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L’ostéopathie dans les urgences infectieuses

Alain Abehsera - Revue Référence Ostéopathie
 
Créé le : lundi 16 janvier 2017 par Alain Abeshsera

Dernière modificaton le : lundi 1er novembre 2021

Alain Abehsera - L’ostéopathie dans les urgences infectieuses
Passé, présent, futur

Article paru dans la revue Référence Ostéopathie n°3 -Janvier - Février - Mars 2011 et reproduit avec l’autorisation de l’auteur et de la rédaction de la revue : rédaction, F Zenouda, E.Haddad et M.Ghanem

L’hiver apporte chaque année son lot de maladies infectieuses au pronostic parfois léger, parfois grave. On parle de virus au masque polymorphe, que l’on arrive à identifier souvent trop tard. Les saisons ne sont pas toujours en cause. D’autres virus apparaissent, en des contrées lointaines, nous rappelant l’existence de ces micro-organismes toujours aussi insaisissables et intraitables. Plus surprenant : le passé infectieux nous rattrape. Les fouilles des paléontologues en Sibérie ont ramené à la surface des virus géants, endormis depuis des millénaires, dont nous n’avons pas la moindre idée de la virulence. Ajoutons à cela, la menace que pèse sur nous l’adaptabilité des germes à nos antibiotiques, et donc le spectre d’infections aux microbes les plus gentils habituellement. En bref, les pandémies, comme celle de la Peste Noire ou celle de la Grippe Espagnole, ne sont pas que des souvenirs, mais des craintes très réelles. Et l’ostéopathie, dans tout cela ? Fera-t-elle des miracles comme naguère ?

Un conseil de guerre
Source : Photo du livre de A.T. Still Autobiography, 1897 p.72.

Il fut un temps où l’ostéopathie s’adressait aux situations dites dramatiques À ses débuts, dans les mains de Still, cette médecine était une réponse aux maladies qui tuaient en masse : les maladies infectieuses. On connaît l’expérience fondatrice, à l’automne 1874, où, un peu par hasard, Still traite, dans la rue, un enfant atteint de dysenterie et s’entend dire, par sa mère, le lendemain, que l’enfant est guéri. On lui apporte dix-sept autres cas, qu’il guérira également. Cette expérience est fondatrice parce que, pour la première fois, armé de ses principes - enfin ’clairs dans sa tête’ - Still est capable d’avoir un effet reproductible dans une maladie connue et au pronostic connu. On sait également que sa motivation, dans le développement de l’ostéopathie, fut largement influencée par la mort de plusieurs de ses enfants lors d’une épidémie. Trouver une réponse contre la mort collective qui frappait rapidement - un élément quotidien de la vie en son temps et là où il vivait - était sa quête du Graal. Et nous en avons hérité. Les livres de Still sont un prolongement de cette quête : il y parle du traitement du paludisme, de la fièvre jaune, de la tuberculose etc. Et peu d’orthopédie, qui, de toutes les façons, posait moins problème puisque les rebouteux, les masseurs ou les guérisseurs abondaient et avaient quelque chose à proposer. Pour les urgences vitales, maladies infectieuses surtout, la place était libre, et Still l’a occupée.

On peut, bien sûr, à la lumière de nos connaissances modernes, mettre en doute la véracité de ces histoires. Comment comprendre qu’un traitement manuel peut guérir le paludisme ou la fièvre jaune ? Comment faire la relation entre une manipulation vertébrale et les parasites se multipliant dans les globules rouges ? S’agit-il de ‘fanfaronnades’ ? Et si ce sont des histoires vraies, saurions nous en faire autant ?

Croire en quatre dimensions

Il existe plusieurs réponses possibles à ces questions. Je ne peux que donner mon sentiment, et il est construit à partir de la lecture de Still, livres et correspondances, à partir de ce que j’ai appris de mes Maîtres, de mes expériences cliniques et humaines. Cet article n’ayant pas pour but de dresser un tribunal de l’Histoire, j’irai droit à cette conclusion : je crois en ce que dit Still. Je crois, qu’en son temps, il a eu des succès étonnants dans des domaines où les autres échouaient. Non seulement lui, mais ses premiers élèves, que j’ai eu l’honneur de rencontrer. Ma modeste expérience clinique m’a enseigné que la réussite est une équation dans laquelle les principes donnent une profondeur exceptionnelle aux manipulations. Ce qui explique mon sentiment sur la deuxième question : oui, Still, et au-delà, ceux qui l’ont inspiré, nous ont laissé des principes assez puissants pour ’refaire’ ses réussites.

L’ostéopathe ne fait pas des gestes différents du rebouteux, du masseur ou du magnétiseur. Pourtant aucun de ces trois professionnels, à l’époque de Still comme maintenant, ne prétend pouvoir soigner les pneumonies ou le paludisme. L’ostéopathie a été, du point de vue technique, une révolution dans les arts antiques du massage, de l’imposition des mains, et des manipulations. Il faut immédiatement préciser, cependant, que cette révolution résida dans les principes derrière l’action des mains. Beaucoup moins dans la direction ou la force des appuis. En particulier, la technique ostéopathique, suite à l’insistance du Maître d’apprendre toute l’anatomie, a été voulue comme un ’massage’ dans les trois dimensions de l’espace. Still insistait pour que, sous ses mains, on maintienne, ouvert, un livre d’anatomie.

Un masseur, restreint par sa place professionnelle, s’interdit certaines dimensions. Il ne croit pas qu’il est en droit de dépasser la peau ou les muscles, ne se sent pas légitime en dehors d’enlever les ’nœuds’ ou les ’tensions’ juste en-dessous de ses doigts. Et puisqu’il n’y croit pas, il ne le fait pas, et on ne l’appelle pas en cas de pneumonie. De même, un rebouteux ne croit pas qu’il peut faire plus que replacer des os, et ramener la mobilité articulaire. Un ostéopathe est comme les autres : c’est à lui de donner d’emblée les limites de sa profondeur avec ce qu’il croira possible de faire.

