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Membres et organes fantômes

Bernard Dubreuil - LE MASSAGER
jeudi 13 juin 2019 par Bernard Dubreuil

Bernard Dubreuil - Membres et organes fantômes

Merci à Anne Lucas, Micheline Raymond et Carl Chapdelaine, massothérapeutes de la FQM, qui ont suivi le cours que j’ai donné à Guijek en 2011.
Merci à Élève St-Hilaire, Katherine Kilcullen, Yves Kéraghel et Stanislas Rochat dont les fantômes sont super compétents !

La première personne amputée que j’ai rencontrée pour un massage m’a fait faire une prise de conscience. Avant, je pensais comme tout le monde qu’un « fantôme », c’était simplement une des bizarreries de l’existence : un membre ou un organe subjectivement présent, mais objectivement absent. Après, j’ai dû reconnaître que c’était plus, bien plus que cela. J’ai constaté, massage après massage, que c’était un outil capable d’émettre et de recevoir des informations, un véritable outil de communication. La première personne avait été capable de sentir mes mains sans que je la touche. La deuxième, la troisième aussi. Et moi j’ai pu sentir le membre fantôme de chacune d’entre elles ! Pas facile à admettre !

Depuis, j’ai fini par accepter cet état de fait. Je fais comme si c’était normal que les membres fantômes soient là où ils se sentent, là où ils nous sentent, et là où nous les sentons. Les membres fantômes sont présents, palpables et palpants. Ils sont mobiles et déplaçables, conscients de leur forme et même conscients de leur capacité à modifier leur forme !
Vu de l’extérieur, masser un membre fantôme, c’est masser une portion de l’espace dans le prolongement d’un moignon. Comment ? Avec la portion de l’espace qui est autour de mes mains.
On ne voit pas bien pourquoi la rencontre entre deux vagues portions de l’espace produirait des sensations subjectives de part et d’autre ! Sauf que c’est bien ça qui se passe, et à répétition. Sauf que cette rencontre a des effets thérapeutiques observables.
D’un massage à l’autre, j’ai commencé à répondre concrètement à la question : quelle est l’offre de la massothérapie aux membres et organes fantômes ?
Parlons des trois volets de l’offre qui sont les plus développés actuellement.

 VOLET 1 : La réadaptation des membres fantômes

Cas 1 : Lorsqu’un membre fantôme n’est pas à la bonne place

Il arrive qu’un bras fantôme reste écarté du corps, raide et paralysé. Il arrive qu’une jambe fantôme reste pliée. Impossible de la tendre. L’intervention consiste alors tout simplement à prendre contact avec le membre fantôme avec le champ autour de mes mains, à m’assurer que le ressenti tactile est réciproque, puis à peser sur le champ fantôme doucement, comme je ferais avec une jambe en chair et en os.

Cette photo montre comment Bernard Dubreuil fait pour allonger le membre fantôme de Katherine jusqu’à ce qu’il ait la longueur de l’autre jambe
Cette photo montre comment Bernard Dubreuil fait pour allonger le membre fantôme de Katherine jusqu’à ce qu’il ait la longueur de l’autre jambe

Le champ cède et se déplie. Ne me demandez pas pourquoi. Mais demandez à la personne qui vit l’événement ce qu’elle ressent et cela ajoute à sa qualité de vie. Elle vous dira, comme Katherine : « Avant, je cognais souvent mon fantôme quand je me déplaçais dans ma chaise roulante. Ma jambe fantôme était raide et sortait de la chaise. Dans un virage un peu serré... pan ! je la cognais dans le mur. Et ça faisait mal ! Maintenant, elle plie normalement et je n’ai plus du tout ce problème ».

Cas 2 : Lorsqu’un membre fantôme est trop court

Réapprendre à marcher avec une prothèse n’est pas une mince affaire. Les personnes amputées de la jambe disent souvent que leur jambe fantôme est plus courte que leur deuxième jambe et qu’elles ont toutes fait des chutes avec leur prothèse. Elles disent aussi (et j’ai d0 le tester plusieurs fois avant de le croire) qu’elles peuvent toucher le sol avec leur membre fantôme et que ce « contact » leur livre une information critique : la distance au sol.
La photo ci-contre montre comment je fais pour allonger le membre fantôme de Katherine jusqu’à ce qu’il ait la longueur de l’autre jambe.
Dans un cas de ce genre, masso-thérapeute et patient collaborent, l’un étirant le membre fantôme, l’autre estimant sa longueur. Le test de la bonne longueur est le suivant : quand Katherine me dit que ses deux orteils se touchent et sont égaux, c’est que la bonne longueur est atteinte. Je peux alors lui demander de mettre sa prothèse et de se mettre debout. En quelques pas, elle va pouvoir me dire si, suite à la manœuvre d’égalisation, son équilibre a changé. Quand le membre fantôme se sent bien en contact avec le sol et quand ses deux jambes sont perçues comme égales, son équilibre est meilleur. Katherine me l’a dit, et j’ai pu le constater de visu.

