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Détendre : objectif principal de l’ostéopathie ?

Alain A. Abehsera D.O.
 
Créé le : mercredi 17 août 2016 par Alain Abeshsera

Dernière modificaton le : jeudi 19 janvier 2023

La détente est-elle l’objectif principal de l’ostéopathie

Alain A. Abehsera D.O.


L’ostéopathie a vocation de médecine générale. Elle peut, dans ce cadre, être utilisée comme une technique de ‘bien-être’. Un bon traitement ostéopathique, même non spécifique, ‘fait du bien’, ‘détend’. Il faut, cependant, prendre garde aux principes. Aucune fonction physiologique n’est meilleure qu’une autre, et il ne faut pas préférer la détente à la tension. Dans cet article, face à la promotion de la détente, abondamment plaidée de nos jours, l’auteur joue le procureur et appelle au tribunal cette quête de la relaxation en ostéopathie. Sans ignorer la valeur que cet état peut procurer aux patients, il est toujours souhaitable de rappeler la dualité dynamique des choses : tension et détente forment une paire qu’il ne faut point dissocier.
Quelque peu polémique, ce texte présente un côté des choses plus que l’autre. Il ne prétend rien retirer, cependant, de la valeur de la détente au profit de la tension, ce que nul praticien sensé ne saurait faire. Parfois, cependant, dans une perspective thérapeutique, on doit plus parler en faveur de ce qui est tombé en défaveur…


La guerre contre la tension et le stress est devenue générale ces dernières décennies. Être tendu est un terme à la consonance - presque systématiquement - péjorative. Et, par vérification, détendu, un état préférable. Depuis les recherches fondatrices, dans le domaine du stress, du Prof. Hans Selye (1907-1982) [1], cette réaction de l’organisme est passée du statut de réaction physiologique initiale impliquant, de manière complexe, nos voies métaboliques, hormonales et nerveuses, à celui de pathologie installée, avec un individu tendu, tremblant de ses mains, fiévreux dans sa mobilité, inquiet de tout.
Fort de cette généralisation, la tension est devenue une maladie à part entière, responsable de l’angoisse, des maladies allergiques, du ‘mauvais’ cholestérol, des problèmes de cœur, du lombago ou même du cancer. L’hyper-tension artérielle, pourtant idiopathique à ce jour, aurait enfin trouvé sa cause, d’autant plus qu’elle porte le nom adéquat. « Vous êtes trop nerveux ! » « Vous avez besoin de diminuer votre stress ! » sont des phrases que le médecin peut prononcer sans craindre de se tromper, attirant un soupir de « Enfin, quelqu’un qui me comprend ! » de la part du patient. D’autant plus que, souvent, cela implique l’entourage ou l’environnement – accusés de stressants - faisant que le patient se ressent comme une victime. Lui, tout seul, s’en sortirait, mais son entourage, au travail ou à la maison, le stresse.

Tout cela va avec le rythme et le développement de notre civilisation : nous sommes, presque tous, en excès de vitesse. Nombre de laboratoires, praticiens de santé, livres, sites prônent comme remède évident la détente, la relaxation. Le marché est immense, à hauteur de cet état ubiquitaire.

Ceci concerne l’ostéopathie à bien des points de vue.

Du point de vue général d’abord puisque les traitements ‘anti-stress’ ou ‘détente générale’ constituent des motifs fréquents de consultation chez l’ostéopathe. Mais, il faut l’avouer, notre profession n’est pas seule sur ce coup. Massages, spas, centres de bien-être, offrent un ‘package’ varié, associant un travail manuel à différents produits végétaux ou minéraux, qui vise également cette clientèle.

Dans cette image, comment distinguer la manipulation ostéopathique ‘holistique’ ayant pour but, par exemple, de soigner un asthme, d’un massage ‘superficiel’ destiné à détendre le patient pour quelques instants ?

Soldates et soldats de la tension, unissez-vous !