Toutes les machines sous la main

Notre confrère, Pierre Tricot, a traduit, pour la profession francophone, quatre textes fondamentaux concernant la grippe, son traitement historique, et le rôle des ostéopathes pendant la Pandémie de 1918-1919

On trouvera ces textes aux adresses suivantes

- Still et la grippe  
- Grippe aviaire, contribution ostéopathique - Raymond J Hruby et Keasha N Hoffman 
- Ostéopathie et grippe - Walter Llewellyn McKone DO 
- Traitement manipulatif de la pneumonie - H. E. LITTON, DO

Still ne s’était pas donné de limites. Sa connaissance intuitive de l’anatomie était phénoménale et, son traitement allait aussi loin que son savoir anatomique. Il avoue que son diagnostic était fait avant même d’avoir touché le patient, parfois à grande distance. Et, pour parler de manière anachronique, ses mains lui renvoyaient les informations d’une IRM, d’une radiographie, d’une échographie et d’un Doppler combinés (1). Lorsqu’il dit soigner la tuberculose, la diphtérie ou les pneumonies, admettons qu’il nous est difficile de juger aujourd’hui ce qu’il faisait. D’autant plus, que légalement comme moralement, rien ne pouvait l’empêcher de s’essayer à toutes les pathologies. Le champ était libre, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, avec les antibiotiques et la loi.

Mais, comme nous le verrons plus loin, il se peut très bien que nous soyons appelés à jouer, à nouveau, un rôle-clef dans le traitement des maladies infectieuses dans le futur proche. Nous préparer à un tel rôle, passe aussi par le fait de nous poser des questions sur les réussites stilliennes et leur pourquoi.

Une maladie infectieuse a laissé des traces dans la mémoire collective. Et, pour la première fois, dans l’histoire de la jeune ostéopathie, quelque chose qui ressemble à des ‘statistiques’ ont été recueillies. Il s’agit de la grande pandémie de grippe dite « espagnole », survenue en 1918, soit un an après la mort de Still. Cet épisode est peu connu du public des ostéopathes et mérite toute notre attention. Il constitue un haut fait de l’histoire de l’ostéopathie, et de la médecine en général. J’avais cru nécessaire, pour cet article, de rapporter le détail des faits et des chiffres, quand une recherche sur le Net m’a montré que des textes étaient à la disposition du public francophone (voir encadré). Nous ne ferons donc, ici, qu’un bref résumé

La Pandémie de 1918

Cette épidémie est peut-être la plus grande tueuse des temps modernes : de vingt à cent millions de morts dans le monde. Elle se déclare en 1918. Deux faits curieux : elle commence en été et frappe surtout les jeunes adultes. La mortalité est liée à une surinfection pneumonique, au cours de laquelle se déclenchait un ’choc cytokinique’, sorte d’hyper-réaction immunitaire. Le virus de la grippe lui-même aurait été du type H1N1, sigle qui nous rappelle des souvenirs peu lointains.

La mortalité, pour les sujets développant une pneumonie, est très élevée, de l’ordre de 30%, parfois plus. Le traitement médical de l’époque est symptomatique : antitussifs et antipyrétiques.

Les ostéopathes, encore non-reconnus comme médecins, s’illustrent dans cette épidémie. Le bouche à oreille indique que ’ça marche’ très bien chez eux. À tel point que l’Association Américaine d’Ostéopathie envoie un questionnaire pour chiffrer leurs résultats. Il s’avère que l’incidence des pneumonies est très faible pour ceux qui ont été pris en charge ostéopathiquement dès le départ de l’état grippal. Dans les cas où une pneumonie s’est déclarée, le taux de mortalité est également beaucoup plus faible que pour le reste de la population. Les statistiques recueillies à l’époque rapportent, sur cent mille patients recensés, que la mortalité globale est quarante fois inférieure à celle des patients traités par voie classique !

Ces résultats vont faire connaître l’ostéopathie auprès du grand public et grandement promouvoir sa reconnaissance officielle. Il me faut raconter ici une expérience ‘personnelle’ de cette pandémie, bien qu’elle précéda de plus de trente ans ma naissance.

Avoir Rockefeller comme client

Tombé tôt dans la soupe ostéopathique, j’avais été fasciné par les écrits de nos Anciens concernant le traitement des maladies sévères. Peut-être par « romantisme » et volonté d’être ‘sauveur’, c’était là que résidait mon intérêt plus que dans le domaine de l’orthopédie mineure. En 1974-1975, je fis deux voyages aux USA qui se révélèrent très instructifs et émouvants. Parmi d’autres rencontres fondamentales, j’eus l’honneur d’être reçu par Perrin T Wilson D.O., une des figures mythiques de l’ostéopathie traditionnelle, surtout pendant l’entre-deux-guerres, mais après aussi. Il était connu pour ses articles, tous les postes prestigieux qu’il occupa, mais aussi pour son rôle dans la reconnaissance de l’Ostéopathie. Il avait traité Rockefeller et suite au succès de son traitement, le milliardaire aurait débloqué les fonds qui permirent les recherches fondamentales à Kirksville, avec Denslow puis, plus tard Korr. Quand je le rencontrai, il avait 96 ans et vivait dans une maison de retraite à Boston. J’ai le sentiment que je fus un des derniers ostéopathes qu’il vit avant sa mort, peu de temps après. Il me reçut avec grande gentillesse et, au cours de l’heure que dura notre entrevue, il me raconta deux choses qui me firent une profonde impression.

La première : jeune étudiant à Kirksville, il avait vu Still à plusieurs reprises. J’en étais très ému. Je voyais quelqu’un qui avait vu le Maître de ses propres yeux (2) ! J’appris plus tard qu’il fut un des huit étudiants de l’ASO à être sélectionné pour porter la bière du Fondateur lors de l’enterrement. Quelle rencontre ! J’allais recevoir un témoignage de première main sur ce qu’était l’ostéopathie historique, à ses tout débuts...

La seconde : il me raconta qu’au cours de la guerre de 14-18, il avait été enrôlé comme infirmier, car c’était le statut offert aux ostéopathes. Là, il avait eu l’occasion de se confronter à la Pandémie et à ses ravages. Il me parla de ces mouroirs où l’on mettait les jeunes soldats qui avaient développé une pneumonie. Et lui, allait d’un lit à l’autre, soulevant les côtes, ’dômant’ le diaphragme (doming of the diaphragm, technique ostéopathique classique) etc. Sauvant des vies, par dizaines ou plus. Il me raconta à quel point c’était simple et reproductible.

