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Le Niveau du Cone Médullaire (CM).

Créé le : mercredi 24 juillet 2024 par Ostéo4pattes-Site de l’Ostéopathie

Dernière modificaton le : lundi 29 juillet 2024

RESUME : Cet article apporte une explication raisonnée à deux questions sur l’anatomie du système nerveux central humain : pourquoi la moelle épinière n’occupe-t-elle pas entièrement l’intérieur du canal vertébral lombaire ? Et quelle est la raison pour laquelle le cône médullaire (CM) des adultes (l’extrémité caudale de la moelle épinière) se situe au-dessus de L3 ?

Pour répondre à la première question, nous utiliserons la phylogénie et l’ontogénie de l’espèce humaine. Chez les vertébrés, plus l’amplitude des mouvements de flexion anti-postérieure et de rotation du rachis est grande, plus grande est la différence entre la longueur de la moelle épinière et de la colonne vertébrale, Ce qui explique que chez l’homme, la moelle épinière n’occupe pas complètement l’intérieur du canal lombaire.

Grâce à des études de biomécanique, nous pouvons résoudre la deuxième question. Pendant la marche, à chaque étape, la ceinture scapulaire et la partie de la colonne vertébrale située au-dessus de L3 tournent à l’unisson dans le même sens. En revanche, la ceinture pelvienne et la partie de la colonne située en dessous de L3 tournent dans le sens inverse (contre-rotation). Si le CM (Cone médullaire) se trouvait à un niveau inférieur à L3, les mouvements de rotation et de contre-rotation entraîneraient des torsions et une ischémie médullaire. Comme chez l’homme le CM se trouve au-dessus de L3, la moelle épinière dans toute son étendue tourne dans le même sens que la ceinture scapulaire, évitant ainsi l’apparition de torsions médullaires.

Quel est l’intérêt clinique de la biomécanique médullaire humaine ? Son étude peut contribuer à la compréhension de la physiopathologie de maladies médullaires telles que le "Tethered Cord Syndrome" et les syringomyélies ischémiques, et aider à concevoir des traitements médicaux moins iatrogéniques dans les maladies neurologiques du tube neural.

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 INTRODUCTION

Dans l’anatomie des êtres vivants, la forme a un sens, une finalité. Maintenir des structures inutiles impliquerait des dépenses d’énergie supplémentaires qui pourraient compromettre la survie d’une espèce. Alors, si la structure des composants anatomiques remplit une fonction physiologique, pourquoi la moelle épinière humaine n’occupe-t-elle pas complètement l’intérieur du canal vertébral ? et pourquoi l’extrémité caudale de la moelle épinière, ou cône médullaire (CM), est-elle située entre les vertèbres T12 et L3 ? (1)

Selon la loi biogénétique de Haeckel, l’ontogénie récapitule la phylogénie (2). Les changements morphologiques qui se produisent au cours du développement embryonnaire et de la croissance de l’individu (ontogénie) reproduisent, en abrégé, l’histoire évolutive de son espèce (phylogénie). Bien que formulée aux XVIIIe et XIXe siècles, les fondements de cette théorie conservent encore aujourd’hui une grande partie de leur validité. C’est pourquoi l’étude de la phylogénie et de l’ontogénie humaines peut nous aider à comprendre les relations entre la structure et la fonction de la colonne vertébrale et celles de la moelle épinière.

 PHYLOGÉNIE DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DE LA MOELLE ÉPINIÈRE

Au cours de l’évolution des espèces, l’apparition de nouvelles structures et fonctions biologiques n’a pas entraîné la disparition des anciennes, mais celles-ci, pas toujours évidentes, ont persisté sous les modernes. Comme nous le verrons ci-dessous, dans l’anatomie de la colonne vertébrale et de la moelle épinière humaines, nous pouvons découvrir les solutions adoptées tout au long de l’évolution afin de protéger la moelle épinière des mouvements de la marche.

Premiers Chordés : Les Chordés (Filum Chordata) sont apparus au Cambrien (525 Ma). Leur anatomie ressemblait à celle des actuels Amphioxus (Branchiostoma lanceolatum). Ils ne possédaient ni crâne, ni vertèbre, ni cerveau différencié, mais une moelle épinière primitive située sous la notochorde, une structure anatomique élastique dont la fonction était de ramener le rachis à sa forme originelle après des mouvements de latéro-lexion. Dans l’Amphioxus la notochorde et la moelle épinière ont approximativement la même longueur.