Du point de vue particulier, l’ostéopathe est en première ligne face aux tensions. En effet, on considère, dans à peu près toutes les techniques manuelles, que le patient doit être détendu, pour que la ‘manipulation’ puisse avoir lieu. Dans les approches d’écoute tissulaire, le patient reste couché une demi-heure, en présence de quelqu’un de calme dans un lieu calme, ce qui promeut la détente. Dans ces techniques très douces, on est en quête d’un point de tranquillité, un moment de détente très profond (en anglais : still point), qui irait même jusqu’à notre organisation embryonnaire, selon l’approche dite biodynamique. Dans celle dite ‘structurelle’, on demande au patient de se ‘détendre’ avant chaque manipulation, mais aussi, on prépare volontiers la mobilisation articulaire à l’aide d’un travail préalable sur les tissus mous, toujours dans un souci détente. Cela paraît si évident que ce serait saugrenu de questionner la chose. À tel point qu’on peut considérer la tension comme un état négatif dans à peu près toutes les formes d’ostéopathie [2]. Elle est signe de la lésion et objectif du traitement.

Ériger la ‘détente’ en valeur ultime pour le toucher ostéopathique paraît, cependant, une erreur. En effet, notre souci globaliste nous interdit de prendre parti pour un phénomène physiologique ou son contraire. Il faut savoir tendre tout autant que détendre. Stimuler comme inhiber. Stresser et dé-stresser.

Différentes images présentant l’ostéopathie au public. Le culte du sommeil…

Quel est le message de nos massages ?

On devra cependant se poser quelques questions, car, soit nous sommes une forme de masseurs consultés pour de la détente, ce qui est tout à fait honorable, soit nous prétendons avoir des effets dans toutes les sphères de la pathologie, et dans ce cas, des notions simplistes comme ‘tendu’ et ‘détendu’ sont très insuffisantes pour expliquer les maladies.
Parmi ces questions : quelle est la spécificité de la relaxation obtenue après un traitement ostéopathique ? Est-elle fondamentalement différente de celle que produit un massage suédois, thaïlandaisou californien ? Plus généralement, est-ce une valeur dans tous les cas et en première intention que de détendre quelqu’un, localement ou généralement ? Et ce, au-delà du bienfait à court terme, dont le bénéfice ne peut être remis en cause… Ou encore : la détente est-elle une partie obligatoire du traitement ostéopathique ? Devant un état infectieux - par exemple une angine ou une bronchite importantes - doit-on ‘détendre’ les tissus infectés, comme moment principal du traitement ? Et donc, ‘faire de l’écoute’ ou du ‘fascia’ sur la gorge antérieure et le thorax ? En ostéopathie dite ‘structurelle’, est-il vraiment nécessaire de ne ‘travailler’ les articulations que lorsque le patient est complètement détendu ?

La détente avant le coup de grâce

Quelques vieux souvenirs d’étudiant et de jeune praticien me reviennent. Ces souvenirs n’engagent que moi et mes condisciples, mais en discutant avec quelques étudiants, ils semblent avoir encore de la pertinence. Lors des mobilisations de la hanche dans le cadre d’un GOT (traitement ostéopathique général), avec le patient en décubitus dorsal, combien de fois nous devions interrompre le traitement car le/la patient(e) ne se ‘laissait pas faire’, tendait la jambe, prenait l’initiative du mouvement ! Il y avait des personnes qui nous tendaient une jambe de plomb. Et cela voulait dire, à l’époque : traitement impossible. Tension égalait soin inefficace. Il en va de même pour les manipulations cervicales ou autres, qui devaient se faire dans un état de détente complet. Et nous voilà en train de verrouiller le cou du patient, moultes fois, en lui disant : « Détendez-vous, voyons ! Je ne vais pas vous faire de mal ! », ce qui aboutit parfois à des scènes tragi-comiques où le patient ne comprend plus rien. Il doit se détendre mais comprend qu’on va lui tordre le cou et cherche à se protéger. Il guette le coup de grâce.

Je me souviens également que cette nécessité de se détendre nous rendait parfois…méchants. En effet, la faute d’un échec clinique, après une session sans détente, revenait au patient. Nous lui faisions la tête et lui faisions comprendre que tant qu’il ne ferait pas l’effort de se détendre – quelle expression significative !! - on ne pourrait pas le soigner. Nous, on ne demandait qu’à faire bien notre art, mais lui ou elle, dérangeait...