Cas 3 : Lorsque de la matière entre ou sort brusquement sans prévenir

Quand de la matière entre violemment dans le champ fantôme sans prévenir, ou quand de la matière sort brutalement du champ fantôme sans prévenir, il est fréquent que de la douleur aiguë se fasse sentir.
Par exemple, vous êtes amputé d’une jambe et vous êtes dans votre lit un beau dimanche matin. Votre chien saute dans le lit pour vous dire bonjour. Il vient d’atterrir pile, sans prévenir, dans l’espace de votre jambe fantôme. « Aouch » garanti !

Autre exemple, à l’inverse : vous voulez enlever votre prothèse. Cela demande une certaine force, car l’emboîture colle au moignon. Au moment où la prothèse se détache, grosse douleur. Pas pour tout le monde. Mais pour Katherine, douleur garantie tous les jours. Jusqu’à ce que je lui explique la procédure pour éviter qu’elle se fasse mal quand elle enlève sa prothèse. Il suffit de bien séparer sa prothèse et son membre fantôme. Katherine a pris son membre fantôme entre ses mains. Elle le sentait très bien. Elle a déplacé doucement son membre fantôme jusqu’à ce qu’elle le sente complètement en dehors de sa prothèse. Et elle a alors enlevé la prothèse. Et elle n’a ressenti aucune douleur. Problème réglé.

 VOLET 2 : Les pratiques anti-douleur

On ne le sait que trop, les douleurs fantômes l’emportent en intensité sur toutes les autres douleurs : torches qui brûlent, étau qui broie, violentes décharges électriques, les mots manquent pour décrire cet enfer. Certains en souffrent, d’autres pas. La proportion ? Entre 50 et 70%.

Les massages l’ont démontré : quand la personne amputée sent les mains de la massothérapeute avec son membre fantôme et quand la massothérapeute sent le membre fantôme avec ses mains, donc quand s’établit un ressenti tactile réciproque, il est vraiment fréquent de voir la douleur s’estomper et même disparaître. En peu de temps. Et de manière durable.
On a de la peine y croire. Quand il n’y a pas de ressenti tactile réciproque dans les 10 premières minutes, la technique frappe sa limite. Il semble qu’il n’y ait pas d’effet quand il n’y a pas de sensation subjective commune.

Cas 4 : Quand le pied fantôme fait mal depuis 18 mois

Je masse sur chaise une personne amputée à Montréal. Elle est sous Dilaudid et sous Empracet. Deux remèdes puissants dans la lutte anti-douleur. La douleur dure depuis 18 mois. Ces médicaments font effet pendant quelques heures seulement. Ils permettent de dormir, ce qui est fantastique en soi. La personne est amputée des deux jambes en dessous du genou. Elle me dit dès que j’approche une main : « Je sens ta main sur mon mollet ». Elle n’a plus de mollet. Je vérifie ce que je sens, moi, quand je place ma main dans son membre fantôme : je sens un champ énergétique. Ma sensation est identique à celle que j’ai lorsque je passe mes mains près de mon corps en faisant du Tai Chi Chuan. Un picotement, une légère résistance... La sensation est légère, certes, mais très reconnaissable.
Au bout de 5 minutes, j’ai l’impression que tout ce qui était à faire est fait. Je demande : Et puis, cette douleur ? Et la personne se relève et me dit : « Je n’ai plus mal ». Je lui dis : « Vous en êtes sûre ?  »
D’habitude, on ne doute pas d’une personne qui dit qu’elle n’a plus mal. Mais là... ça avait l’air trop beau pour être vrai. Quinze jours plus tard, elle n’avait toujours pas mal. Six mois plus tard, toujours aucune douleur !

Cas 5 : Quand la personne amputée est capable de toucher son membre fantôme

Victime d’un accident de moto, Yves, alias Kéké, a dû être amputé de la jambe gauche. Depuis, des douleurs fantômes le font sursauter 10 fois par jour et le réveillent 3 ou 4 fois par nuit.

Je lui demande si je peux passer ma main au-dessus de sa jambe fantôme, pendant qu’il me raconte ce qui lui est arrivé. Pas de problème. Je lui dis simplement de m’avertir s’il sent quelque chose. Au bout de 3 minutes, il s’exclame : « Oh dites donc, il se passe quoi, là ? » Je lui réponds : « Dites-moi ce que vous ressentez ! » Et là, il me dit : « Je sens des picotements, je sens votre main qui bouge  ».