Poissons : À la fin du Cambrien, les premiers chordés ont donné naissance aux premiers vertébrés, les poissons. La colonne vertébrale des poissons a remplacé la notochorde comme axe primaire du corps. Chez les poissons, comme chez les autres vertébrés, subsistent des restes de la notochorde dans les noyaux pulpeux des disques intervertébraux. Tout comme les Amphioxus, les poissons se déplacent dans l’eau par des mouvements de latéro-lexion du rachis (fig.1A). Les muscles natatoires sont insérés dans un squelette axial constitué de vertèbres possédant dans la zone supérieure un arc neural. L’ensemble des arcs neuraux forme le canal vertébral qui abrite à l’intérieur la moelle épinière. Chez les poissons, la colonne vertébrale et la moelle épinière sont de la même longueur.

- Fig 1 A. Lateroflexion du rachis des poissons pendant la natation.
 Fig 1 B. Lateroflexion du rachis des salamandres pendant la marche. Les membres participent comme points d’appui.

Amphibiens et reptiles : Par la suite, dans le Dévonien (395 Ma), un groupe de poissons benthiques se déplaçant sur le fond des rivières et des lacs appuyés sur leurs nageoires antérieures a pu sortir de l’eau grâce à des poumons rudimentaires. Ces poissons dotés de poumons ont évolué en amphibiens et reptiles. Les quatre pattes de ces amphibiens caudés (salamandres et tritons) et des reptiles quadrupèdes participent à la marche bien que, comme chez les poissons, le principal propulseur reste le mouvement de latéroflexion du rachis (fig.1B).

Chez la plupart des poissons, amphibiens dotés de queue, reptiles et oiseaux, la moelle épinière occupe presque entièrement l’intérieur du canal vertébral.

Mammifères : L’étape suivante dans l’évolution des vertébrés a été l’apparition, au Crétacé (145 Ma), de mammifères quadrupèdes. Après l’extinction massive des dinosaures dans le Paléocène (66 Ma), les mammifères se sont développés en occupant les niches écologiques abandonnées par les dinosaures.

Les mammifères quadrupèdes se déplacent par des mouvements de latéroflexion du rachis, comme les amphibiens et les reptiles quadrupèdes, associés à des mouvements de flexion ventrale (ou antérieure) et dorsale (ou postérieure). Ainsi, la colonne vertébrale s’ouvre et se referme comme un compas dont la charnière est située dans la zone entre la poitrine et l’abdomen. Pour cela, il a fallu que les courbures vertébrales apparaissent et que les muscles spinaux migrent de la zone postérieure à la zone antérieure du rachis.

La moelle épinière des mammifères est plus courte que la colonne vertébrale. Ainsi, par exemple, chez le porc (Sus scrofa domestica), le CM se situe au niveau de L3-L5 (3) ; chez les cobayes (Cavia porcellus) en L2-L5 (3) ; chez le chien (Canis Familiaris) en L3-L7 (3) ; chez le loup à crinière (Chrysocyon brachyurus) en L3-L6 (4) ; chez le cheval (Equus ferus caballus) en L5-S2 (5) ; chez le chat (Felis catus) en L6-S2 (6) ; chez le lapin (Oryctolagus cuniculus) en L6-L7 (5) ; chez l’agouti paca (Agouti Buboryctolagus) en L5-L7 (7) ; chez les buffles (Bubalus bubalis) en S3 (8) ; chez la brebis (Ovis aries) en S2 (8) ; chez le loup de mer (Arctocephalus australis) en T6-T7 (9) ; sur l’échidné (Tachyglossus aculeatus) en T7 (10) et sur l’ornithorynque (Ornithorhynchus anatinus) au niveau du sacrum. (10)

Il est frappant de constater que sur l’échidné et le loup de mer, le CM se situe au niveau thoracique. L’échidné est un mammifère primitif qui, avec l’ornithorynque, appartient à l’ordre taxonomique des monotrèmes (mammifères pondant des œufs). Les deux espèces de monotrèmes ont le CM situé à différents niveaux de la colonne vertébrale : l’échidné dans la colonne thoracique et l’ornithorynque dans la colonne lombaire. Pourquoi ces deux CM sont-ils situés à des niveaux différents ? Selon Kappers (11), le CM de l’échidné se situe au niveau thoracique parce qu’il possède une queue plus courte et atrophique que celle de l’ornithorynque. Selon Mitchelle (12), cette hypothèse n’est pas correcte car le CM d’autres mammifères sans queue, comme l’homme, se trouve dans la zone lombaire. Ashwell (10) a récemment attribué la courte longueur de la moelle épinière de l’échidné au fait que celui-ci, lorsqu’il se sent en danger, s’enroule sur lui-même comme une balle. Selon cet auteur, si la moelle épinière occupait le canal lombaire, cette flexion vertébrale forcée pourrait lui nuire.