Dans les années 80, j’avais développé une manière de manipuler sans contact manuel direct, sorte d’ostéopathie à distance. Un de ses grands avantages, je pensais alors, était que cela ne nécessitait en aucune manière la participation du patient, et donc, sa détente. Je vois cela, maintenant, comme un des désavantages potentiels de ces techniques, même si elles sont très efficaces : rien ne vaut le contact, les perceptions in vivo. Ne pas toucher ou toucher très peu peuvent être des contributions intéressantes. La matière vivante, cependant, reste de la matière, et elle exigera toujours comme interlocuteur principal, la matière de nos mains et non que nos pensées.

Dormez, on fera le reste

Détendre revient, un peu, à endormir. Et donc tendre… à réveiller. Doit-on alors privilégier l’endormissement sur l’éveil ? Ne peut-on envisager que la manipulation doit se faire dans le cadre des réactions naturelles du patient, qui, incluent, souvent la ‘résistance’, et donc, un éveil qui assure la protection des tissus ? Combien d’accidents et de problèmes sont survenus ou ont dû survenir, parce que le patient avait baissé sa garde, s’était dé-tendu  ? Certes, le contraire est vrai : des accidents suite à une trop grande résistance du patient, que le praticien tente de forcer, avec une déchirure tissulaire conséquente. Un thérapeute est entre Charybde et Scylla : il est, de toutes les façons, risqué de forcer les barrières comme de les enlever, avant d’introduire des forces extérieures. Décider de la meilleure manière de procéder est ce qu’on appelle le jugement clinique, et la capacité de juger s’exerce le mieux quand on dispose de trois possibilités : faire une chose, le contraire, ou s’abstenir.

En ostéopathie ‘pédiatrique’, on conseille que l’enfant dorme ou tète pour pouvoir poser les mains sur le crâne et manipuler. Souvent, en effet, à l’état d’éveil, le même enfant hurlerait et rejetterait tout appui. Or, et cela n’engage que moi, je trouve qu’un enfant qui crie lorsqu’on lui pose les mains envoie un signal simple et cru qu’il ne faut pas lui manipuler le crâne mais faire autre chose [3]… Ce qui nous est agréable, la pose des mains autour de notre tête, lui est peut-être parfois très désagréable, rappelant l’enserrement de l’accouchement. Attendre qu’il s’endorme pour le faire relève d’une certaine tromperie. La détente ressemble, alors, à l’anesthésie : on peut faire ce que l’on veut aux tissus. Il se peut que l’ostéopathe, encadré par ses principes de respect de la globalité, ne doive pas rechercher ces états où le patient est sans ses protections et où l’on va donc contre ses choix profonds. Traitements à distance, manipulations sous anesthésie ou pendant un état de relaxation profond [4], sont autant de procédures certes utiles dans la caisse à outils du thérapeute manuel, mais qui posent problème.

La perception équilibrée de la tension d’un côté du corps selon notre compréhension globaliste, voudrait qu’on pense autant au côté controlatéral. Confronté à une région trop tendue, on doit penser qu’il existe, forcément, une autre trop détendue. Un SCOM droit trop ‘efficace’ doit faire penser au gauche qui a choisi de l’être moins. Or on va ‘allonger’, ‘détendre’ le muscle droit sans accorder autant d’attention au gauche, sans se préoccuper de le ‘raccourcir’ et le ‘tendre’, car, au fond, les techniques dont nous disposons dans ce but sont plus pauvres. On fait généralement le choix d’agir du côté tendu, et d’ignorer plus ou moins l’autre, car on ne sait pas trop comment procéder, hormis pour certains praticiens pointus des ‘chaînes musculaires’ et autres techniques moins connues et pratiquées des ostéopathes.