J’ai entendu et vécu cela, à l’époque, comme une histoire de héros, de chevalier de la Table Ronde de la Médecine. Je ne demandai pas à connaître la technique. Cela aurait été déplacé, et de toutes les façons, tout était décrit dans les articles. J’étais venu chercher autre chose : l’énergie de croyance derrière ma technique, aussi jeune, immature et incompétente fut-elle à l’époque. Et je la reçus. Le rôle de l’ostéopathie dans les urgences infectieuses, c’est donc pour moi, depuis cette rencontre, les dires de Still, les statistiques de la profession – choses peut être douteuses - mais aussi une histoire vraie, reçue d’un homme, dont je n’avais pas à douter de la parole. C’était simple de sauver des vies d’une mort certaine avec des techniques ostéopathiques simples.

La Peur de la Loi

Le traitement ostéopathique traditionnel de la grippe

Les manipulations utilisées dans la pandémie de 1918 ou dans les protocoles de recherche modernes portent essentiellement sur une libération et détente des muscles paravertébraux et péricostaux profonds et superficiels, une mobilisation de toute la colonne vertébrale, des techniques dites de ’soulèvement des côtes’, de ’doming of the diaphragm’, toutes techniques ayant pour but d’améliorer la course respiratoire costale et diaphragmatique.

On y rajoutera des techniques de ’pompage lymphatique’ appliquées aux membres inférieurs, à la cage thoracique, au foie, à la rate, les réflexes de Chapman, qui ont une valeur diagnostique et thérapeutique, et que j’ai toujours trouvé d’une utilité remarquable.

Le traitement est appliqué à une fréquence de deux à trois fois par jour. Plus il est appliqué tôt, plus les chances de succès sont grandes.

On trouvera des photos et explications de ces techniques classiques dans l’article traduit par Pierre Tricot :

Avian influenza : an osteopathic comment to treatment Raymond J Hruby and Keasha N Hoffman* Osteopathic Medicine and Primary Care 2007, 1:10 - https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1948889/

Également, sur Youtube, on pourra voir une démonstration de ces techniques par le Dr Teitelbaum DO

Pétri de ces histoires, j’ai moi-même essayé ces principes dans de multiples situations cliniques. Jamais, bien évidemment, dans le cadre d’une épidémie ou d’une pandémie. Dans ce domaine, je suis aussi ignorant que quiconque, quoique, maintenant, je crois pouvoir donner des indications de ce qu’on pourrait faire.

De cette époque ancienne, j’ai gardé, dans la profondeur de mon être, l’idée que l’ostéopathie, armée de principes forts est merveilleuse dans de nombreuses pathologies infectieuses. Mais, par force légale, je n’ai pas eu à me mesurer à des situations où la vie était en jeu et où je n’avais que l’ostéopathie à offrir, comme nos maîtres d’antan. J’ai souvent eu à le faire, et prendre des risques, dans le traitement d’angines où il fallait décider ou non de recourir à l’antibiothérapie, en pesant l’éventualité de complications cardiaques, rénales ou articulaires. C’est un cas limite, car de l’aveu même des médecins, il ne faut pas prescrire à la légère. Je suis intervenu aussi dans le cadre d’infections chroniques ou répétitives (ORL, cutanées, osseuses, urogénitales etc.), où l’antibiothérapie ne fonctionne pas ou plus, où nous avons les coudées franches et j’ai pu, alors, exercer notre art, avec souvent des résultats remarquables, comme bien de mes confrères.

Le cadre clinique et légal dans lequel nous évoluons interdit l’utilisation exclusive de l’ostéopathie dans les pathologies où l’antibiothérapie est efficace J’ai été tenté de le faire, voire j’ai tenté, mais le réflexe ’pénicilline/gentamycine’ ou autre combinaison antibiotique, a prévalu devant la peur de la loi, de l’erreur, de prendre le patient pour un cobaye d’une cause illustre, comme objet d’un article de journal et autres motivations douteuses. Je crois pouvoir être certain de ne pas être seul dans ce cas. Quoi qu’il en soit, les techniques et les principes sont à notre disposition, dans le cas où nous devrions intervenir.

Que se passe-t-il, du point de vue de l’infectiologie, dans l’ostéopathie contemporaine ? Que peut accomplir notre art dans les cas d’infections où la vie est en péril ? Une consultation de la littérature, surtout aux USA où la profession possède des hôpitaux, nous permettra de le savoir.

Faux et vrai traitement ostéopathique

Une recherche récente, menée par Noll et al (3), a tenté d’évaluer l’efficacité d’un traitement ostéopathique sur la pneumonie, en utilisant le même protocole de soin que celui administré pendant la pandémie de 1918.

Pour des raisons éthico-légales, bien évidemment, le groupe traité par voie ostéopathique était également sous antibiotique. Un autre groupe était traité uniquement par le traitement standard. Et un troisième, par antibiothérapie plus un ’faux’ traitement ostéopathique (imposition des mains aux mêmes endroits que ceux traités par les ostéopathes). Les résultats ont déçu : peu ou pas de différence, pour les paramètres retenus, entre les groupes traités par vrai et faux traitement ! Et une légère différence entre ces deux groupes et le groupe contrôle. Autrement dit, le simple fait d’être touché semble avoir apporté la légère différence observée.

On peut adresser de multiples critiques envers cette recherche, quoiqu’elle serve à mettre les points sur les i : pour une fois, on compare l’ostéopathie à un autre toucher !

Deux observations, cependant :

La première : les praticiens qui administraient les manipulations ostéopathiques ’vraies’ et ’fausses’ étaient les mêmes pour la moitié des séances au moins. C’est faire peu de cas de la valeur de l’intention dans le toucher ostéopathique. Comment peut-on demander à un ostéopathe de ’faire semblant de traiter’ ? Est-il capable de débrancher puis brancher à volonté ses intentions thérapeutiques ? Moi, je ne le pourrai pas ! Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait eu peu de différence entre ’vrai’ et ’faux’ traitement.

