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Du fascia au système fascial

Christian Corraud
 
Créé le : lundi 22 juillet 2019 par Christian Courraud

Dernière modificaton le : lundi 22 juin 2020

Du fascia au système fascial : un nouveau cadre de référence pour les thérapies fasciales

Auteurs
Christian Courraud, MKDE, Dr en Sciences Sociales, Directeur du CERAP, formateur à TMG Concept
Isabelle Bertrand, MKDE, Dr en Sciences Sociales, formatrice à TMG Concept
Christophe Galli, MKDE, formateur à TMG Concept

Résumé
Les recherches scientifiques récentes démontrent l’implication du système fascial dans le fonctionnement intégré du corps humain. Ces données viennent consolider la scientificité des thérapies fasciales telles que l’ostéopathie ou la fasciathérapie et donnent des perspectives nouvelles pour la compréhension de l’ensemble des thérapies manuelles.
Mots clés : Système fascial, fasciathérapie, thérapie manuelle et thérapie gestuelle, exercice professionnel.

Introduction

Le fascia a longtemps été le parent pauvre des sciences biomédicales (tissu de remplissage ou de soutien) pendant que l’ostéopathie puis la fasciathérapie en France en faisaient un tissu remarquable pouvant expliquer l’origine des dysfonctions tissulaires ou articulaires et des symptômes associés et développaient des méthodes de traitement manuelles et gestuelles spécifiques.

Depuis les années 2000, le nombre de publications sur le fascia n’a cessé d’augmenter mettant à la disposition des praticiens une masse d’informations extraordinaire qui renouvelle la compréhension des mécanismes d’action des thérapies manuelles en général et des thérapies du fascia en particulier. À la lumière de ces découvertes récentes, de nouvelles théories émergent permettant de comprendre, d’expliquer et de renouveler les conceptions que nous nous faisons et que nous avons du fascia et de sa thérapeutique. Certains auteurs avancent même l’idée que le fascia pourrait constituer le nouveau paradigme scientifique qui manque aux thérapies manuelles.

Cet article fait le point sur les définitions les plus récentes du fascia le présentant comme un nouveau système dont la particularité est d’être répandu dans tout l’organisme et comme un « tissu actif » dont les fonctions sont essentielles au fonctionnement global du corps humain et à la connexion soma/psyché. Il devrait intéresser tous les thérapeutes manuels et gestuels qui s’interrogent sur l’importance de ce tissu dans la pratique clinique et éclaire d’un nouveau regard les thérapies manuelles et gestuelles telles que l’ostéopathie, le rolfing ou la fasciathérapie qui s’adressent depuis très longtemps à ce tissu.

Du fascia au système fascial

Les définitions les plus récentes présentent le fascia comme un véritable « organe » dont la particularité est d’être répandu et présent dans tout l’organisme : « Les fascias sont les tissus mous qui composent le tissu conjonctif omniprésent dans le corps humain. Ils forment une matrice continue en trois dimensions offrant un support structurel à tout l’organisme. Les fascias interpénètrent et entourent tous les organes, muscles, os et fibres nerveuses. Ils forment un environnement unique pour le fonctionnement des systèmes de notre organisme. » [1]. Cette définition étend le terme fascia à de nombreuses structures conjonctives ayant la même origine (mésoderme), la même composition (fibres, cellules, substance fondamentale) et assurant les mêmes fonctions. Elle efface ainsi les lignes de démarcation, érigées le plus souvent de façon arbitraire, entre les capsules articulaires, les ligaments, les tendons et les muscles. Elle rend compte également de l’existence d’un seul réseau tensionnel fascial interconnecté qui adapte l’arrangement et la densité de ses fibres aux demandes locales et établit ainsi des relations entre les différents éléments anatomiques. De nombreuses structures sont ainsi considérées comme faisant partie du fascia : « Le champ de notre définition et de notre étude des fascias s’étend à tous les tissus conjonctifs fibreux et inclut les aponévroses, les ligaments, les tendons, les réticanula, les capsules articulaires, les membranes vasculaires et organiques, les méninges, le périoste et les fibres intra et intermusculaires du myofascial » [1].

