit plus haut dans cet article, il ne fait aucun doute que quelques bandes adventices empêchaient le mouvement et que l’un de leur attachement se trouvait sur le bord inférieur du condyle interne du fémur. Il y avait sur ce point de la douleur et le mouvement fut testé jusqu’à ce que cette bande soit mise en tension. La fréquente traction sur son insertion faisait que cette partie était constamment douloureuse sous la pression ; et son influence perturbante générale créait et maintenait une condition d’irritation et de gonflement au niveau de l’articulation. En fléchissant et en tordant brusquement la jambe, M. Hutton a rompu la bande ; et tous les troubles consécutifs à sa présence se sont réduits, immédiatement ou après quelque temps. Je l’ai vu souvent manipuler des articulations avec sur le moment, l’impression que ce traitement n’avait rien amélioré ; et pourtant, lorsque l’intervention était terminée, avec production de beaucoup de douleur, les patients exprimaient joyeusement leur sensation d’augmentation de force et de liberté dans le mouvement.
J’ai déjà mentionné que lors de mes premières tentatives, mes échecs à atteindre la libération recherchée étaient consécutifs au fait que je n’utilisais pas une force suffisante pour vaincre la résistance. Possédé par une peur parfaitement infondée d’exciter l’inflammation, j’étais trop précautionneux dans ma manière de faire. M. Hutton m’a souvent dit n’avoir jamais constaté d’augmentation de l’inflammation après ses manipulations ; et même s’il est possible que certaines personnes chez qui cela s’est produit ne le lui aient pas fait savoir, je n’hésite pas à dire qu’il ne faut pas avoir peur de voir cela se produire suite à la réduction du type de résistance au mouvement que je viens de considérer. De telles restrictions sont présentes à un degré plus ou moins important dans les quatre premières classes de cas ci-dessus énumérées ; cependant, dans la quatrième classe, celle des articulations rhumatisantes ou goutteuses, existent souvent d’autres modifications qui font que le traitement par le mouvement est d’utilité limitée. Les cas de cartilages déplacés sont également souvent accompagnés par une restriction volontaire de mouvement par peur de la douleur et, par conséquent, affectés par la formation de cette sorte d’adhérence ; et dans ces cas, la manipulation peut avoir le double effet de rompre l’adhérence et de rectifier le déplacement.
Les gonflements ganglionnaires au niveau du carpe sont souvent accompagnés de douleur et de faiblesse articulaire. La dureté de pierre qu’ils ont parfois les a fait considérer par M. Hutton comme des os déplacés ; il ne pouvait pas concevoir qu’un sac de fluide puisse donner une telle sensation à la palpation ; et lorsqu’il trouvait qu’ils disparaissaient sous la pression de son pouce, sous la pression et la flexion utilisée, il prétendait que l’os s’était remis à sa place.
Je pense que dans un nombre considérable de cas, des subluxations des os carpiens ou tarsiens étaient présentes. En utilisant le mot « subluxation, » je désire signifier quelque perturbation dans la relation normale d’un os, sans véritable déplacement ; et je crois qu’une telle perturbation peut être produite soit par la traction d’une bande d’adhérence à proximité de l’articulation, soit par une torsion ou quelque autre violence directe. Je ne vois aucune explication permettant d’expliquer le récit que nous a fait M. Ponsonby de l’accident dont il a été victime après la première manipulation de M. Hutton. Il semble clair que dans le premier exemple, la position artificielle si longtemps maintenue a permis la constitution de quelque sorte d’adhérence à proximité du tarse, le point exact où la douleur était si aiguë se trouvant sur la partie supérieure de l’articulation calcanéo-cuboïdienne, et que cette adhérence fut rompue et le pied rendu à sa liberté. Mais le handicap qui se produisit si rapidement après le surmenage du pied qui fut immédiatement supprimé par la manipulation doit sûrement être consécutive à quelques changements dans les relations ou opposition des surfaces articulaires.