La seconde, tous les groupes étaient sous antibiothérapie. La motivation des opérateurs ne pouvait être que très faible, car tous savaient que le ’vrai’ traitement était en place. Ils n’étaient là que pour vérifier du ’supplément’ de bien-être Et en aucune manière, on peut dire qu’on a évalué la pertinence du traitement de la pneumonie administré en 1918. A cette époque, sans juger de la virulence des agents infectieux et du contexte social (la Grande Guerre), les ostéopathes étaient seuls face à la maladie. La motivation était radicalement différente, et cela ne peut être imité et chiffré de nos jours.

Résultats décevants, donc, mais n’y prêtons pas trop attention. Gardons plutôt cet autre chiffre en mémoire : quarante fois moins de mortalité chez les patients traités par les ostéopathes en 1918 !

Au décours des recherches pour cet article, j’ai eu à vivre une autre déception : un mythe qui m’a accompagné 35 ans s’est effondré ! Je me suis aperçu que nous n’étions pas les seuls à avoir fait des miracles en 1918. Les chiropracteurs ont les mêmes légendes, les mêmes chiffres, et ont vécu le même effet de promotion auprès du public. Pourtant, avec une technique différente ! Ah, zut alors ! Et, le comble pour un ostéopathe, les homéopathes américains, avec leurs petites boules blanches, firent de même, mais leur manque d’union n’a pas abouti à une plus grande assise de leur profession (4).

Une conspiration entre les ‘chiros’ et les ‘ostéos’ ?

Ma déception a trouvé une compensation. On pourrait, en effet, mettre en doute le sérieux et la valeur de ces statistiques, pour de multiples raisons. Or, les trois professions rapportent des chiffres de succès et d’échecs très proches ! Et connaissant le manque légendaire de communication entre ostéopathes, chiropracteurs et homéopathes, cette similitude ne peut que renforcer la plausibilité de leurs résultats. On imagine mal qu’ils se sont téléphonés entre eux pour faire front commun. De mon temps, on avait appris à changer de trottoir quand on voyait un chiropracteur venir en face, et éviter de lui serrer la main en soirée.

Certes, il nous faut accepter que nous n’étions pas seuls à posséder les principes du traitement des maladies infectieuses mortelles. Non, la technique du pompage lymphatique n’est pas le remède spécifique des infections ! Qu’importe, car des centaines de milliers de vie ont été sauvées à l’époque. Mais aussi, grâce à cette pluralité — trois professions, trois modèles qui ont réussi ¬ nous pouvons poser de meilleures questions à propos de ce qui se passa réellement en 1918, et ce qui pourrait se passer dans notre avenir. Nous n’avons plus besoin de croire, par exemple, que le succès passe nécessairement par une imitation exacte des techniques ostéopathiques de l’époque. Quelque chose d’autre est en jeu, que nous tenterons de cerner ici, quelque chose de commun aux trois professions.

Source de l’image : Virions grippaux, image de Wikipédia

Nous savons, avec 100 ans de recul, que les ostéopathes, en soulevant les côtes (etc.), les chiropracteurs avec leurs manipulations à court levier, les homéopathes avec Gelsemium (entre autre) ont eu d’excellents résultats. Nous savons également qu’à l’époque, ces trois praticiens ne recoururent pas ou peu aux médicaments proposés (antitussifs et antipyrétiques). Pour l’avenir, quelle technique retenir parmi les trois ? Quelle pourrait être notre position vis-à-vis des agents antiviraux et la vaccination qu’on propose chaque année ?

Sommes-nous ou serons-nous techniquement et légalement aptes à prendre de telles décisions ? Personnellement, je dirai que oui et je le ferai en cas de besoin. Les antiviraux, par exemple, n’ont pas fait leurs preuves et l’ostéopathie peut être essayée dans la grippe puisqu’il n’y a pas de traitement ’orthodoxe’ pour cette maladie. Quant à la vaccination, on reste largement dans le dubitatif.

Plus généralement, un thérapeute appelé au chevet d’un malade atteint d’une infection généralisée ou locale, doit prendre deux grandes décisions :

1. ce qu’il faut faire
2. ce qu’il ne faut pas faire

Ce qu’ils ont fait, ce qu’ils n’ont pas fait

En effet, s’il nous est difficile de juger de l’efficacité du traitement ostéopathique, chiropratique ou homéopathique de 1918, de ce qu’ils ont fait, chacun, à cette époque, il est plus facile de discuter de la valeur de ce que les trois n’ont pas fait, et à propos de cela, nous avons des informations précises. De par leur croyance commune en un ’principe vital’, par exemple, ils n’ont pas prescrit d’antitussifs et d’antipyrétiques Tous trois croyaient en l’existence d’une force inhérente d’auto-guérison, qui leur a fait laisser œuvrer la toux et la fièvre. Tous trois furent abstentionnistes, comme tout bon praticien vitaliste, vis-à-vis des symptômes. Leurs principes les autorisaient à ‘moduler’ ces symptômes, par exemple en utilisant des compresses d’eau froide pour contrôler la fièvre, mais pas les supprimer. Leur vitalisme, issu d’Hippocrate et relayé par leurs fondateurs, Still, Palmer ou Hahnemann, leur commandait de reconnaître dans les symptômes, les efforts de guérison du Principe Vital. En valorisant fièvre et toux, en ne leur déclarant pas la guerre, ils avaient, au moins un effet rassurant, un ‘placebo positif’, annonçant au malade inquiet et faible, que sa fièvre et sa toux étaient bonnes pour lui. Ce dernier ne faisait plus que subir sa maladie. Il s’en sentait partie prenante, il était invité à une autogestion de ses symptômes. Et les ostéopathes, les chiropracteurs et les homéopathes de cette époque-là, étaient bourrés de ces certitudes et les partageaient avec leurs patients. Notons donc ce point pour l’avenir. Si nous devions intervenir à nouveau : que proposerons-nous de ne pas faire ? Il faut montrer autant de certitudes que nos anciens devant une fièvre élevée. Se donner des limites strictes avant toute intervention médicamenteuse et s’y tenir, sans peur qu’il va arriver malheur. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.

Question de principe : la diarrhée

La diarrhée est un bon exercice où croyance en vitalisme et bon sens doivent trouver leur équilibre.