Nous avons trouvé une situation similaire dans le loup de mer. Son CM est situé au niveau thoracique, 8 vertèbres plus haut que chez le chien et le loup terrestre, deux animaux appartenant à son propre sous-ordre taxonomique, les carnivores caniformes.

Comme nous le proposerons plus tard, cette localisation du CM s’expliquerait par les grands mouvements corporels de torsion que fait le loup de mer. Si le CM du loup de mer se trouvait au niveau lombaire, la torsion de la moelle épinière provoquerait des lésions.

Primates : Les premiers primates sont apparus au Paléocène (66 Ma), peu après l’extinction des dinosaures. C’étaient de petits mammifères quadrupèdes qui se déplaçaient sur les branches des arbres avec le corps en position horizontale (fig. 2 ci-dessous). Ils avaient une longue colonne lombaire, une clavicule courte, des omoplates disposées latéralement sur le thorax et des yeux latéralisés. Un groupe de ces primates a évolué en adaptant son corps pour grimper aux arbres en position verticale. Pour ce faire, sa tête a fléchi vers l’avant et ses yeux ont migré vers l’avant. La verticalisation a facilité la brachiation, un mode de locomotion arborescente dans lequel les primates se déplacent sur les branches en tenant les mains et les bras tendus (fig. 2 en bas à gauche).

Fig. 2. Squelettes de primates. En haut : quadrupède. En bas à gauche : brachiateur. En bas à droite : bipède (homme). Reproduits avec l’autorisation de l’auteur des dessins Mauricio Antón.(13)

Les primates brachiateurs ont de longs doigts pour s’accrocher aux branches, une ceinture scapulaire développée, un thorax aplati dans le sens dorso-ventral, des omoplates dans le dos et de longues clavicules. Ils présentent une grande rigidité lombaire-sacrée car leur colonne lombaire est plus courte que celle de leurs prédécesseurs et le sacrum est verticalisé. (14) En conséquence de cette rigidité, pendant la brachiation, les vertèbres lombaires tournent en bloc dans le même sens que les vertèbres dorsales, de sorte que les deux ceintures, pelvienne et scapulaire, tournent également dans le même sens.

Les primates actuels possèdent entre 4 et 7 vertèbres lombaires. Le niveau auquel se situe le CM est également très varié. Chez le chimpanzé commun (Pan troglodytes) le CM se trouve en L2 (15) ; chez le macaque (Macacus rhesus) en L4 (15) ; chez le babouin (Papio Papio) et chez le Galago (Galago senegalensis) en L6 (15) ; chez le ouistiti commun (Callithrix jachus jacus) en L2-L4 (4) et chez le Saïmiri commun (Saimiri sciureus) en S3-Cc (4).

Hominidés : Il y a 11,62 Ma en Europe, il y avait un groupe de primates brachiateurs et bipèdes qui marchaient debout sur les branches des arbres avec leurs jambes étendues. Ils avaient le premier orteil très développé, ce qui leur permettait de supporter le poids corporel. La colonne vertébrale lombaire était relativement longue, présentant une lordose similaire à celle des hominidés plus évolués.(16).

Il y a 5 à 10 millions d’années, un groupe de primates brachiateurs non bipèdes descendit des arbres, alternant vie arborescente et vie terrestre. Dans leurs déplacements au sol, la verticalisation du rachis et les mouvements de brachiation ne leur étaient plus utiles, c’est pourquoi ils recoururent à la marche en quadrupédie, cette fois appuyés sur la face dorsale des phalanges moyennes des doigts (knuckle-walking), comme chez les gorilles et chimpanzés actuels. La colonne vertébrale de ces primates ne possédait qu’une légère courbure dorso-lombaire de concavité antérieure (fig. 3 gauche).