Un déplacement de tendon est certainement d’occurrence beaucoup plus fréquente qu’on ne le suppose ; et en excluant plusieurs cas dans lesquels les symptômes étaient évidents, j’en ai vu beaucoup d’autres qui furent traités et dans lesquels l’altération dans l’apparence de l’articulation immédiatement après, ne peut s’expliquer que de cette manière. Dans ces cas, j’ai plusieurs fois suggéré à M. Hutton d’abandonner sa notion d’os déplacé et de chercher à percevoir la véritable caractéristique du changement. Il fut cependant imperméable à mon argumentation sur la question ; dans tous les cas pour lesquels son interventions avait remédié à un défaut, il demeura figé dans son explication.
Un certain nombre d’« articulations hystériques » furent traitées avec succès ; et dans ce cas, ce ne fut pas tant le traitement que l’homme et les circonstances présentes qui assurèrent la guérison.
Cas de certaines fractures
De ce qui vient d’être dit, on voit que M. Hutton excluait virtuellement de la catégorie des cas pour les quels il pouvait être de quelque utilité, tous ceux de véritable ankylose et ceux de maladie articulaire aiguë. On lui amenait rarement des cas de fracture récente ; et lorsqu’ils arrivaient, au moins pour les seules catégories de cas que j’ai pu voir, c’est-à-dire, fracture de l’avant-bras, de la clavicule et des doigts, il les traitait par bandes et bandages. Dans la fracture d’un des os de l’avant-bras, ce plan fonctionnait très bien, la fonction d’attelle étant assurée par l’autre os.
Dans les cas de fracture de clavicule, son plan consistait à appliquer trois morceaux de sparadrap ayant chacun environs 60 cm de long et 3 cm de large. Il fixait une extrémité de chaque morceau au centre du sternum et, en étirant doucement le sparadrap par dessus la fracture, il attachait l’autre extrémité dans le dos sous la pointe de l’omoplate. Le bras était suspendu en écharpe et les cas allaient généralement très bien.
On voyait occasionnellement de vieilles fractures non consolidées, qui repartaient invariablement sans amélioration.
Les dislocations dans le sens chirurgical du mot se limitaient quasiment à quelques vieux cas non réduits ; et dans ces cas, le bénéfice apporté n’allait guère plus loin que l’augmentation partielle de la mobilité de la tête de l’os dans sa nouvelle position.
Le traitement de R. Hutton
Après s’être assuré par son examen et ses questions que le cas présenté pouvait être traité par lui avec quelque chance de succès, la première étape suivie par M. Hutton était de tâter le pourtour de l’articulation affectée, à la recherche de quelque point douloureux à la pression, et dans toutes les manipulations subséquentes, il faisait très attention à fixer le point douloureux par une ferme pression du pouce. Ce point pouvait se trouver n’importe où à proximité de l’articulation, mais plus fréquemment sur la partie interne que sur la partie externe ; et pour chaque articulation, il avait une localisation privilégiée – pour la hanche, c’était au-dessus de la tête du fémur ; vers le milieu de l’aine ; pour le genou, il se situait sur le bord inférieur du condyle interne du fémur ; pour le coude, au-dessus du condyle interne de l’humérus, au poignet, sur l’os scaphoïde ou l’os semi-lunaire ; et ainsi de suite. Une fois trouvé le point douloureux, la partie proximale du membre affecté était fixée et la partie distale saisie fermement, la pression du pouce appliquée et maintenue sur le point douloureux et l’articulation soudainement fléchie ou étendue, parfois également, portée en abduction ou en adduction, selon le cas. La direction du mouvement dépendait essentiellement de la direction de la résistance ¨- un principe qui se présentait à l’esprit de M. Hutton sous forme de maxime selon laquelle « une articulation doit être remise à l’inverse de la direction dans laquelle elle a été démise. » La résistance des muscles était vaincue, ou au moins réduite au minimum, en tournant la partie du membre sous l’articulation autant que faire se peut sur son axe. Par ce moyen, les muscles étaient étirés en dehors de leur ligne d’action habituelle, ce qui les rendait presque sans force. Dans la conférence que j’ai déjà évoquée, M. Paget disait : « Les rebouteux mobilisent violemment les articulations contre la résistance musculaire, jusqu’à ce que les muscles soient épuisés et vaincus. » Pour ce qui concerne M. Hutton, cette description ne correspond pas aux faits, parce que grâce à sa manœuvre de rotation, il enlevait la résistance musculaire et ses manipulations ne duraient jamais suffisamment longtemps pour permettre aux muscles d’être « épuisés et vaincus. »
Tous les cas évoqués dans cette première partie étaient tous des exemples dans lesquels la liberté de mouvement fut rétablie en une seule intervention. Mais cela ne pouvait pas toujours être accompli en une seule fois et les manipulations devaient parfois être répétées plusieurs fois. Dans ces cas, M. Hutton attachait de l’importance à la production d’une sensation de fourmillement le long du membre affecté et estimait n’avoir pas fait tout ce qui était en son pouvoir tant que le fourmillement ne s’étendait pas jusqu’à l’extrémité des doigts ou des orteils.