Le traitement d’une diarrhée sévère peut impliquer, logiquement, deux sortes de médication : une pour arrêter les pertes en eau par voie colorectale, et l’autre, assurer une réhydratation. En termes de plomberie, on arrête les fuites tout en remplissant le réservoir. Un vitaliste dirait : oui, mais si le corps veut se ’débarrasser’ de ‘poisons’ par voie rectale, il ne faut pas l’en empêcher !

Dans un cas de choléra, par exemple, et cette maladie continue de sévir dans le monde, que faire ? Etre vitaliste au premier degré, laisser le patient ’s’auto-nettoyer le côlon’, c’est le condamner à mort par déshydratation. Dans les cas de diarrhée où j’ai eu à intervenir, je faisais la curieuse technique ostéopathique qu’on m’avait apprise : s’asseoir sur le sacrum du patient (technique dite d’inhibition du sacrum). On se pose, avec ses tubérosités ischiales, sur le sacrum du patient couché sur le ventre. Puis on va sentir, le mouvement respiratoire thoracique ainsi que les mouvements asymétriques du sacrum ‘déplacer’ nos ischions, jusqu’à la perception d’un rythme.

La technique est un peu surprenante pour le patient, mais efficace, peu fatigante pour le praticien et donc utile à connaître. Serait-elle efficace dans un cas de choléra ? Si je n’avais rien d’autre à proposer, je le ferai certainement, entre autres choses.

Mais question de principe : est-ce qu’en ‘arrêtant’ la diarrhée, on contredit l’action évacuatrice du principe vital ? Non, car, après tout, si le corps daigne arrêter la diarrhée parce que je me suis assis sur le sacrum, c’est que système le veut bien. J’ai probablement arrêté un cercle vicieux, un mécanisme utile au début, mais qui s’emballe ensuite.

Ce sont là des questions de principe, importantes, mais parfois, on ne se les pose pas, on agit.

Qu’en serait-il de nos jours ? Nous, ostéopathes modernes élevés aux antibiotiques, avons peu d’expérience dans le domaine infectieux. Confrontés à un cas de pneumonie, aurions-nous la motivation des Anciens, et leur questionnement sur les principes ? Ce n’est pas tant que nous ne sommes pas aussi doués techniquement que nos maîtres. On apprend assez facilement ce qu’il faudrait faire. Cependant, il ne faut pas négliger cet aspect. On peut avoir de bons principes, mais être très inadéquat au plan manuel. Comme le montre une autre recherche de Noll et al (5), certaines manœuvres ostéopathiques classiques, utilisées dans le protocole de la grippe, ont un effet globalement négatif sur les examens respiratoires fonctionnels chez des patients souffrant de broncho-pneumopathie chronique obstructive. On ne peut donc juste imiter des techniques, singer un protocole de drainage lymphatique et croire que cela fera toujours du bien. En plus de notre impréparation au niveau des principes, il faut inclure le manque de préparation technique de la plupart des ostéopathes à la prise en charge des maladies infectieuses. Il faut d’abord savoir comment se comporter devant une angine rouge, avec lymphadénopathie importante, fièvre élevée, avant de se lancer dans la pneumonie.

Retour vers le futur

Connaissant ces limitations, deux situations infectieuses menacent notre civilisation et nous obligent, au moins à réfléchir, à défaut d’agir, à ce que nous pourrions jouer comme rôle dans l’avenir.

1. La récurrence d’épidémies/pandémies virales de type grippal, pour lesquelles il n’existe aucun traitement efficace Nous avons connu de telles alertes en 2005 puis en 2009, avec certaines prévisions catastrophistes à la radio, à la télévision, émanant d’autorités politiques et scientifiques
2. L’émergence, ces dernières années, de souches bactériennes résistantes à tous les antibiotiques connus, pouvant toucher n’importe quel organe ou système, et sources d’une mortalité hospitalière déjà importante (6). La peur d’un débordement de ces infections hors des services hospitaliers, d’une invasion d’angines, de pneumonies, de méningites ou de cystites qui ne répondent plus, plane sur la population.

Dans ces deux cas, les ostéopathes se retrouveraient comme en 1918. Une situation de ’pas d’autre choix’ ou ’rien à perdre et tout à gagner’. La menace d’être poursuivis pour non-assistance à personne en danger, pour charlatanisme, ne pèserait plus sur nos têtes. Dans ces conditions, l’homéopathie, la chiropraxie ou l’ostéopathie (mais aussi d’autres médecines ?) seraient à nouveau viables.

Aucun d’entre nous ne peut prétendre avoir l’expérience de ces situations. Nous disposons des techniques du passé et des histoires de succès qui vont avec. Mais qui dit que les agents virulents de l’avenir, ces ’bactéries résistantes à tous les médicaments’ répondront à nouveau à ’une élévation des côtes’ ou un ’pompage lymphatique’ ?

Nous ne pouvons répondre à ces questions que par les principes, par nos principes. Un d’entre eux est que le microbe est moins significatif que le terrain sur lequel il se développe (pour ne pas employer l’expression trop extrême ’le microbe n’est rien, le terrain est tout’). Peu importe, dans cette perspective, que le microbe réponde ou pas à la 18e génération de tel antibiotique. Les vitalistes, depuis près de trois millénaires, pensent que la résistance du corps humain est une qualité fiable. Le problème de l’affaiblissement des antibiotiques est une affaire privée entre médicaments et microbes, à régler entre eux, et ne concerne pas ou peu l’homme.

Ceci étant dit, nous serions à nouveau confrontés à la force de nos convictions. Les maladies infectieuses dites graves : pneumonie, septicémie, méningite, donnent un tableau clinique impressionnant. Croire mollement dans l’importance du ’terrain’, selon la perspective vitaliste, revient à administrer un traitement à la valeur toute aussi molle, avec des résultats mous. Une de nos croyances fondamentales est que ce n’est pas l’ostéopathe qui guérit le patient, le praticien éveille, libère les forces d’auto-guérison de celui qui souffre.