Il y a environ 4 millions d’années, les Australopithèques sont apparus, les plus anciens hominidés bipèdes connus. Il n’existe actuellement aucun consensus parmi les anthropologues sur l’origine des australopithèques. Certains soutiennent qu’ils ont évolué à partir de primates terrestres quadrupèdes tandis que d’autres pensent qu’ils sont les descendants des primates bipèdes brachiateurs qui marchaient debout dans les arbres.

Les australopithèques dormaient encore dans les arbres (17). Leur bassin était plus court que celui de leurs ancêtres et ressemblait à celui de l’homme moderne. Sa colonne vertébrale lombaire était constituée de 5-6 vertèbres lombaires, plus que chez les gorilles et les chimpanzés (avec 3-4 vertèbres). Ils marchaient légèrement inclinés vers l’avant car ils ne présentaient pas encore la courbure lordotique lombaire propre aux humains.

Homme moderne : puis, il y a environ 200000 ans, l’Homo sapiens est apparu, l’Homme moderne. L’Homme est le seul primate qui marche complètement droit grâce à sa lordose (courbure vertébrale de concavité postérieure) lombaire (fig. 3 à droite), qui rapproche la ligne de charge du centre de gravité corporel (situé à l’intérieur du bassin, près de S2).

Fig. 3 À gauche. Squelette du gorille. Légère courbure dorso-lombaire de concavité antérieure et corps incliné. Droite. Squelette humain. Lordose lombaire et posture droite. Dessins réalisés en 1863 par Waterhouse.(18)

Les humains conservent une grande partie des structures anatomiques de leurs ancêtres brachiateurs. Comme le rappelle Arsuaga (17) : "Nous sommes dans une large mesure morphologiquement des brachiateurs taille haute et des bipèdes taille vers le bas (compris le bassin), même si les courbes de notre colonne vertébrale sont une adaptation à la marche".

Les humains ne sont pas de bons nageurs, coureurs terrestres, grimpeurs ou brachiateurs, mais ils sont les seuls animaux qui peuvent se déplacer en utilisant l’un de ces quatre modes de locomotion, ce qui leur donne une grande polyvalence pour explorer différents environnements.(19)

 ONTOGENÈSE DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DE LA MOELLE ÉPINIÈRE

Au 16e jour de gestation de l’embryon humain, l’ectoderme s’épaissit, donnant lieu à la plaque neurale. Peu de temps après, le sillon neural apparait et entre les jours 19 et 21 le tube neural, à partir duquel le cerveau et la moelle épinière émergeront. Pendant les jours 20 et 21 la tête est pliée vers l’avant (ventralement). Le 27e jour, les deux neuropores du tube neural sont fermés. Entre le 28 et le 30, le corps sera complètement plié, donnant lieu à une seule courbure ventrale. A la 5e semaine de gestation apparaissent les premières ébauches des quatre membres dont les formes rappellent les nageoires des poissons.

Pendant les premières semaines de gestation, la moelle épinière et le canal rachidien de l’embryon ont la même longueur (fig. 4). À partir de la 8e semaine, la croissance de la moelle épinière est plus lente que celle de la colonne vertébrale, ce qui entraîne une ascension apparente du CM (cone médullaire) dans le canal vertébral. Lors de son ascension, le CM entraîne avec lui les racines des nerfs rachidiens (fig. 7.5) et l’extrémité caudale de la dure-mère (fig. 7.7) ainsi que la pie mère donnant naissance à la queue de cheval et au filum terminale (fig 7.8).

À la 16e semaine, le CM est déjà au niveau de S1-S2 (fig. 5), puis chez le nouveau-né au niveau de L3 (fig. 6) et enfin chez l’adulte habituellement entre L1-L2 (fig. 7).

Dans l’enfance et l’adolescence, la montée du CM peut tendre les racines des nerfs rachidiens lombo-sacrés, produisant de la douleur et d’autres troubles neurologiques. (20-21)

Fig. 4. Premières semaines de l’embryon. La moelle et le canal rachidien ont la même longueur.
Fig. 5. Embryon de quatre mois. CM dans S1-S2.
Fig. 6. Nouveau-né. CM sur L3.
Fig. 7. Adulte. CM en L1-L2.