Certains des cas dont j’ai parlé ci-dessus sont suffisamment bien connus des chirurgiens ; et je pense qu’il est, dans l’ensemble, clair que l’art des rebouteux repose, de fait, sur les fréquentes occurrences de ce que l’on pourrait appeler un degré mineur de fausse ankylose (2), produite de différentes manières, et parfois localisées dans différentes structures naturelles ou adventices.
Alors que les degrés prononcés de fausse ankylose sont depuis longtemps connus, et ont, dernièrement, dans un nombre de cas sans cesse croissant été rompues avec succès, les degrés mineurs semblent avoir presque complètement échappé à l’observation ; et il semble judicieux de remarquer que leur caractère partiel a probablement servi à déguiser leur véritable nature et conduit à les confondre avec des formes de maladies articulaires plus actives. Une fausse ankylose complète empêche presque complètement tout mouvement ; alors qu’une adhérence qui ne fait que contenir (retenir) le mouvement sera une source constante de contrainte préjudiciable sur les structures de l’articulation et sera susceptible encore et encore, d’établir une irritation aiguë.Il semble par conséquent hautement important que ces adhérences isolées ou partielles soient enfin reconnues par la profession ; et qu’elles ne soient plus abandonnées aux soins de praticiens non autorisés pour être traitées efficacement, après que les chirurgiens aient échoué à le faire.. Pour leur rapide reconnaissance, je pense que deux indications majeures reconnues par M. Hutton sont largement suffisantes, lorsque l’attention a été portée vers leur existence. Un léger degré de mobilité, empêché par la douleur et accompagnée d’une point de tension douloureuse à la pression est suffisant, en l’absence de la moindre preuve de maladie aiguë, pour justifier la manipulation ayant pour objectif de rompre les adhérences. Cependant, la leçon majeure que nous apprennent ces cas, c’est de développer une méthode de traitement des blessures qui pourrait éviter la constitution d’adhérences. C’est une partie du sujet que je traiterais ultérieurement.
Il se peut que la caractéristique la plus remarquable du traitement de M. Hutton soit l’ingéniosité avec laquelle il rendait les leviers des membres utilisables pour l’obtention de la puissance nécessaire à l’accomplissement de ses objectifs, ce qui lui permettait de se passer complètement d’appareillages extérieurs. Il existe la même relation entre ses méthodes et celles habituellement utilisées dans les ankyloses, qu’entre la réduction d’une hanche disloquée par simple manipulation, comparée à sa réduction par utilisation de poulies ; et ici, selon moi, la chirurgie pourrait obtenir des indications fort utiles. Il est également remarquable qu’il n’ait que très peu ou pas du tout utilisé l’extension. Il avait coutume de dire : « tirer ne sert pas à grand chose ; c’est la torsion qui est importante. » Et je ne doute pas que cette méthode permettant de diminuer la résistance musculaire puisse se généraliser très utilement. La manière précise de l’appliquer à chaque articulation ne peut être rendue vraiment intelligible que par l’utilisation de dessins ; et je me propose d’aborder cette question dans la suite de ma communication.