Cette conviction ne s’applique pas en donnant une conférence au malade, alité avec 40° de fièvre, dyspnéique et délirant, sur son principe vital. Elle passe par le regard, la voix, et le toucher de l’ostéopathe. La conviction passe aussi par les brèves remarques que le praticien fera sur le sens de la maladie et des symptômes, par les valeurs qu’il transmet par son comportement, les limites strictes qu’il donne à partir desquelles on peut contrer les symptômes. Le patient doit se sentir ’pris en charge’ de manière vitaliste.

Donner un peu de sens

Les succès, dans le passé, de trois médecines vitalistes lors de la grande épidémie de grippe, nous donnent quelques éléments de réponse sur ce que peut être une telle prise en charge. Retournons en 1918. Un soldat, revenu de l’enfer du front, atteint de pneumonie, devait certainement être atteint dans sa foi en la vie. Il n’en pouvait plus. Ostéopathes, chiropracteurs et homéopathes, bouillonnants de principes, de théories sur le sens, la fonction et la structure de la vie, ne pouvaient que lui faire du bien. Et puis, il y a l’investissement en temps, en attention et effort (la durée de la séance, le toucher, le traitement deux à trois fois par jour), le sens accordé aux symptômes, le respect de la fièvre et des états de délire que celle-ci occasionne, délires qui sont en fait, l’expression des peurs, des culpabilités, qu’il faut laisser s’exprimer (7). L’amélioration de la respiration après un travail des tissus mous intercostaux, la détente de la colonne, l’effet antalgique que cette détente provoque dans une maladie où les myalgies sont importantes, les questions détaillées de l’homéopathe sur l’heure de survenue de la toux, le contenu exact des délires, et tant d’autres détails qui reviennent tous à donner de l’importance justement aux détails, suffisaient à faire le miracle, à passer du versant létal au versant vital du principe d’auto-guérison.

Cet abord globaliste était probablement plus adapté que le traitement d’un médecin, quelque fut sa bonne foi, qui venait une ou deux fois en tout, armé de médicaments contre ce qui se passait et ne faisait pas dans le détail, puisque ces détails - heure de la toux, ou douleurs surtout à droite de la colonne - n’avaient pas de sens pour lui. Il existe un monde de différence entre un thérapeute qui dit à son malade fiévreux, que la fièvre signe la gravité de sa maladie, et un autre, qui vient dire, trois fois par jour, que la fièvre est signe de sa vitalité.

La médecine chinoise affirme que le poumon est le siège de la tristesse. Et il est vrai que les pneumonies s’accompagnent fréquemment d’un état de dépression profonde. Le patient n’est plus inspiré par rien, n’a plus d’aspirations. A-t-on pris en considération dans la pandémie de 1918, l’effet, sur les pneumoniques, de l’arrivée, dans la chambre, de ces praticiens joviaux, ostéopathes et chiropracteurs des débuts, très inspirés, sûrs de n’avoir affaire qu’à un problème de vitalité du terrain ? Comparé à celui des médecins classiques, entrant dans la chambre en tirant une tête de ’six pieds de long’, consternés d’avance par la présence d’un microbe mortel ? C’était une simple bataille à mener pour les uns, une guerre perdue d’avance pour les autres.

Ces brefs retours sur le passé nous permettent de mieux dresser un ’cahier des charges’ pour l’ostéopathie de demain, si elle devait être confrontée à une épidémie.

Éléments pour un cahier des charges de l’ostéopathe face à une infection

L’éthique et le souci d’efficacité veut qu’on inscrive en premier, dans un tel cahier, que nul ne doit souhaiter la survenue d’une épidémie, pour s’y illustrer ou prouver quoique ce soit. Tout doit être fait dans le sens du préventif. Réfléchir ainsi permet de trouver de bien meilleures solutions que la dépendance vis à vis d’une centaine d’ostéopathes compétents face à une épidémie touchant des millions de personnes. Cent ostéopathes peuvent enseigner à des millions de personnes à se soigner de manière efficace, s’il s’agit de montrer sur la Toile ce qu’il faut faire pour prévenir ou traiter aux débuts des symptômes. Cent ostéopathes ne peuvent traiter, eux-mêmes, que trois cent personnes par jour et .... risquer de mourir d’épuisement ! Tout dépend des voies de transmission de l’information.

Ce qui pose peut être le plus problème est la crainte d’une virulence particulière des agents infectieux. Seront-ils plus ’redoutables’ que ceux du passé ? Comment pourrait-on juger de cela par avance ? J’ai entendu dire d’un homéopathe que les résultats phénoménaux des thérapeutes au siècle dernier étaient dus à un terrain différent. Les patients étaient beaucoup moins ’pollués’ que maintenant — pollution chimique et électromagnétique — et donc répondaient mieux aux dilutions homéopathiques ou à l’ostéopathie. Là encore, que répondre à ce nouvel élément de peur ? Avec un tel mélange : des microbes plus virulents, plus aguerris aux antibiotiques, un terrain plus faible, des praticiens peu ou pas du tout entraînés, la bataille des ’prochaines’ pandémies paraît perdue d’avance.

Néo-vitalisme

Devant ce défaitisme, nous avons surtout besoin de rafraîchir nos croyances vitalistes. Je veux croire que, naguère, cette croyance forte, associée aux traitements pratiqués, a donné d’excellents résultats. On ne peut cependant demander aux ostéopathes contemporains de croire de force. Ce serait sans effet sur le patient. Nous pouvons par contre pousser plus finement notre analyse vitaliste et la partager avec le plus grand nombre.

Je ne prendrai qu’un aspect ici. Celui qui concerne le couple ’terrain/microbe’. D’un côté, un microbe fort sur un terrain faible, et de l’autre, un microbe faible sur un terrain fort, paraissent être les membres de l’équation à laquelle nous sommes confrontés avec chaque infection. Cette équation doit être reformulée. Nous pouvons, nous devons, définir une plus grande entité, dans laquelle le microbe et le terrain sont unifiés, et non plus, ’finalisés’ chacun de son côté.

Cette entité s’appelle le ’champ’, terme emprunté à la physique. La réalité, dans son tout et ses parties, a toutes les qualités d’un champ, ou de champs imbriqués (le mot est impropre, mais illustratif).