Une classification en quatre grands fascias primaires fondée sur l’observation anatomique est actuellement largement admise et rejoint les descriptions fonctionnelles utilisées dans la pratique de l’ostéopathie et de la fasciathérapie [2] : il s’agit du fascia panniculaire (ou superficiel), du fascia axial profond (fusionné au fascia superficiel enveloppant les muscles, les tendons, les ligaments, les aponévroses et le périoste), du fascia méningé (englobant tout le système nerveux) et du fascia viscéral, le plus complexe des quatre, constitué de 4 cavités (pleurale, péricardique, péritonéale et pelvienne). [3]

Le Fascia Nomenclature Comittee (FNC) constitué d’experts internationaux nommés par la Fascia Research Society a récemment rédigé une double définition faisant une distinction entre “Fascia” et “Système fascial” [4] : Le terme « Fascia » (a fascia) désigne : « Une gaine, un feuillet ou tout autre nombre d’agrégats dissécables de tissu conjonctif qui se forment sous la peau pour attacher, enfermer, séparer les muscles et autres organes internes. » alors que le terme “Système fascial” (the fascial system) fait ressortir l’omniprésence du fascia, sa continuité, son interconnexion et son intégration dans tous les systèmes du corps humain optimisant leur fonctionnement et leur action intégrée [1]

Cette dernière définition est proche de celles données par les thérapies qui s’adressent au fascia. Toutes ont en effet pour point commun d’avoir décrit le fascia comme le tissu qui fait du corps une entité globale, sert de support à l’unité dynamique de fonction et est impliqué dans les dysfonctions des différents systèmes musculo-squelettique, viscéral, neurologique ou vasculaire [1,5]. Elle a également comme avantage de mettre en avant les différentes fonctions du fascia donnant un cadre référentiel et conceptuel solide dans le contexte de l’exigence d’une pratique fondée sur les preuves (Evidence Based Practice).

Concept de globalité et de continuité tissulaire 

Le concept de « continuité tissulaire » [6, 7] issu de l’observation chirurgicale rejoint le principe d’unité dynamique de fonction ou de globalité concepts clés de l’ostéopathie et de la fasciathérapie. En effet, le chirurgien et le thérapeute pénètrent et découvrent chacun à leur manière, le premier par l’observation visuelle et le second par le ressenti manuel, cette unité architecturale intérieure caractéristique du vivant. La continuité tissulaire rejoint deux concepts clés de la thérapie manuelle : la globalité de l’intervention thérapeutique et la sollicitation d’une dynamique d’auto-régulation interne.

Thérapie manuelle des fascias – techniques musculo-squelettiques

La continuité tissulaire invite à passer d’un corps anatomique composé de parties à un corps unifié sans discontinuité dont les parties sont interconnectées entre elles de la périphérie à la profondeur et en étendue. Elle rompt ainsi avec l’action locale et analytique de la thérapie manuelle et fait voler en éclat l’idée que la main ne puisse pas entrer dans l’intériorité du corps, accéder aux parties anatomiques les plus profondes (os, intérieur du crâne, du thorax…) et à celles les plus éloignées de son lieu d’action. La perception manuelle d’une globalité et d’une étendue tissulaire permettant d’orienter le traitement et de prendre en compte le symptôme dans une approche globale semble ainsi confirmée par les observations issues de l’imagerie endoscopique.

La continuité tissulaire témoigne également du potentiel d’adaptation et d’auto-régulation de la matière vivante. Lors de mouvement ou de toute autre type de contrainte, les fibres tissulaires s’orientent et se reconfigurent de façon spontanée, transmettant et répartissant les contraintes dans l’ensemble du corps pour maintenir l’intégrité tissulaire. Ce principe d’adaptation intelligente de la matière vivante et des tissus constitue un des éléments essentiels de la dynamique d’auto-régulation tissulaire locale et globale. La capacité des thérapeutes du fascia à solliciter par un point d’appui manuel un mécanisme d’auto-régulation interne semble également étayée par l’imagerie endoscopique.

Il nous faut aujourd’hui admettre que les fascias ne sont pas seulement des tissus conjonctifs mais forment le tissu constitutif du corps humain, garant de son architecture, de sa forme et de son intégrité. Le concept de thérapie manuelle globale trouve une légitimité scientifique dans ce principe de continuité tissulaire.