Une approche recommandée pour tout et pour tous

Quant aux ostéopathies dites d’écoute des tissus, elles soulèvent des questions bien particulières dans ce contexte. Le patient se trouve, là encore, couché, en état de détente, avec un praticien ‘imposant les mains’. Apparemment, elles sont totalement dénuées de danger physique, et donc de la nécessité de se protéger comme dans les manipulations recourant à la force extérieure. On ne connaît pas, à ce jour, de cas de rupture de l’artère vertébrale suite à une écoute manuelle de la région sub-occipitale. La question se pose alors ainsi : quelque chose qui ne présente aucun danger est-il efficace ? Une thérapie sans aucune contrindication est très problématique [5]. On pourrait dire, en gros, que moins on a de contrindications, moins on a d’indications, et vice-versa. Les techniques ‘myofasciales’ n’ont, précisément, aucune contrindication connue, et donc, diront leurs critiques, aucune indication particulière. À part, la vocation de procurer du bien-être, ce que nul ne peut contester, puisqu’elles font tout dans ce sens : calme, silence, mains immobiles etc. Inversement, si elles sont très efficaces, ce que je crois en tant que praticien de ces approches, il faudrait déterminer leurs dangers, puisque, là encore, le patient se trouve relativement sans protection, confronté à un praticien qui affirme ‘pénétrer’ dans les niveaux les plus profonds de son être, y compris embryologique, selon les termes mêmes des tenants de ce type d’ostéopathie. Avec tout le respect dû à ceux qui nous ont appris ces approches, l’idée que l’ostéopathe, en écoutant, se relie à un niveau où les tissus expriment leur ‘vérité’, où l’on contacte le ‘potentiel inhérent des tissus qui ne se trompe jamais’ [6], évoque bien plus la dogmatique religieuse que des faits physiologiques avérés. Pour l’instant, ces techniques n’ont pas prouvé leur supériorité clinique dans un domaine particulier de la pathologie, ce qui invalide leur affirmation qu’elles atteignent un niveau plus profond de l’être que les autres formes d’ostéopathie. Il ne faut donc pas hésiter à dresser leur bilan : efficacité et dangers potentiels.

Voilà beaucoup de questions à laquelle notre profession devrait s’atteler. Avec le temps, je les ai accumulées à un tel point, qu’un renversement technique s’est opéré en moi. J’ai appris à travailler dans le cadre des tensions du patient, même les plus fortes, et à en faire une utilisation positive. C’est ce que le corps demande, à nous de nous débrouiller. Et je trouve le GOT ou n’importe quelle autre technique de mobilisation ou d’articulation, beaucoup plus intéressante à pratiquer ainsi. Cela vaut pour l’adulte qui nous laissera à peine tourner son cou, exerçant une résistance maximale. Mais aussi pour l’enfant : nul besoin d’attendre l’endormissement ou la tétée, on peut soigner n’importe quelle région en bougeant avec lui, avec juste cette petite mesure de résistance qui fait que nous traitons, mais qui fait aussi que l’enfant ne s’aperçoit pas trop de notre présence, voire, bien mieux, la considère comme amusante.

Yin et Yang, comme toujours

La question de la valeur supérieure de la détente sur la tension nous amène à une réflexion plus large sur la Réalité. J’avoue avoir un faible pour le modèle chinois du Yin Yang - on me l’a enseigné tout jeune – pour sa simplicité toute ludique et sa profondeur. Il nous rappelle l’équilibre devant toute dualité. Dans le cas présent, lorsqu’on détend ici, on doit tendre ailleurs, en quantité égale. ‘Enlever le stress’, comme l’on dit communément, est un objectif qui pèche non seulement vis-à-vis de la physiologie - car on sait à quel point le stress est une réaction utile et complexe, bien trop pour que qui que ce soit prétende ‘l’enlever’ - mais aussi vis-à-vis des principes de l’équilibre et de la globalité. Endormir, en argot, désigne bien le deuxième sens négatif de cette action. On endort quelqu’un pour en abuser. Alors qu’éveiller est associé à une action positive : l’éveil du patient à ses problèmes, ce qui me paraît plus prometteur que l’endormir. Choisir, comme programme général de traitement que les patients sortent ‘reposés, détendus, relax etc.’ de nos séances, reste un choix, et donc une vision partielle.