 1. Moelle épinière.
 2. Conus medullaris ou cône médullaire.
 3. Duremère.
 4. Filum terminale internum (à l’intérieur du sac dural).
 5. Racine nerveuse.
 6. Ganglion nerveux.
 7. Fond du cul de sac dural.
 8. Filum terminale externum (à l’extérieur du sac dural).
 9. Ligament coccygien.

La colonne vertébrale du nouveau-né (fig. 8a) présente une courbure de concavité ventrale et un CM situé en L2-L3. À l’âge de 3 mois, une courbure cervicale lordotique (concavité postérieure) commence à se développer et permet à la tête de tourner.

Entre le 5e et 13e mois, la colonne lombaire est redressée (fig. 8b). Vers le 6e-10e mois (fig. 8c) l’enfant se met à ramper, en s’appuyant sur les mains. Peu après, il commence à marcher debout sur ses pieds. A partir de 3 ans (fig. 8d) commence la formation de la courbure en lordose des lombaires, qui prend sa forme définitive à 10 ans (fig. 8f).

Fig. 8. Ontogenèse des courbures de la colonne vertébrale. Reproduite par Kapandji (22) avec l’autorisation de Maloine édition.

 a - 1 jour
 b - 5 mois
 c - 13 mois
 d - 3 ans
 e - 8 ans
 f - 10 ans

La colonne vertébrale de l’adulte présente 4 courbures (cervicale, dorsale, lombaire et sacrale) et le CM est situé entre L3 et D12 (souvent en L1-L2). La moelle épinière mesure 42 - 45 cm et le filum 20 cm. La dure-mère et l’arachnoïde s’étendent jusqu’à S2.

 L’ONTOGENÈSE RÉSUME LA PHYLOGENÈSE

La phylogenèse et l’ontogenèse humaines montrent une relation étroite entre le niveau du CM et les mouvements de la colonne vertébrale.

Au cours de l’évolution des vertébrés, le CM monte progressivement à l’intérieur du canal vertébral, parallèlement à l’augmentation de l’amplitude dans les mouvements de flexion antéropostérieurs et de rotation du rachis.

Les poissons, les premiers vertébrés, possèdent une colonne vertébrale rectiligne qui ne leur permet d’effectuer que des mouvements de latoroflexion du rachis. Chez eux, la colonne vertébrale et la moelle épinière ont la même longueur.
Les amphibiens urodèles (salamandres et tritons) marchent à 4 pattes avec des mouvements de lateroflexion de leur colonne et de la queue (fig. 1B) et, comme dans les poissons, la colonne et la moelle épinière ont à peu près la même longueur.

Au fur et à mesure que nous progressons dans l’échelle phylogénétique des vertébrés, d’autres types de mouvements apparaissent tels que la flexion antéropostérieure et la rotation du rachis. Au sein d’un même groupe taxinomique, les espèces ayant une plus grande amplitude dans les mouvements de leur colonne vertébrale ont le CM situé à un niveau supérieur. Par exemple, les échidnés et les otaries effectuent de grands mouvements de flexion et de rotation, localisant leur CM au niveau thoracique.

L’homme est un cas particulier chez les hominidés car sa lordose lombaire lui permet d’effectuer des mouvements simultanés de rotation et de contre-rotation de la colonne. Parmi les hominidés étudiés, l’homme est celui qui a le CM au niveau le plus élevé.

Dans l’ontogenèse humaine, nous pouvons également observer cette relation directe entre les mouvements vertébraux et la localisation du CM. Pendant le développement embryonnaire, le niveau du CM monte à l’intérieur du canal vertébral à mesure que l’embryon peut augmenter le degré de flexion du rachis. La colonne vertébrale du bébé recrée l’évolution de la colonne chez les hominidés. Pendant que le bébé rampe, la colonne vertébrale est rectiligne et il n’y a presque pas de changements au niveau du CM. Quand il commence à marcher droit, des courbures apparaissent dans la colonne, tandis que le CM continue à monter. La remontée est terminée lorsque la lordose lombaire est totalement consolidée.

 LA BIOMÉCANIQUE DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DE LA MOELLE ÉPINIÈRE CHEZ L’HOMME

Pour compléter notre étude sur le niveau du CM, nous allons passer en revue brièvement quelques aspects de la biomécanique de la marche bipède. Les facettes articulaires de L4 et L5 sont orientées verticalement, empêchant ainsi les vertèbres de tourner sur leur axe central. Lovett (23) a découvert que les vertèbres lombaires pivotent lors des mouvements de latéroflexion de la colonne lombaire. Le sens de rotation varie selon la position de départ des courbures de la colonne : en position anatomique et en flexion ventrale les vertèbres lombaires tournent dans le sens contraire à celui de la lateroflexion tandis qu’en position de dorsiflexion elles tournent dans le même sens que latéroflexion.