Concept de crispation fasciale et de dysfonction tissulaire

Le fascia n’est pas un tissu passif qui subirait ou transmettrait les contraintes dans l’ensemble du corps. Son tonus et ses capacités contractiles [8, 9] en font un organe actif capable d’optimiser le bon fonctionnement de l’organisme (organisation structurale de la matière, répartition de la force musculaire, régulation de la posture et coordination du mouvement, anticipation et absorption des contraintes mécaniques, régulation de l’activité biologique et liquidienne). L’existence de ce tonus fascial, mis en lumière expérimentalement a été régulièrement observé et décrit dans la thérapie manuelle. Les thérapeutes du fascia décrivent en effet tous des sensations de relâchement, d’effondrement, de modification de la tension tissulaire sous leurs mains. De plus les dysfonctions de ce tonus fascial sont aujourd’hui bien documentées et son implication dans les processus pathologiques sont largement évoqués. Ce tonus fascial joue un rôle dans la contraction et la rigidité myofasciale et son implication dans les pathologies du rachis, les lésions musculaires, les syndromes douloureux chroniques, les céphalées de tension ou les douleurs viscérales est scientifiquement fondée. Cette idée n’est pas neuve puisque dès 1990, Bois décrit une « Dynamique Contractile Élastique des fascias » dont la crispation autonome est à l’origine de la pathologie fonctionnelle [10]. Des relations entre tonus et lésion tissulaire sont aujourd’hui proposées dans le milieu ostéopathique [11]. Sous le vocable « psychotonus », des relations entre tonus fascial, tonus musculaire et tonus psychiques sont également développées facilitant l’explication des interconnexions entre le fascia et le système cognitif et le monde des émotions [12].

Différents aspects du tonus fascial et interactions avec les tonus physiologiques et psychiques

Concept de sensibilité fasciale et d’unité corps/psychisme

Le fascia est aujourd’hui considéré comme l’organe sensoriel le plus grand et le plus étendu du corps humain. Les recherches les plus récentes ont mis en évidence la richesse de son innervation et son implication dans la proprioception, la nociception et l’intéroception ouvrant des perspectives pour la compréhension des mécanismes d’action des thérapies manuelles des fascias et leur champ d’application thérapeutique [13, 14]. Cette sensibilité fasciale constitue une véritable connexion entre le corps et le système nerveux central. Il est utile de préciser que les sensibilités proprioceptive et intéroceptive n’empruntent pas les mêmes voies et ne sont pas traitées par les mêmes sites neuronaux. Les aires somato-sensorielles sont dévolues à la proprioception et le cortex insulaire à l’intéroception. Ces deux régions du cerveau jouent un rôle essentiel dans la perception du corps et la conscience de soi

Les fonctions sensorielles du fascia

Le fascia joue également un rôle essentiel dans la douleur qu’elle soit chronique ou aigüe. Des terminaisons libres ont été identifiées dans les fascias et leur stimulation semble pouvoir générer des douleurs spécifiques distinctes de la douleur cutanée ou musculaire. Et enfin, des inflammations induites expérimentalement dans le fascia thoraco-lombaire ont montré l’implication de ce tissu dans la douleur lombaire et le membre inférieur. Une implication du fascia dans la douleur chronique et dans les phénomènes de sensibilisation centrale est évoquée par certains auteurs donnant une perspective nouvelle aux douleurs telles que la fibromyalgie [15].

Des auteurs suggèrent ainsi que les thérapies des fascias pourraient être indiquées autant dans le traitement des pathologies à dominante proprioceptive (lombalgies, troubles de la posture, douleurs musculaires, etc..) que celles d’origine nociceptive (fibromyalgie, douleurs chroniques) ou intéroceptive (anxiété, dépression, syndrome du côlon irritable). Les preuves scientifiques en faveur de cette sensibilité fasciale viennent étayer l’idée couramment admise en ostéopathie et/ou en fasciathérapie que le fascia est le trait d’union entre le corps et le psychisme et que le traitement de ce tissu favorise la prise en charge simultanée de la douleur physique et de la souffrance psychique [16].

Thérapie manuelle des fascias – techniques viscérales

Conclusion

Les données récentes sur le fascia montrent qu’il existe aujourd’hui un cadre référentiel scientifiquement fondé pour les thérapies manuelles et gestuelles des fascias. La notion de système fascial redonne à ce tissu son rôle essentiel dans le fonctionnement intégré du corps humain et sa connexion intime avec le système nerveux en fait un élément essentiel de l’équilibre somato-psychique. Les dysfonctions du système fascial (crispations, raideur, adhérences et pertes de glissement) affectent le fonctionnement physiologique de tous les grands systèmes et sont potentiellement pourvoyeuses de douleurs, de perturbations fonctionnelles et de troubles de la perception du corps et de soi.

Les thérapies manuelles ou gestuelles qui traitent le système fascial, constituent ainsi une voie rationnelle pour traiter les pathologies du système locomoteur, les troubles fonctionnels viscéraux ou des pathologies plus complexes telles que les somatisations l’anxiété, la dépression et le stress. De plus en plus de thérapeutes manuels, de professionnels de la rééducation et du mouvement et de psychologues considèrent que la connaissance du fascia doit être intégrée à leur formation [17, 18, 19].