Mon initiation à l’ostéopathie s’est faite à l’écoute des textes de John Martin Littlejohn (1865-1947), lus par notre maître, John Wernham (1915-2007). Or, dans son approche de la pathologie, Littlejohn, physiologiste qu’il était, recourait constamment à deux notions : la stimulation ou l’inhibition. Cette distinction a de profondes racines historiques en médecine [7]. Dans telle pathologie, il fallait ‘inhiber’ les tissus là, et les ‘stimuler’ ailleurs. C’est ainsi que nous avons entendu parler ‘ostéopathie’ pendant notre première année : un paradoxe permanent, une oscillation entre deux extrêmes. Or cette dualité dans la technique a largement disparu de notre profession. On fait dans la détente, l’équivalent de l’inhibition, et rarement dans la ‘stimulation’. De ce que nous comprenions de Wernham, la différence entre les deux gestes était minime : question de rythme et d’appui. Mais la différence d’effet était supposée majeure. C’était comme cela qu’on pouvait prétendre soigner des états pathologiques complexes, tels les états infectieux, où il fallait passer de mesures actives (pompage, articulations, ouvertures) à des moments de mise au calme des tissus (écoute, exagération des lésions).

Tendre en détendant, détendre en tendant

Quelques discussions de technique permettront de bien illustrer cette nécessité de travailler avec la tension et la préserver, voire l’augmenter, pour lâcher prise ensuite et laisser la détente s’installer.

Prenons n’importe quelle technique articulatoire, par exemple tirée du TOG (ou GOT, Traitement Ostéopathique Général de Wernham/Littlejohn). Le patient est assis. Je me propose de travailler sur son épaule et son thorax en empaumant le coude d’une main, et de l’autre, je fais un contre-appui sur la zone que je veux travailler, et donc un appui variable en intensité et en localisation. Je commence à soulever le bras et l’avant-bras et à faire une circumduction à l’épaule. Le patient se tend, résiste. Aucune nécessité d’exiger la détente comme condition nécessaire à la suite du traitement. Car, à force de répéter « détendez-vous ! », on arrive vite à un état de confusion complète, où le patient ne sait plus du tout à quel état correspond quoi. L’opérateur doit simplement interpréter entre ses mains les résistances qu’il ressent [8]. Il donne du sens là où il y a de la confusion. En soulevant le bras d’un côté, et en appuyant avec la main de l’autre sur le gril costal, il ressent la ‘masse’ des tensions entre ses deux mains, et c’est dans cette masse, qu’il doit trouver les hétérogénéités tissulaires, les endroits à travailler plus que d’autres, les côtes à soulever etc… La sensation de détente n’importe pas dans ces moments. On travaille les duretés comme le forgeron la lame qu’il plie et replie.

L’ostéopathe appréhende ainsi le patient comme une unité : tel qu’il est, avec ses tensions, son chaos intérieur, et, grâce à son toucher unifiant, il va permettre au patient de trouver de la détente, une détente dans laquelle les tissus se laissent aller, car elle leur paraît meilleure que l’état tendu précédent.

En quelque sorte, je suggère qu’il faut accorder aux tensions un mérite du point de vue de la technique ostéopathique : elles forment des zones de dureté dans la visualisation de l’opérateur, et lui permettent, comme dans l’exemple ci-dessus, de soulever en trois dimensions le gril costal avec le levier du bras, bien mieux que si le patient était détendu ! Les tissus détendus sont autant de zones qui, par leur silence, nous indiquent de les laisser tranquilles. Nulle question, ici, de se ‘battre’ avec le patient. Bien au contraire, on travaille avec sa résistance, en la ‘vainquant’ un tout petit peu, juste de quoi permettre le mouvement. Le patient ne doit éprouver aucune culpabilité de ne pouvoir se détendre pendant la séance. On ne saurait demander à quelqu’un de changer des dizaines d’années d’habitude de soi pendant la demi-heure de présence chez l’ostéopathe.

Ce travail tissulaire dans la tension est à bénéfice mutuel. Pour le patient, mais pour l’opérateur aussi. Car l’état tendu et résistant des muscles, ligaments ou fascia est avantageux du point de vue de la visualisation : un muscle détendu est ‘invisible’, ‘impalpable’ alors qu’un muscle ou ligament tendus sont visibles et palpables. Ce sont autant de traits, de filaments, de faisceaux entre nos mains.

