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Echec, Vous avez-dit Echec ?

Créé le : vendredi 20 décembre 2019 par Patrick Chêne

Dernière modificaton le : vendredi 20 décembre 2019

Dans le N°54 du 4pattes SDO, Romain nous interrogeait :

Mais pourquoi ne parlons-nous pas de nos échecs ? On apprend autant d’eux que des réussites.

Effectivement, il a raison. Et si régulièrement je cite le cas de ce petit chiot à la queue tordue qui s’est paralysé parce que je n’avais pas compris (et à l’époque personne d’autre, pour autant que je sache) que la tension médullaire est plus importante que l’empilement des vertèbres, je n’ai pas toujours raconté mes « échecs » dans le 4pattes dont pourtant j’ai dû commettre la majorité des articles.

Je n’ai pas souvent parlé de ce chien vu dans mes débuts qui sur la table s’est débattu quand j’ai voulu manipuler son postérieur et que l’os contenant un ostéosarcome non diagnostiqué (ni par moi ni par les confrères qui l’avaient référé) s’est brisé dans ma main. Pas fier du tout le gars.

Ni parlé souvent de ce cheval inapprochable pendant des jours entiers après la manipulation. Ni souvent parlé des symptômes avancés comme raison de la consultation qui n’ont jamais disparus … Et puis effectivement, tous les clients qui ne sont jamais revenus pas convaincus par mes actes ou mes paroles. Et en presque trente ans d’ostéopathie, bien sûr qu’il y en a eu des tas …

Mais si je parle davantage de ce qui semble fonctionner, c’est bien parce qu’à chaque fois je suis émerveillé de ce que de simples mains peuvent faire. Quand toute ma vie de vétérinaire, j’ai entendu dire pis que pendre de tous ces salmigondis que nous véhiculions avec nos sensations. Et donc, j’ai toujours voulu aller plus loin avec mes mains, cherché à être plus efficace en n’hésitant pas à changer de concept : ce qui fût fait, et j’ose le dire, bien fait. Je suis après tout ce temps très fier et rempli de gratitude pour ce qui se passe sous mes mains afin d’aider un corps souffrant. Et puis allant toujours plus loin dans une certaine compréhension, j’ai toujours eu à cœur de la partager.

Une recherche d’efficacité est un but louable, mais pas le seul important, une recherche pour diminuer les effets secondaires d’une consultation est primordiale. Enfin soyons honnêtes et corrigeons. J’ai dit : « c’est bien parce qu’à chaque fois je suis émerveillé de ce que de simples mains peuvent faire ». Le verbe « faire » est bien prétentieux et il faudrait corriger en disant : « de ce que de simples mains peuvent engendrer comme réaction dans un corps qui finit tout seul par retrouver un équilibre meilleur ». Ce qui est moins reluisant, mais plus proche de la réalité.

Pourtant, le texte de Romain, ne m’a pas parlé de mes échecs, mais bien de la question fondamentale pour un soignant : Qu’est-ce qu’un échec ?

En effet, dans une médecine et une société telle que nous la vivons, un échec serait : absence d’amendement du symptôme qui a généré la consultation ou bien n’être pas arrivé à convaincre le « client » de ses dires et actions qui dans les deux cas fait un client perdu.

Mais c’est là une vision bien comptable de notre art. Et même si la société nous y incline, je ne crois pas que l’esprit ostéopathique soit celui-là.

Et là deux pistes me semblent à suivre. La première est plus importante pour l’estime du thérapeute, la deuxième plus pour le patient.

Première piste.

Ici l’échec est pris dans le sens : absence de résultat tel que souhaité par le patient ou le gardien d’un animal.
  Allo docteur, vous aviez vu ma jument, eh bien, elle boite toujours !
  Silence contrit, très long… pensées à 100 à l’heure, réflexions sur la vanité du soignant.
  Allo ?
  Reprise de peps : Je l’avais vu quand ?
  Il y a deux ans.
  Mais elle n’a jamais arrêté de boiter ?
  Mais si et très vite après votre passage, mais elle s’est remise à boiter la semaine passée ….

Ici, c’est l’échec du thérapeute à se faire confiance. Ce qui dans une médecine manuelle est effectivement le meilleur moyen de s’auto-saboter dans ses résultats.