Je lui dis : « Bravo, serrez-moi la main, vous venez de franchir la première étape  ».
La deuxième et la troisième étape sont franchies elles aussi en moins de 5 minutes. Elles consistent à pouvoir bouger le membre fantôme en rythme et à pouvoir sentir son membre fantôme avec sa main (voir photo ci-contre).

Je lui demande ensuite, d’un ton neutre : « Dites-moi, votre douleur fantôme, elle est comment maintenant ? »

Il marque un temps d’arrêt : « Je n’ai pas mal... mais cela ne prouve rien ! »
Je lui dis : « Vous avez bien raison, ça ne prouve rien du tout ». C’est juste bien agréable. 48 heures plus tard, au téléphone, il m’annonce qu’il n’a pas eu mal une seule fois et qu’il a très bien dormi.

 VOLET 3 : Offrir une « nouvelle culture » du membre fantôme

Dans notre culture, les membres fantômes ont le droit d’être présents et ont le droit d’être douloureux. C’est tout. Il y a trente ou quarante ans, ils n’avaient même pas le droit d’être douloureux.
Les personnes amputées qui découvrent les autres propriétés de leur membre fantôme, comme celles d’être capables de toucher et d’être touché, se sentent mal à l’aise et n’osent pas en parler. Elles constatent que les gens évitent soigneusement les contacts. Qui va tendre la main et dire « Marché conclu ! » à une personne qui n’a plus la main droite ? On aurait peur d’offenser la personne, qui pourrait prendre cela pour un manque de respect pour sa condition. Mais dans la nouvelle culture qui se développe autour des membres fantômes actifs et en bonne santé, c’est l’inverse qui est vrai. Je me souviendrai toujours de la première personne amputée du bras droit avec laquelle j’ai fait l’exercice de la poignée de main. Elle a senti ma main. J’ai senti la sienne. Et elle m’a dit toute émue : « C’est la rencontre entre le fantôme et le réel ». Dans la nouvelle culture, cette rencontre est normale. Dans la culture encore dominante, cette rencontre est inimaginable. Elle empêche les membres fantômes de vivre leurs sensations et leurs compétences au vu et au su de tout le monde.

Stan, Élène, Kéké et Katherine le disent : leur fantôme a des compétences utiles !
Ils ont utilisé ces compétences pour agir sur la composante énergétique de la douleur, pour montrer à des personnes amputées ce qu’elle pouvait faire avec leur membre fantôme, pour remonter le moral des personnes qui souffraient dans leur image et dans leur corps, pour introduire le jeu et le plaisir dans la vie de leur membre et de leur organe fantômes. Ils sont devenus coachs de membres fantômes.

Si vous voulez lire les aventures d’un membre fantôme plein de vie, allez voir ce qu’en dit Katherine dans son blogue à l’adresse : http://4membersclub.blogspot.ca

 Conclusion et perspectives

Perdre un membre ou perdre un organe est un traumatisme majeur. Souvent, ce traumatisme est une étape difficile de plus dans le traitement d’une maladie, elle-même très difficile à vivre (cancer, diabète...).
Mais parfois, quand la douleur est contrôlée et quand la maladie régresse, un membre fantôme peut aussi devenir... une opportunité pour soi-même et pour les autres.
Un jour il y aura des personnes amputées, formées en massothérapie énergétique, qui utiliseront leur membre fantôme dans leur massage. Un jour, il y aura une petite école des fantômes où les jeunes enfants pourront développer fièrement les propriétés de leur membre fantôme. Un jour, les capacités de communication et d’échange à distance entre membres fantômes seront mesurées dans le Livre des records Guiness.
En attendant, soyons prêts à offrir nos services aux personnes amputées qui ont des membres fantômes paralysés, asymétriques ou discontinus, aux personnes qui vivent dans la douleur, ou qui, dans la solitude et l’isolement, vivent des sensations bizarres qu’elles n’arrivent pas à intégrer.
Élène a récemment commencé à étudier la massothérapie à Guijek. Survivante du cancer du sein, ayant vécu une mastectomie, elle est maintenant bénévole dans une organisation de soutien aux personnes atteintes de cancer à Montréal (OMPAC). Elle a une formule choc pour décrire à la fois le mal et le remède : « Si ça fait mal, c’est parce qu’on y met pas les doigts ! »

 Pour en savoir plus

Wikipédia, membre fantôme : http://fr.wikipedia.org/wiki/Membre_fantôme
INEXPLORÉ, revue de l’INREES, avril 2012. Entrevues avec Élène, Katherine, Kéké et Bernard : https://www.inrees.com/Abo/Inexplore-magazine/15/
Le cours (au Québec) :  Massage énergétique des membres et des organes fantômes


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