Le travail sur des tissus détendus garde ses indications préférentielles. Il semble logique de penser que le drainage articulaire ou viscéral se fera mieux sur une zone détendue, puisque, plus grande est la course tissulaire, plus le drainage est efficace. La tension me paraît plus efficace pour ‘bouger’ les solides et la détente, pour mobiliser les liquides. Mais l’inverse est vrai, également…

Jouer à la tension

Ces remarques valent tout particulièrement en ostéopathie dite ‘pédiatrique’, où il faut impérativement respecter les résistances des enfants [9]. Si je saisis le bras d’un enfant, et qu’il résiste très fortement à cette saisie, m’indiquant qu’il la refuse, je dois céder, arrêter, passer à autre chose, ou essayer ailleurs. S’il résiste mais pas au point de fuir mon toucher, le ballet commence : je dois sentir sa résistance dans toutes les directions, et explorer l’espace ensuite, en mobilisant l’articulation, mais avec une force qui n’est que très légèrement supérieure à la force de résistance de l’enfant. Autrement dit, l’enfant se protège en permanence grâce à sa résistance. Il est peu probable, dans ces conditions, qu’un accident puisse survenir puisque l’enfant est en charge de la mobilisation. Par contre, du point de vue de notre visualisation, nous aurons, à nouveau, la chance d’avoir un système en éveil sous nos doigts, chaque résistance étant comme un faisceau de lumière qui s’allume dans les tissus, qui, somme toute, sont cachés par la peau et obscurs à notre palpation.

Pour emprunter la langue du dessin, la tension surligne, la détente efface. Dans mes visualisations, et en cela je diffère de certaines approches, je tâche de remplir mon image de ‘fibres’, de ‘connections’, plutôt que de cultiver une image de ‘vague’, ‘d’océan’, de ‘fluide’. Les techniques qui ‘fluidifient’ l’image des tissus procèdent autrement, ce que je respecte, mais je préfère ce qui me donne des coordonnées anatomiques, des adresses tissulaires. Les approches où l’on visualise la ‘disparition’ des différences, des contours, tentent de toucher à un autre niveau, que j’avoue ne pas maîtriser, mais qui ne me semble pas adapté à la versatilité de la pathologie humaine, et qui est plus approprié à un traitement de bien-être et/ou psycho-émotionnel.


Attention Danger : Ostéopathe en action !

Un nouvel élément à verser aux dangers potentiels de l’ostéopathie : le SCIWORA, thème principal d’un article à paraître par le Dr Antonio Ruiz de Azua Mercadal, DO MD [voir ci-dessous]. Ce danger potentiel concerne toutes les formes d’ostéopathie : crâniosacrée et structurelle. Là encore, on ne peut s’empêcher de penser au rôle protecteur de la tension chez les adultes comme chez les bébés. A forcer les choses, soit parce qu’on le demande au patient (cas des adultes traités par HVBA), soit parce que le patient est endormi (cas du bébé cité dans l’article), on peut encourir des risques sévères à court ou long terme. Les tensions sont nos cuirasses et nos boucliers contre ces intrusions. Et contre bien d’autres choses, j’ose imaginer.

Note
Le SCIWORA, terme anglais pour Spinal Cord Injury Without Radiologic Abnormality, est un traumatisme de la moelle épinière sans anomalie radiologique. Voir : « SCIWORA à la suite de manipulations ostéopathiques chez les enfants et les adultes », 1ère partie, Le Monde de l’Ostéopathie n°17, pp.23-29.


Le Grand Réseau

Notons l’intérêt du mot ‘tendre’ en français. Il marque tout début d’action, même à son stade élémentaire, il indique la pensée de l’acte. On dit : on tend à… Ce type de tension, intérieur, qui rappelle ce qu’on nomme l’intention, semble tendre le Réel, en supposant que celui-ci est fait d’une toile de filaments, un ‘web’, dans laquelle nous évoluons. La physique moderne permet cette image : la réalité serait un immense réseau de filaments entrecroisés, un tissu conjonctif, dans lequel évoluent humains, animaux, plantes, et minéraux. Pour reprendre un mot récemment introduit en physiologie humaine - la tenségrité - la Réalité est structurée par des filaments résistants à la tension et à la compression. Nos tensions, nos pensées sont autant de ‘tenseurs’ de cette toile du Réel.