Une variante est celle-ci :
  Je reviens parce que j’ai toujours mal au dos, je n’en peux plus.
  Soupir de désespérance.
  Il faudrait vraiment que ça aille mieux.
  La dernière manipulation ne vous a rien fait ?
  Un peu mais pas grand-chose (dit pour faire plaisir)
  Vraiment rien ? (Thérapeute au bord du désespoir …)
  Si çà a été mieux pendant 24 heures, et puis c’est revenu, mais qu’en bas du dos, le cou ça va mieux ….
  Soupir de soulagement.

Cette façon de présenter les choses et donc de nous annoncer d’abord ce qui ressemble à un échec témoigne à mon avis de deux choses importantes :
  Une volonté plus ou moins consciente de culpabiliser (et chez un thérapeute ça marche trop bien.) pour qu’on s’occupe mieux d’eux.
  Le fait que souvent par manque de sensation ou d’observation, ils regardent le verre à moitié vide alors qu’ils sont devant un verre à moitié plein.

Longtemps, je n’ai pas su m’y repérer dans cet espèce de brouillard, aussi perturbant que les gens trop enthousiastes. Pourtant, c’est je crois une des clés pour vivre différemment les « échecs » annoncés, arriver à leur faire décortiquer les symptômes physiques et psychiques dans le temps et dans l’espace. L’art de leur faire vivre la problématique comme un escalier à monter. Et que même si l’on n’est pas sur le palier espéré, on a au moins monté quelque marche et c’est bien …

Dans ce cas, il est de notre travail de thérapeute de bien arriver à cerner le réel besoin du patient (humain) ou de son gardien (pour un patient animal) pour transformer (honnêtement !) ce qui est ressenti comme un échec en une évolution insuffisante, mais une évolution quand même. Ce qui est important, non pas pour l’orgueil du thérapeute, mais pour l’auto-guérison du patient.

Évidemment le client qui ne revient pas pour une deuxième consultation ne pourra pas être « rattrapé » et l’échec sera alors celui de ne pas s’être fait comprendre …

Ainsi tel collègue soigné vite fait par compassion (ne jamais soigner les gens sans une réelle demande… c’est casse gueule …) de son épaule qui le fait souffrir depuis 6 mois. Soin…. Ensuite, je lui fais mobiliser son épaule, elle va mieux, mais ne s’en rend pas compte. Pas de nouvelles … bonne nouvelle dit l’adage. Je le croise 15 jours plus tard, il ne dit rien. Je lui pose la question qui me démange : alors cette épaule ?
 ça a fini par passer tout seul …
 décomposition de l’ostéopathe en mal de reconnaissance ….

Ici chronique d’un échec annoncé, face à un vétérinaire qui ne veut pas admettre qu’une petite manipulation peut enlever un mal d’épaule. Trop de choses à remettre en question…. Ce n’est pas un échec médical évidemment, mais même pas un échec de communication … chacun sa vitesse pour comprendre et admettre … encore une fois ce n’est un problème que pour le thérapeute qui recherche une validation.

Deuxième piste

Le symptôme ne disparait pas voire s’aggrave.

Il est important de comprendre ce que nous faisons en ostéopathie. Un corps est un système vivant en équilibre. Quand l’équilibre est moins bon, des signaux d’alarmes se déclenchent : les symptômes.
Notre travail est d’offrir un point d’appui au corps dans son ensemble pour que l’équilibre change et que les symptômes disparaissent ….

