Emmanuel Swedenborg (1688-1772) et William Garner Sutherland (1873-1954)
Présentation du dossier
Lors de ses études à l’American School of Osteopathy, Kirksville, William Garner Sutherland (1873-1954) a « une intuition concernant les os du crâne qui changera ultérieurement sa vie et le conduira au développement d’une nouvelle application de la médecine manipulative ostéopathique. Il est frappé comme par un éclair par l’intuition que les os crâniens sont “biseautés comme les ouïes d’un poisson, indiquant par là une mobilité pour un mécanisme respiratoire”. À cette époque, les os crâniens sont considérés comme n’étant absolument pas mobiles. Sutherland laisse tomber cette idée pendant plus de vingt années, puis la reprend et commence à explorer sérieusement ce concept et ses ramifications ». [1]
Puis, il enseigne à de petits groupes son concept crânien qui, rappelons-le, comporte 5 composantes et qu’il a appelé Mécanisme Respiratoire Primaire (MRP) :
1. Mobilité inhérente du cerveau et de la mœlle épinière
2. Fluctuation du liquide céphalo-rachidien
3. Mobilité des membranes intracrâniennes et intraspinales
4. Mobilité articulaire des os crâniens
5. Mobilité involontaire du sacrum entre les iliaques
Invention et développement du MRP, appartiennent, croyons-nous, à Sutherland.
Deux études récentes, indépendantes l’une de l’autre, mais complémentaires, ont étudié les origines du concept crânien de Sutherland :
Le cerveau vu par Swedenborg et le concept crânien de Sutherland, par David B. FULLER, Ostéopathe [2]
L’influence de Swedenborg sur le modèle du mécanisme respiratoire primaire de l’ostéopathie crânienne, par Theodore JORDAN, Ostéopathe [3].
D. Fuller et T. Jordan, dans leurs articles respectifs, montrent que Sutherland connaissait les écrits de Swedenborg et notamment la traduction anglaise établie par Rudolf Leonhard Tafel (1831-1893) de son livre : Le Cerveau, considéré sous l’angle anatomique, physiologique et philosophique [4].
Selon T. Jordan, Ida Rolf (1896-1979), engagée comme secrétaire par Sutherland, racontait dans ses conférences « comment elle avait appris les méthodes de Sutherland » en exhibant La Boule crânienne (The Cranial Bowl) dédicacée chaleureusement par son auteur. Elle affirme même, lors d’une de ses conférences enregistrée, que « le modèle de Sutherland semble largement emprunté à la physiologie proposée dans The Brain ».
Dans son article, s’appuyant à la fois sur The Brain et sur les commentaires du traducteur, R. Tafel, T. Jordan cite des extraits et les compare aux enseignements de Sutherland. Sont alors envisagés :
1. La mobilité inhérente du cerveau et de la mœlle épinière ;
2. Le rôle réciproque des membranes durales ;
3. La mobilité articulaire des os du crâne.
La conclusion semble sans appel :
« Les similitudes suggèrent fortement que Sutherland utilisa les écrits de Swedenborg comme source primaire pour ces composants du modèle MRP ».
David Fuller, quant à lui, étudie le paradigme sur le cerveau de Swedenborg et envisage pas à pas ses conceptions ; puis il cite les trois seules références faites par Sutherland sur Swedenborg et aborde le concept crânien et les 5 éléments du MRP. Il note les similitudes entre les deux auteurs sur :
1. La mobilité intrinsèque du cerveau ;
2. La mobilité du cerveau primaire par rapport à la mobilité respiratoire pulmonaire ;
3. La tension réciproque des membranes ;
4. Le mouvement des os crâniens ;
5. Les similitudes entre le souffle de vie de Sutherland et le fluide éthéré de Swedenborg.
Mais il remarque également les différences entre les deux paradigmes sur :
1. La circulation du liquide céphalo-rachidien opposée à la fluctuation ;
2. La mobilité involontaire du sacrum entre les os iliaques ;
3. Les applications thérapeutiques.
Il faut se rendre à l’évidence :
« Les quatre premiers composants du concept crânien de Sutherland sont similaires et en harmonie avec les descriptions qu’en a donné Swedenborg dans ses écrits deux cents ans plus tôt ».
L’intérêt de l’article de D. Fuller tient, entre autres, à l’étude des liens historiques entre William Sutherland et Emmanuel Swedenborg. Sutherland a connu le Révérend Alfred Acton, ministre de la Nouvelle Église, rencontre référencée par Isabelle BIDDLE, Ostéopathe de Californie, qui écrit à A. Acton :
« J’ai étudié l’ostéopathie crânienne et compris que vous avez discuté avec le Dr Sutherland à propos de sa relation à la théorie de Swedenborg ; il semble y avoir des différences. Cependant, je crois qu’elles sont vraiment très similaires et c’est là-dessus que je travaille en ce moment. Les résultats dans les traitements semblent indiquer que la théorie de Swedenborg est correcte ».
Le groupe d’étude crânienne des Lippincott a été visité par le révérend Acton entre novembre 1943 et novembre 1944. Il semble que ce groupe se soit particulièrement intéressé à Swedenborg, grâce à A. Acton, personnage clé de la diffusion des idées swedenborgiennes chez les ostéopathes crâniens.
Il apparaît donc bien que :
« Sutherland a intégré d’importantes parties du paradigme anatomique de Swedenborg sur l’interaction rythmique cerveau-corps pour développer l’ostéopathie crânienne ».
La conclusion de ces deux études, nous l’emprunterons à T. Jordan : Il est temps qu’ « un dialogue critique sur l’ostéopathie crânienne [devienne] une nécessité cruciale qui ne peut que renforcer la profession ostéopathique. Le modèle MRP fait partie de la pensée ostéopathique depuis plus de 60 ans. Comprendre qu’il est fondé sur une hypothèse philosophique du XVIIIe siècle abandonnée procure un espoir de voir la profession ostéopathique ouvrir un dialogue qui devrait contribuer à faire avancer notre science » [5].
Le dossier « Sutherland et Swedenborg » que nous présentons comporte 3 parties :
1.Ostéopathie crânienne et anatomie, chapitre 1 Extraits du livre de Nicette Sergueef : Anatomie fonctionnelle appliquée à l’ostéopathie crânienne, Éditions Elsevier 2009 - www.elsevier-masson.fr.
2.L’article de David B. FULLER [6] Le cerveau vu par Swedenborg et le concept crânien de Sutherland.
3.Theodore Jordan, Influence de Swedenborg sur le modèle du mécanisme respiratoire primaire de l’ostéopathie crânienne [7].
Nous tenons à remercier :
Nicette Sergueef et les Éditions Elsevier-Masson pour leur autorisation de reproduire le chapitre 1 du livre Anatomie fonctionnelle appliquée à l’ostéopathie crânienne ;
David B. Fuller pour son autorisation de traduire et publier son article ;
Les Éditions Elsevier pour leur autorisation de traduire et publier l’article de Theodore Jordan.
Tous nos remerciements à Pierre Tricot qui a participé grandement à ce projet et nous a offert la traduction des deux articles présentés ici.