La détente comme la tension ne sont donc pas que des actes locaux, intérieurs au corps, elles impliquent aussi notre environnement. On sent bien, comme le dit le langage, lorsqu’une atmosphère est ‘chargée’, ‘tendue’ ou ‘détendue’. L’équilibre entre détente et tension va donc singulièrement au-delà de la perception de crampes dans le mollet ou les trapèzes suite à une course ou une journée au bureau. C’est tout le filet qui nous entoure à l’extérieur et nous structure à l’intérieur qui est affecté.

J’ai beaucoup essayé ces choses-là sur moi-même. Autant je suis adepte de ces moments merveilleux de détente qu’on peut éprouver en se soignant ou étant soigné, autant je suis convaincu que les tensions sur soi sont des mines d’information précieuses qu’il ne faut pas supprimer ou éteindre, mais qui nous guident. En se percevant soi-même, par exemple, on peut sentir leur éveil successif, plan par plan, faisceau par faisceau, traversant organes et articulations, reliant la jambe au cœur et le carpe à l’intestin, et leur ‘accrochage’ en dehors de notre corps, dans le réseau conjonctif de la Réalité. Ce n’est pas que dans la détente et dans la méditation immobile qu’on sent ces choses mais aussi par la mise en tension active. C’est d’ailleurs l’alternance entre ces deux états qui donne les contrastes les plus remarquables. Se laisser aller complètement après avoir mis en tension maximale procure une leçon d’anatomie remarquable et un grand moment de bonheur. Après tout, on sait bien que la détente la plus heureuse est celle qui vient après le travail, et donc après la tension !

Toucher une chose et son contraire

L’ostéopathie, aux mains d’Andrew Taylor Still puis ses élèves, a évolué comme un grand exercice de perception et de toucher paradoxaux [10]. De savoir quand, où et comment stimuler, calmer, éveiller, endormir. Une main qui tend et l’autre qui détend, une qui solidifie et l’autre liquéfie. Et toutes les combinaisons possibles, le tout fait sur une anatomie vivante - ce qu’autrement, on appelle la physiologie - qui résiste ou se laisse faire, mais toujours accompagnées par un praticien qui cultive le paradoxe : un brin d’éveil quand ça dort trop, et une pincée de calme quand ça résiste trop. Ce qui fait qu’une séance d’ostéopathie ne devrait pas ressembler, aux deux extrêmes, à un pugilat ou à une anesthésie générale, avec pour victime, dans les deux cas, le patient, et pour bourreau, l’opérateur. La technique ostéopathique, comme le point blanc dans la plage noire, et le point noir dans la plage blanche du Tao, devrait être un zeste de sommeil dans une grande plage d’éveil, et une pointe de stimulation dans un océan de détente.


Remerciements 

À Jean-Louis Boutin, Ostéopathe, pour sa lecture critique de cet article, qui m’a permis de corriger les déséquilibres du texte original, inévitables à trop vouloir dire le contraire de ce qui se dit…

À Mr Joseph R., que j’ai eu à soigner, et qui a illustré, pour mes mains et ma compréhension, pendant la rédaction de cet article, ce que j’ai voulu dire ici.

[1Communication présentée à la séance du 22 janvier 1977 de la Société française d’Histoire de la Médecine. François-Joachim BEER, : L’histoire du concept biologique du Stress (format pdf. Note du webmestre)

[2On peut exclure la méthode de F. L. Mitchell (Muscle Energy Technique) qui utilise la tension musculaire comme force principale du traitement.