Pour mieux comprendre la pandémie de 1918 et celle qui pourrait nous guetter, je propose de distinguer une ‘charge de désespoir’, qui se répand dans le champ du Réel. Cette charge serait l’un des facteurs étiologiques les plus importants dans les épidémies. Microbes et virus ne sont plus alors les causes ultimes de la maladie, car s’ils l’étaient, tout le monde tomberait malade. Le terrain qui fait que l’un ou l’autre sont épargnés dépend de l’immunité, certes, mais cette immunité elle-même dépend de l’effet de la ‘charge de désespoir’, de la ‘volonté de mourir’ ou ce qui revient presque au même, la perte de l’envie de vivre.

Dans une population donnée, les virus et les microbes vont jouer un rôle particulier : ils vont équilibrer les différences de concentration du désespoir. En prenant comme illustration le thème de Gaia - la Terre vue comme ayant sa propre physiologie - les microbes joueraient le rôle d’agents nécessaires à l’équilibre des concentrations.

À l’époque de la Première Guerre Mondiale, nous avons vu que les premiers atteints étaient les jeunes soldats du front, puis ensuite seulement, l’arrière. On peut voir là une illustration de l’équilibration de la charge de désespoir. Maximale pour ceux qui vivaient dans les tranchées froides et humides, arrosées de bombes, avec leur récolte quotidienne de morts due aux ordres d’attaques absurdes, elle aboutissait à un anéantissement de l’immunité chez des jeunes en pleine santé. Les virus élevés dans leur corps, innocents à l’arrière, devenaient létaux sur le front dans de telles conditions. Ré-exportés à l’arrière, ils faisaient participer ceux qui continuaient à dormir dans leur lit et buvaient le café bien chaud au matin, en pantoufles. Le virus avait muté et transporté le désespoir et le malheur avec lui, défiant les immunités les plus solides.

Les poulets mortels

Source de l’image  : Élevages de poules et de virus ‘en batterie’… Par איתמר ק., ITamar K. — Travail personnel, Domaine public

De nos jours, où une guerre mondiale n’est pas en vue, où se situent ces différences de concentrations ?

Les récentes épidémies de grippe sont provenues de deux réservoirs animaux : aviaire et porcin. Les conditions d’élevage dans ces lieux atteignent des sommets de souffrance difficiles à décrire, et donc clairement, une volonté de vivre très diminuée pour ces êtres vivants. Poulets, canards, dindes, oies et porcs, vivent dans les tranchées.

Les virus qui se développent dans ces élevages transmettent le fardeau de cette ’souffrance’ en dehors, jusqu’à l’équilibre avec la population qui consomme les produits issus de ces élevages. On ne peut croire, en effet, qu’on peut ‘isoler’ les compartiments du vivant. Nous sommes pris dans un champ global, disions-nous. Le vitalisme nous intime de comprendre que les virus des poulets, plus que les poulets abattus et cuisinés, transmettent le vécu de ces poulets, nous font participer à leur calvaire. Ces micro-organismes sont vivants, et, en nous ’infectant’ introduisent en nous l’état ’suicidaire’ de ces animaux, leur principe vital porteur d’une létalité forte.

Les bactéries multi-résistantes viennent d’autre lieux de souffrance : les hôpitaux ou les pays dits du ’tiers monde’. Là encore, les germes, êtres vivants, transmettent d’un être vivant à l’autre, des charges, que j’appelle de ’souffrance’ par défaut de compréhension, mais qui en tous les cas doivent équilibrer la distribution de vécus différents dans le champ du Réel. On peut voir tout cela comme des transports d’une qualité donnée, du milieu le plus concentré au milieu le moins concentré en cette qualité, au travers d’une membrane semi-perméable. Le virus ou le germe sont les vecteurs de ce transport. Les membranes sont, ici, nos frontières entre pays dits ’pauvres’ et ’riches’, ou encore les barrières entre animaux et humains, ou aussi entre ville et hôpital. Cette hypothèse vitaliste fait comprendre que le traitement par vaccin ou manipulation n’est que symptomatique à long terme. De nouvelles vagues d’infection se produiront tant que le problème n’est pas réglé à la source, ce qui dépasse le simple cadre médical.

Respecter la fièvre

Ce néo-vitalisme peut nous aider à comprendre l’importance de simples attitudes thérapeutiques, utilisées naguère et que nous devrons continuer à respecter. J’ai, plus haut, insisté sur l’importance, dans le traitement de la grippe en 1918, de la relation à la fièvre : la laisser agir ou la supprimer ? Lui donner de la valeur ou la déclarer hostile ? Admettons que virus et bactéries transmettent aussi la vie de celui (humain ou animal) d’où ils proviennent. Les virus empruntent l’ADN de celui dans lequel ils se développent, et l’ADN doit contenir un petit ‘résumé’ de la personne. Et si ce n’est pas l’ADN, c’est ce que nous appelons, de nos jours, les mécanismes épigénétiques. Pour un vitaliste, ces molécules ne sont pas mortelles par leur chimie, mais par la tristesse, la volonté d’en finir avec la vie qu’ils transmettent d’un corps à l’autre. Comment décrire autrement que par des adjectifs extrêmes de négativité ce que pouvait éprouver un humain dans les tranchées ou un poulet en cage perpétuelle ? Les symptômes dépressifs qui accompagnent la pneumonie ou tout autre état infectieux généralisé, sont donc aussi des symptômes importés. On partage la peur de la mort que nous infligeons à nos animaux. Or, la fièvre a pour vertu de considérablement exagérer le vécu de nos angoisses, de nos émotions, des perceptions spatiales de notre corps, des perceptions de notre passé, de nos culpabilités. La laisser œuvrer, c’est laisser s’exprimer tout une létalité implantée en nous. La supprimer, c’est laisser cette létalité se multiplier sourdement. La fièvre est une psychothérapie offerte au corps et l’âme. L’antique vitalisme d’Hippocrate reste ainsi toujours valable dans ses conclusions. Nous savions que la fièvre augmente le métabolisme basal ou la vitesse de réaction enzymatique dans les globules blancs. C’est son rôle physiologique. La fièvre permet également une évacuation de létalité. Elle la ’consume’. La gestion intelligente, par le patient, et celui qui l’aide, de l’impression de ’mort’ qui accompagne les grands états fiévreux, engagera la physiologie vers la route de la vie.