Bibliographie

[1] Schleip, Jäger, Klingler (2012). What is ‘fascia’ ? A review of different nomenclatures, in Journal of Bodywork & Movement Therapies. p. 496-502

[2] Bois, D. Concepts fondamentaux de fasciathérapie et de pulsologie profonde. 1984. Paris : Éditions Maloine.

[3] Willard F. H., Vleeming A., Schuenke M. D., Danneels L. and Schleip R. The thoracolumbar fascia : anatomy, function and clinical considerations, in Journal of Anatomy, April 2012, Anatomical Society

[4] Adstrum S, Hedley G, Schleip R, Stecco C, Yucesoy CA., Defining the fascial system. Journal of Bodywork & Movement Therapies 21 (2017) 173-177

[5] Findley TW, Shalwala M. Fascia Research Congress evidence from the 100 year perspective of Andrew Taylor Still. J Bodyw Mov Ther. 2013 Jul ;17(3):356-64. doi : 10.1016/j.jbmt.2013.05.015. Epub 2013 May 29.

[6] Guimberteau J.C. (2012). Architectures d’intérieur. DVD. Endovivo

[7] Stecco C. Functional atlas of the human fascial system. 2015. Churchill Livingston. Elsevier.

[8] Schleip R, Klingler W, Lehmann-Horn F. Active fascial contractility : Fascia may be able to contract in a smooth muscle like manner and thereby influence musculoskeletal dynamics. Medical Hypotheses. 2005 ; 65 : 273-277.

[9] Levin S.P., Martin D.M. (2012). Biotensegrity. The mechanics of fascias. Dans : Dans : Schleip R, Chaitow L,.Findley TW, Huijing P. Fascia : The Tensional Network of the Human Body ; Churchill Livingstone Elsevier ; 2012

[10] Bois, D. et Berger, E. (1990). Une thérapie manuelle de la profondeur. Paris : Guy Trédaniel Éditeur.

[11] Renaudeau, P. La lésion ostéopathique : Essai de définition médicale et scientifique. 2012.

[12] Courraud C. Fasciathérapie et relation d’aide. Le toucher psychotonique et son application sur la relation d’aide au patient en kinésithérapie. Revue Mains Libres. 2007 ; n°4 : 151-58.

[13] Schleip R, Jäger H. Interoception. A new correlate for intricate connections between fascial receptors, emotion, and self recognition.In : Schleip R, Chaitow L,.Findley TW, Huijing P. Fascia : The Tensional Network of the Human Body ; Churchill Livingstone Elsevier ; 2012.

[14] Van de Wal J.C. Proprioception.In : Schleip R, Chaitow L,.Findley TW, Huijing P. Fascia : The Tensional Network of the Human Body ; Churchill Livingstone Elsevier ; 2012.

[15] Dupuis C. Étude exploratoire des effets de la fasciathérapie sur la douleur de patients fibromyalgiques. Mains Libres, 2016 ; n°1 : 49-57.

[16] Courraud, C. Apports de la pratique de la fasciathérapie à l’exercice de la physiothérapie : le point de vue des praticiens. Mains Libres, 2016 ; n°3 : 49-58.

[17] Kwong, E. H., Findley, T. W. (2014). Fascia-Current knowledge and future directions in physiatry : Narrative review. The Journal of Rehabilitation Research and Development. Volume 51. n° 6. p. 875-884

[18] Calcius J, De Bie J, Hertogen R, Meesen R. Touching the Lived Body in Patients with Medically Unexplained Symptoms. How an Integration of Hands-on Bodywork and Body Awareness in Psychotherapy may Help People with Alexithymia. Front. Psychol. 7:253. doi : 10.3389/fpsyg.2016.00253.

[19] Courraud, C. The Sensible and Identity Crisis of Healthcare Workers : The perspective of Physiotherapists Practicing Fasciatherapy. Sociology study. Volume 8, Number 1, serial Number 75. Doi : 10.17265/2159-5526 (en revision).

Nous remercions les auteurs de nous avoir autorisé à publier cet article

[1Définition du système Fascial : (Adstrum et al, 2017) : “The fascial system consists of the three-dimensional continuum of soft, collagen containing, loose and dense fibrous connective tissues that permeate the body. It incorporates elements such as adipose tissue, adventitiae and neurovascular sheaths, aponeuroses, deep and superficial fasciae, epineurium, joint capsules, ligaments, membranes, meninges, myofascial expansions, periostea, retinacula, septa, tendons, visceral fasciae, and all the intramuscular and intermuscular connective tissues including endo-/peri-/epimysium. The fascial system interpenetrates and surrounds all organs, muscles, bones and nerve fibers, endowing the body with a functional structure, and providing an environment that enables all body systems to operate in an integrated manner.”



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