Mais nous allons trouver, indépendamment des maladresses du praticien qui sont évidemment possibles, les cas de persistance ou même d’accentuation des symptômes où :
  Il y a dessous les tensions observées une lésion importante d’une articulation ou d’un organe qui va s’accentuer en enlevant les compensations par nos techniques et qui alors qu’elle était plus ou moins cachée aux examens deviendra plus évidente … Il est évident que cette accentuation n’est pas un échec mais une aide au diagnostic et que je m’en suis souvent servi pour économiser temps et argent dans un cas complexe. C’est un gros point en faveur de l’ostéopathie, je le souligne ici, outre le fait que les médicaments sont plus efficaces à moindre dose après avoir levé les tensions secondaires lors d’une maladie à nosologie avérée.
  Les cas où l’équilibre qui se propose n’est pas tenable : corps trop fatigué ou bien situation extérieure qui fait que la pathologie montrée est la seule solution envisagée par le corps du patient. Ce sera le cheval épuisé par sa saison de compétition ; ce sera le lombalgique qui en a plein le dos de sa vie et ne sait pas par quel bout prendre le changement ou bien même refuse de voir qu’il est en mode survie. Dans ce cas, a moins de mettre son nez dans le mode de vie du cheval ou de l’homme, l’échec est de faire disparaître le symptôme alors que la personne n’est pas prête : retour expéditif à l’état pathologique après une amélioration fugace. Ou bien pire, les symptômes reviennent en plus grave ou bien apparaissent une profusion de symptômes supplémentaires physiques et psychiques qui risquent d’amener un changement non souhaité irréversible (grand énervement et accident de voiture quelques heures plus tard ; dépression devant la difficulté de changer quoique ce soit, etc …).
Cette façon de voir nous amène à beaucoup d’humilité. Il convient pour nous de savoir perdre un client en acceptant de paraître mauvais (j’ai toujours mal au cou …. Oui mais forcer la résolution aurait été pire). Il apparait que je ne sais finalement pas ce qui est bon pour le patient et que je doive accepter que les résultats ne ressemblent en rien au souhait de mon patient ou aux miens. Accepter d’avoir peut-être mis une graine qui germera dans plusieurs mois … ou pas.

On en finit par ne plus savoir ce qu’est un échec :
  Soigner le dos d’un cheval maigre en souffrant depuis Deux ans et qui déclenche une piroplasmose latente 24h après la manipulation mais qui une fois soignée permet que le cheval reprenne 50 kg en 15 jours et n’aie plus mal au dos ?
  Se mettre en MRP sur un poulain qui fait des convulsions après huit jours de diarrhée et profite de l’énergie apportée pour s’endormir définitivement sous votre main…
  Soigner une personne qui a toujours mal au dos après parce qu’elle n’a pas su comprendre et acter que le harcèlement subi au travail devrait la faire démissionner ?
  Soigner sans résultat immédiat une chienne incontinente (depuis 6 mois) le vendredi soir pour qu’elle ne fasse pas pipi sur le tapis des amis chez lequel le propriétaire va passer le wek-end ?
  Ne pas arriver à faire descendre les testicules d’un chien de concours en débloquant son bassin ?
  Ne pas soulager la colite en débloquant le bassin parce que c’est l’alimentation complète qui devrait changer et que nous n’avons guère le droit d’y mettre notre nez le plus souvent ?

Bref à l’image de Jean Gabin qui dans un texte nous dit : « à 60 ans, j’ai dit je sais … je sais qu’on ne sait jamais » …. J’ai envie de dire que je ne sais plus ce qu’est un échec en fait. Bien sûr, je fais de mon mieux à chaque fois et je suis scrupuleusement les lignes rouges que notre société a placé sur notre route, mais comme une réussite peut être un échec et un échec une réussite … je ne sais plus. Ou si, je sais, je sais qu’est vécu comme échec un résultat qui n’est pas celui attendu par le patient ou son gardien. C’est donc une question humaine qui se pose dans le ressenti de l’échec, d’autant plus criante dans une société de compétition où l’on doit y arriver coûte que coûte.

C’est donc bien avec cette notion d’échec une lente initiation qui nous guette et ce sera là, la conclusion pour moi fondamentale :

  Quelles sont mes attentes dans le soin ? Soulager (qui pour quoi ?) ? Sauver le monde ? Briller ? Gagner de l’argent ? Gagner du pouvoir ? Coller aux attentes sociales du soin ? Seule l’expérience et l’envie opiniâtre de répondre à ces questions donneront la confiance en soi et la neutralité qui feront le bon soignant. Mettre tout son cœur, toute sa confiance, toute sa conscience, toute sa science dans le soin … sans s’attacher au résultat, tout en respectant la meilleure éthique. Tout un programme !
  Apprendre à lire les vraies attentes du patient ou de son gardien, souvent « à l’insu de son plein gré ». Parce qu’il faut le dire si le corps parle, c’est bien que l’on n’a pas su s’écouter. Et, bien « écouter » le patient ou son gardien pour comprendre les vrais enjeux du soin qui est demandé et le retranscrire, est vital pour ne pas tomber dans le panneau de faux échecs.
  La vraie question étant quels présupposés avez-vous mis dans le terme échec ? Petit exercice de philosophie salutaire !



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