L’homme ne s’est jamais aussi bien porté

Cela peut être enseigné facilement. Il n’est point besoin d’un ostéopathe au chevet de chaque malade pour le dire. Elle peut être enseignée au plus grand nombre, en cas de besoin. Notre analyse de ce qui se passa en 1918 aux mains des ostéopathes, chiropracteurs et homéopathes indique que cette gestion intelligente est une clef fort précieuse Associée à la logique de nos traitements : amélioration de la course costale et diaphragmatique ou de la circulation, cette gestion ne peut faire qu’un bien immense. Malgré les préventions évoquées ci-dessus, ces manœuvres, peuvent, pour l’essentiel, être également enseignées aux patients et à leur entourage. Tout cela dépend d’une transmission efficace de l’information, du cœur de ceux qui entourent les ’malades’, autant que de la compétence des individus.

La médecine rencontre cependant ici les limites de la politique. La résistance grandissante des germes aux antibiotiques de nos jours, l’imperturbable résistance des virus à toute médication, manifestent, d’un point de vue vitaliste, la nécessité de transferts ’osmotiques’ entre populations humaines, animales et probablement végétales, transferts que le thérapeute ne peut changer, au lit du malade Les décisions, sur le long terme, sont à l’échelle collective.

Je crois que le terrain, l’homme, est toujours aussi capable d’auto-guérison qu’avant. La longévité de l’humanité bat tous les records historiques partout dans le monde, alors que la pollution chimique et électromagnétique bat également tous les records. Les chiffres sont impressionnants. Elle indique que nous n’avons pas à craindre une baisse de vitalité face aux microbes. Le corps est là, plus que jamais, prêt à répondre. Nous sommes des animaux ultra-résistants, n’attendant qu’un coup de main et un peu de réassurance pour nous requinquer.

On peut se rassurer : les bons résultats cliniques de nos Anciens ne sont pas dus à une hypothétique ’Nature pure et inviolée’ en leur temps. Le vitalisme n’est pas une mode, c’est un principe, valable en tous temps et tout lieu.

Rire ou Mourir

Dans cet article, je me suis adressé uniquement au point de vue mécanique du vitalisme, le nôtre. Il existe, bien entendu les autres points de vue : chimique, psychologique, voire ésotérique. Eux aussi sont précieux et nécessaires. Mais l’avantage du point de vue ostéopathique/mécanique est qu’il est une sorte de B.A. BA, il est la plus simple manière d’exposer les problèmes, une manière de voir la médecine comme dans les jeux de construction pour enfants. N’oublions pas, non plus, les choses simples : le rire, l’appétit, l’amitié font partie de l’essence du principe vital. Celui et ce qui sauve la vie, au bout du compte, est imprévisible, et ne relève d’aucune analyse.

Pour conclure...

Pour conclure avec optimisme, je dirai que les traitements ostéopathiques seront encore capables de faire des miracles. Pas seuls, mais dans le cadre de la Vie et ses valeurs, cadre que nous avons tenté d’aborder ici. A l’inverse de ce qui se passa en 1918, ne laissons pas la situation devenir une apocalypse dans laquelle nous nous illustrerons. Clamons haut et fort notre philosophie vitaliste, respectueuse des lois des autres sciences.

Elle a des implications claires sur le terrain. Le monde attend, traduites en notre langage, ces paroles que nous avons reçues de fort loin dans le passé.

Sachons parler de l’anatomie et de la physiologie de la Terre entière et des équilibres de part et d’autre des membranes qui nous séparent. Parlons et ajustons avec éthique et noblesse. Les pandémies deviendront, alors, au pire, de légères grippes.

Notes

1. Une métaphore, bien sûr, qui signifie simplement que la perception de Still avait une richesse en dimensions qu’il nous est difficile d’imaginer et reproduire, si ce n’est avec nos machine
2. Au cours du même voyage, je pus rencontrer un autre témoin visuel de Still, Howard Lippincott, qui, par ailleurs, fut un des principaux collaborateurs de Sutherland
3. Efficacy of osteopathic manipulation as an adjunctive treatment for hospitalized patients with pneumonie : a randomized controlled trial Osteopath Med Prim Lare. 2010 ; 4:2. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2848182/ 
4. J’avoue avoir été très choqué de réaliser que, dans leurs articles sur la grippe de 1918, les ostéopathes ne rapportent jamais les succès des chiropracteurs, alors que ces derniers citent volontiers les réussites des ostéopathes. Cette amnésie volontaire a fait croire à des générations d’ostéopathes qu’ils avaient eus, seuls, la réponse. La rédaction de cet article m’a sauvé de cette ignorance de 35 années.
5. Donald R. Noll et al. JAOA • Vol 108 • No 5 • May 2008 • 251-259 Immediate Effects of Osteopathic Maniputative Treatment in Elderly Patients With Chronic Obstructive Pulmonary Disease. http://jaoa.org/article.aspx?articleid=2093678 
6. Science et Avenir, Décembre 2010.
7. Si le toucher physique manque dans le traitement homéopathique, l’interrogatoire y est extrêmement poussé, réalisant un véritable ’toucher de l’âme’.

Crédits photographiques

- Photo 1 : Un conseil de guerre - source : photo du livre de A.T. Still Autobiography, 1897 p.72.
- Photo 2 : Salle hospitalière pendant la 1ère guerre mondiale : Article du Parisien : HISTOIRE. Virus H1N1 : trois questions sur la pandémie de 1918 Il y a près d’un siècle, une pandémie ultra-violente frappait le monde. En cette fin 1918, le virus H1N1 va plus tuer que la guerre.
- Photo 3 : Dr Perrin T. Wilson (1888-1977) et son épouse. Museum of Osteopathic Medicine http://momicoh.pastperfectonline.com/photo/94492440-0026-4F4C-A35C-448322415215 
- Photo 4 : Virions grippaux, image de Wikipédia - https://fr.wikipedia.org/wiki/Grippe 
- Photo 5 : E. Coli, l’une des bactéries pionnières de la multirésistance. Image Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Escherichia_coli 
- Photo 6 : Élevages de poules et de virus ‘en batterie’… Par איתמר ק., ITamar K. — Travail personnel, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1403656



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