À suivre…
Notes
1. Il s’agit ici de Richard Hutton, issu d’une famille de fermiers installée depuis deux cents ans dans le nord de l’Angleterre et pratiquant le reboutement, au bénéfice des membres de leur communauté. Richard fut le premier membre de la famille à faire du reboutement sa profession. Il commença de pratiquer à Londres, Wyndham Place, Crawford Street et décéda à Gilling Lodge, Watford le 6 janvier 1871, à l’âge de 70 ans. Parmi les cas de guérison bien authentifiés de Richard Hutton, on trouve ceux de Spencer Ponsonby, le 27 juin 1865 et celui de George Moore, le philanthrope, en mars 1869, tous deux évoqués dans cet article.
(Source Dictionary of National Biography, 1885-1900, Volume 28, by George Clement Boase – http://en.wikisource.org/wiki/Page:Dictionary_of_National_Biography_volume_28.djvu/366 (N.d.T.).
Biographie originale
Dictionary of National Biography, vol. XXVIII. Macmillan, 1891, p.360.
HUTTON, ROBERT HOWARD (1840-1887), bonesetter, son of Robert Hutton, who died 16 July 1887, was born at Soulby, Westmoreland, on 26 July 1840. He was a member of a family of farmers who for upwards of two hundred years have resided in the north of England, where they have been bonesetters for the benefit of their neighbours. Robert’s uncle, Richard Hutton, was the first of the family to make bonesetting a profession. He set up in practice in London at Wyndham Place, Crawford Street, London, and died at Gilling Lodge, Watford, on 6 Jan. 1871, aged 70. Among the well-authenticated cases of cures by the elder Hutton were those of the Hon. Spencer Ponsonby on 27 June 1865, and of George Moore, the philanthropist, in March 1869.
The younger Hutton was from 1863 to 1869 at Milnthorpe in Westmoreland, where he farmed land, and in his leisure time set bones. About 1869 he came to London and for some time resided with his uncle Richard. He then set up for himself first at 74 Gloucester Place, Portman Square, and afterwards at 36 Queen Anne Street, Cavendish Square. He soon obtained a name and a position. He owed his reputation to his mechanical tact and acute observation of the symptoms of dislocations. His general: method of procedure was to poultice and oil the limb for a week, and then by a sudden twist or wrench he often effected an immediate cure. Hutton’s extensive practice brought him a large fortune, but his tastes were expensive. He was devoted to all field-sports, and was well known as a huntsman at Melton Mowbray. He was kind to animals, and often set their broken limbs. In 1875 Miss Constance Innes, daughter of Charles Leslie, was thrown from her horse and broke her arm. After many months; having, as she believed, a permanently stiff arm, she went to Hutton, who restored it to its use, and on 26 July 1876 she became his wife. On 16 July 1887, at 36 Queen Anne Street, London, a servant gave him some laudanum instead of a black draught. He died soon afterwards at University College Hospital. A verdict of death from misadventure was returned at the inquest. He left one child, Gladys Hutton.
[J. M. Jackson’s Bonesetters’ Mystery, 1882; St. Bartholomew’s Hospital Reports, 1878, pp. 339-46; Lancet, 1880, i. 606-8, 654, 750; Wharton P. Hood On Bonesetting, 1871; Smiles’s George Moore, Merchant, 1878, pp.320- 321; Chambers’s Journal, 9 Nov. 1878 pp. 711-713, 22 Feb. 1879 pp. 113-15, 26 April p.272; Times, 18 July 1887 p. 7, 19 July p. 11.] – G. C. B.
Source : http://archive.org/stream/dictionaryofnati28stepuoft#page/360/mode/2up
Fausse ankylose : « L’ankylose peut être vraie ou fausse. La véritable ankylose, ou synostose, implique que les tissus mous de l’articulation ont été détruits et que la soudure osseuse s’est faite entre les surfaces osseuse adjacentes ; et par fausse ankylose, on signifie que des d’adhérences membraneuses ou fibreuses au sein de l’articulation ou à sa périphérie gênent ou empêchent sa mobilité. » B. Brodhurst The deformities of the human Body J. & A. Churchill, Neew Burnlington Street London, p. 139 (N.d.T.). http://books.google.fr/books?id=5sj5hwPPNUEC
Le Site de l’Ostéopathie remercie Pierre Tricot de l’avoir autorisé à reproduire la traduction de cet article. 1ère publication sur le Site de l’Ostéopathie le 12 novembre 2012