Fig. 9. Mouvements de rotation et contre-rotation des ceintures scapulaires et pelviennes pendant la marche. Image reproduite avec l’autorisation de Serge Gracovetsky (24).

Selon Gracovetsky (24), trois mouvements synchrones se produisent à chaque pas de la marche (fig. 9) :
 latéroflexion de la colonne lombaire du côté du pied avancé (gauche) (fig. 9. 1a)
 Rotation de la ceinture pelvienne dans le sens contraire du pied avancé : de gauche à droite (fig. 9.1b) et de droite à gauche (fig. 9.2b)
 Rotation de la ceinture scapulaire dans le même sens que le pied avancé (de gauche à droite) (fig. 9.2c)

Ainsi, la ceinture pelvienne et la ceinture scapulaire tournent chacune dans le sens inverse comme s’il s’agissait de deux compas ouverts et reliés par leurs charnières au niveau de L3, le sommet de la lordose lombaire (fig. 10).

Fig. 10 A - Mouvements de rotation et contre-rotation de deux compas qui entrent en contact par leurs charnières (L3). B - En L3 sont reliés les charnières de deux mesures. Le supérieur tourne dans le sens de la taille scapulaire. celui de dessous dans le sens de la ceinture pelvienne.

L3 est la vertèbre avec la plus grande mobilité de la colonne lombaire. Ses facettes articulaires sont horizontalisés et parallèles entre elles, ce qui lui permet une grande capacité de rotation. (22) Elle est située près du centre de gravité corporel. Fonctionnellement, c’est un point de transition entre la zone supérieure et inférieure du rachis. Selon Kapandji.(22) L3 sert de relais musculaire entre les faisceaux lombaires du muscle grand dorsal (insérés dans les apophyses transversales de L3) et les faisceaux du muscle épineux dorsal (insérés dans la apóphyse épineuse de L3) (fig. 11)

Fig. 11. L3 est une vertèbre de transition, anatomiquement et fonctionnellement, où se rejoignent une partie de la musculature supérieure et inférieure du rachis. Image originale de Kapandji (22). Reproduite avec l’autorisation de Maloine edition.)

 Pourquoi le cône médullaire humain est-il situé au-dessus de L3 ?

Selon Rubinstein (25) (cité par Roth) (26), la faible sensibilité du tissu nerveux à l’hormone de croissance est responsable de l’asynchronisme entre la croissance de la colonne vertébrale et celle de la moelle épinière. Chez les mammifères, cette hypothèse n’expliquerait pas la variabilité au niveau du CM que l’on peut trouver entre certaines espèces d’un même groupe taxinomique. Comme nous le verrons ci-dessous, une explication possible de la localisation du CM humain au-dessus de L3 est d’éviter les torsions médullaires qui peuvent endommager la moelle épinière lors des mouvements de rotation et contre-rotation de la colonne vertébrale.

La moelle épinière est maintenue en suspension dans le canal vertébral par les ligaments dentés, les fixations des racines nerveuses et le filum terminale. Les mouvements de flexion et de rotation de la colonne vertébrale produisent des tractions et des rotations médullaires qui réduisent le calibre des vaisseaux sanguins médullaires (fig. 13) (27). Les axones et les vaisseaux sanguins médullaires sont disposés en zig-zag (fig. 12) pour éviter que les mouvements du rachis ne blessent la moelle épinière (27).

Fig. 12. Coupe sagittale de la moelle épinière cervicale au niveau de C6.
 A (gauche). Flexion ventrale. Les axones médullaires se redressent et se contractent.
 B (à droite). Flexion dorsale. Les axones médullaires se plient en zigzag. With permission, Breig 1978, Shacklock 2007 (28).
Fig. 13. Vaisseaux sanguins de la moelle épinière.
Gauche. Les mouvements de flexion ventrale de la colonne vertébrale tendent la moelle épinière, réduisant le calibre et le flux dans les vaisseaux sanguins.
Droite.Les mouvements de flexion dorsale de la colonne vertébrale diminuent la tension médullaire, augmentant le calibre et le flux dans les vaisseaux sanguins. With permission, Breig 1978, Shacklock 2007 (28).