[3Le traitement ostéopathique prôné pour la plagiocéphalie me semble illustrer cette intrusion potentielle dans les mécanismes de l’enfant. Cette condition, qui n’est pas une pathologie proprement dite, pose la question de notre relation à la normale, l’anormal, et ce que nous considérons devoir faire, avec ou contre l’assentiment du patient. L’enfant est un cas ‘idéal’ car il ne vient pas consulter de lui-même, et on va tenter de le ‘normaliser’ en contournant son approbation ou sa désapprobation, ce qui nécessite qu’il soit ‘calme’ et ‘accepte’. Dans la plagiocéphalie - malgré notre méconnaissance relative des mécanismes étiopathogéniques - certains proposent un protocole de traitement crânien, intense pour un tout petit, qui, la plupart du temps, aurait vu ses asymétries se corriger spontanément. La valeur remarquable du traitement ostéopathique dans cette condition n’est pas liée à une manipulation des os du crâne – à l’effet douteux - mais à une appréciation de ce qui influence leur mécanique et qui peut être en dehors du crâne (dans ce cas, l’asymétrie de tension des SCOM selon la littérature médicale et certains ostéopathes plus ‘fonctionnels’ comme H. Julien). Il faut donc trouver la ‘manipulation’ qui est la mieux acceptée par l’enfant à l’état d’éveil. L’un des critères de cette acception est l’absence de cris et la coopération de l’enfant tout le long de la séance, qui sera, forcément brève…Le résultat clinique devra être non pas la symétrie immédiate des os, mais un changement dans le comportement de l’enfant, pour le mieux, qui montre le soulagement des ‘fonctions’ à la levée des contraintes imposées par les ‘structures’. Au départ, cependant, il semble bien que la plagiocéphalie soit une manifestation d’une désorganisation des structures (asymétrie crâniofaciale) suite à un trouble des fonctions (asymétrie de traction des SCOM sur les temporaux). C’est donc un jeu subtil entre ‘structure’ et ‘fonction’ qui est en place. La coopération de l’enfant est nécessaire pour comprendre ce jeu, et l’endormissement du joueur principal - le tout petit - regrettable.

[4Trois approches qui contournent l’éveil du patient :
a) l’ostéopathie à distance du patient que j’ai longtemps pratiquée de manière exclusive, où la nécessité de la détente ne se posait pas, ce dont j’étais fier, mais qui me pose question maintenant.
b) Les manipulations sous anesthésie étaient fréquentes aux mains des chirurgiens orthopédiques ou médecins de médecine manuelle dans les cas de sciatique sévère, où les tensions et douleurs du patient éveillé interdisaient toute mobilisation.
c) Les manipulations sous détente profonde sont le fait plus courant de l’ostéopathe.

[5Je suis en cours de rédaction d’un article sur la question des contrindications des ostéopathies dites ‘douces’.

[6Pour reprendre les paroles de Rollin Becker. Sutherland considérait l’ostéopathie structurelle comme l’application d’une ‘force aveugle venue de l’extérieur’. Cette affirmation va marquer le monde des ostéopathes crâniosacrée et consommer le ‘divorce’ entre les deux approches, le ‘structurel’, traité d’aveugle, et le crâniosacré, considéré comme un exercice de ‘voyance intérieure’.

[7L’un des derniers grands systèmes de pensée médicale est celui de John Brown, un écossais comme Littlejohn, associé puis opposé à Cullen, système qu’il décrit dans son Elements of Medicine, 1780. Il est fondé sur le rangement de toute pathologie dans deux ‘boîtes’, les maladies soit sthéniques, soit asthéniques, avec pour traitement conséquent, la stimulation ou l’inhibition (surtout médicamenteux dans le cas de Brown). Ce système binaire a profondément marqué l’histoire de la médecine en Occident.

[8Selon Jean-Louis Boutin, Ostéopathe, il faut distinguer la détente générale, discutée ici dans ses aspects potentiellement négatifs, du « laisser aller, simple lâcher prise qui permet d’effectuer un mouvement, accompli autrement que d’habitude, ce qui correspond à un “savoir dirigé’’ par le soignant, qui fait partie des outils de l’ostéopathe lorsqu’il tente l’ajustement » (communication personnelle).

[9Voir encadré ci-contre.

[10Cette notion de toucher paradoxal fait l’objet d’une série d’articles sur le Site de l’Ostéopathie intitulée : Perception de la mobilité et de la motilité tissulaire en ostéopathie III.



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