Si la moelle épinière occupe complètement l’intérieur du canal vertébral (fig. 15 B), les mouvements de rotation et de contre-rotation de la colonne produits pendant la marche tordraient la moelle épinière d’une manière semblable à une serviette que nous tordons avec nos mains (fig. 14). On est en droit de penser qu’après de multiples torsions, il se produirait une ischémie et des lésions des tissus médullaires.

Fig. 14. Mouvements de rotation et contre-rotation des mains en tordant une serviette.

Une solution biomécanique pour éviter la torsion médullaire est de placer le CM au-dessus du point neutre (par rapport à la rotation et contre-rotation) de la colonne lombaire (fig. 15 C) c’est-à-dire au-dessus de L3, de sorte que toute la moelle tourne dans un seul sens (celui de la ceinture scapulaire).
Les maladies congénitales qui, comme la moelle épinière ancrée (tethered cord syndrome), qui présentent des adhérences de la moelle, des méninges et du filum terminale aux parois du canal vertébral, favorisent l’apparition de torsions médullaires, par un mécanisme semblable à celui de la figure 15 B.

Fig. 15 A - Mouvements de rotation et contre-rotation de deux compas qui entrent en contact au niveau de leurs charnières. B - Moelle épinière occupant entièrement l’intérieur du canal lombaire (CM situé en dessous de L3). Les mouvements de rotation et de contre-rotation des ceintures pelviennes et scapulaires tordent la moelle épinière. C - La moelle épinière occupe la zone supérieure du canal lombaire (CM situé au-dessus de L3). Le filum terminale (FT) est situé en dessous de L3. La moelle tourne dans le même sens que la ceinture scapulaire, de sorte qu’il n’y a pas de torsion médullaire.

 CONCLUSIONS

Malgré les progrès considérables réalisés dans l’anatomie et la physiologie du SNC, il reste encore beaucoup à faire en matière de biomécanique de la moelle épinière.

Au cours de l’évolution, des espèces de vertébrés capables d’effectuer des mouvements de rotation et de flexion antéro-postérieure de la colonne vertébrale sont apparues, présentent une moelle épinière plus courte que leur colonne vertébrale. Ce raccourcissement relatif de la moelle épinière par rapport à la colonne vertébrale a été une stratégie évolutive efficace visant à éviter que les mouvements de torsion médullaire produits pendant la marche ne blessent la moelle.

L’anatomie comparée nous permet de constater que plus ces mouvements de colonne sont amples et complexes, plus la longueur de la moelle épinière par rapport à la colonne vertébrale est courte et Le CM est donc placé à un niveau supérieur.

Quel intérêt médical y a-t-il à connaître les raisons pour lesquelles le CM humain se situe au-dessus de L3 ? Son intérêt est d’apporter une meilleure compréhension physiopathologique des myélopathies ischémiques du Tethered cord syndrom et de certaines syringomyélies lombaires.

Comprendre comment les mouvements du corps affectent la physiologie du SNC nous permettra de concevoir des traitements médicaux et chirurgicaux (arthrodèse, corsets orthopédiques, réadaptation, ostéopathie, chiropratique, etc.) moinsiatrogènes. Il peut également être utile dans la pratique sportive, car nous pouvons concevoir des exercices physiques sains adaptés aux particularités de chaque type de dos.

REMERCIEMENTS
Je remercie :
 Prof. Antonio Zorzano (University of Barcelona, and IRB Barcelona) pour ses conseils.
 Carmen Prats Rocavert (MD. BSc Biological Science) pour sa collaboration.

L’auteur a respecté les lois de la propriété intellectuelle et remercie les propriétaires des images de cet article soumises au copyright pour leur autorisation à les publier.

FINANCEMENT
Cette étude n’a pas été financée par des organismes publics ou privés.

CONFLIT D’INTÉRÊTS (CONFLICT OF INTEREST )
L’auteur ne fait pas partie d’organisations universitaires ou commerciales liées au sujet traité dans cet article.

 BIBLIOGRAPHIE

1- Saifuddin A, Burnett S, White J. The variation of position of the conus medullaris in an adult population. A magnetic resonance imaging study. Spine (Phila Pa 1976). 1998 ;23(13):1452-6.

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