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Théorie vertébrale du crâne

L. Testut - Traité d’anatomie humaine 1911
 
Créé le : vendredi 19 avril 2019 par Jean Louis Boutin

Dernière modificaton le : dimanche 21 juin 2020

L. Testut, Professeur d’anatomie de la faculté de médecine de l’Université de Lyon - Article paru dans la revue Ostéo n° 49 – 2 trimestre 1999.
Ostéo, la revue des ostéopathes - Proédit, Espace Grobet - 50, rue Louis Grobet - F - 13001 MARSEILLE - Tél. : 00 33 (0)4 91 08 50 95 - Fax : 00 33 (0)4 91 08 55 84 - Article reproduit avec l’autorisation de la revue OSTÉO

 Introduction

L’encéphale n’étant que la continuation de la moelle épinière, il était tout naturel de penser que la cavité crânienne, qui l’abrite, n’est pareillement que la continuation de la colonne vertébrale. Et, cependant jusqu’à la fin du siècle dernier, nous ne trouvons à ce sujet, dans la littérature anatomique, que quelques allégations très vagues et toujours incidentes.

Le 4 mai 1790, Goethe dans une lettre qu’il écrivait de Venise à Mme De Harder, formule en termes très précis l’analogie qui existe entre le crâne et le rachis. Malheureusement, l’illustre naturaliste attendit dix-sept ans pour faire connaître son opinion au monde scientifique, laissant à Oken le temps de le devancer et de recueillir à son profit tout l’honneur d’une pareille découverte.

C’est, en effet, en 1807, que Oken prend possession de sa chaire de professeur à l’université d’Iéna et établit dans une leçon restée célèbre le fait de la constitution vertébrale du crâne. "Comme je descendais, dit-il, de l’Henstein, par l’ancienne route du côté du sud, je vis à mes pieds un superbe crâne de biche, le ramasser, le retourner, le considérer me suffit, l’idée que c’était une colonne vertébrale me traversa l’esprit comme un coup de foudre et depuis cette époque, le crâne n’est plus pour moi qu’une colonne vertébrale". Oken distingua tout d’abord trois vertèbres dans la constitution de la boîte crânienne :

une vertèbre postérieure ou occipitale, constituée par l’occipital ;
une vertèbre moyenne ou sphéno-pariétale, formée par la partie postérieure du sphénoïde et par le pariétal (Oken fait abstraction du temporal, comme ne faisant pas partie du crâne) ;
une vertèbre antérieure ou sphéno-frontale, comprenant la partie antérieure du sphénoïde et le frontal.

Plus tard, il en ajouta une quatrième, la vertèbre ethmoïdo-nasale, qui a été également admise depuis par de Blainville et par Richard Owen. Avant d’étudier ces vertèbres crâniennes, il est indispensable de bien nous fixer sur la constitution anatomique d’une vertèbre en général, de ce que nous appellerons la vertèbre type.

 1 - Éléments constitutifs d’une vertèbre, vertèbre type

En anatomie philosophique et envisagée dans son sens le plus large, la vertèbre n’est pas cet os court que nous avons décrit plus haut comme l’élément constitutif de la colonne vertébrale et que nous avons vu se réduire à un corps ou centrum et à une série d’apophyses circonscrivant en arrière du centrum un orifice, le trou vertébral ou neural, destiné à loger la moelle. Ce n’est là qu’une vertèbre incomplète ou, si l’on veut, qu’une portion de la vertèbre-type.

Celle-ci se complète, en avant, par l’apparition d’un nouvel orifice, beaucoup plus grand que le précédent, qui est destiné à loger les organes des trois grands appareils digestif, respiratoire et circulatoire et auquel, pour cette raison, on donne le nom de trou viscéral ou trou neural (de "aima". sang) de la vertèbre.

La vertèbre, à l’état parfait, la vertèbre-type se compose donc de trois parties essentielles, savoir :

1 - Un corps ou centrum ;
2 - Un premier arc, situé en arrière du centrum, c’est l’arc neural, circonscrivant un orifice, l’orifice neural ;
3 - Un deuxième arc, situé en avant du centrum, c’est l’arc hœmal, circonscrivant lui aussi un orifice, l’orifice hœmal.

Quant au mode de constitution de ces deux arcs, l’arc postérieur nous est déjà connu : il est formé par les deux lames vertébrales (neurapophyses d’Owen) qui, implantées en avant sur le centrum, se réunissent en arrière sur la ligne médiane, en laissant échapper au point de leur coalescence un prolongement plus ou moins développé, l’apophyse épineuse ou neurépine. Les neurapophyses présentent le plus souvent des apophyses secondaires, destinées à les relier aux éléments similaires des vertèbres voisines : ce sont les apophyses articulaires ou zygapophyses.

L’arc antérieur, beaucoup plus compliqué, comprend une série de segments articulés les uns à la suite des autres. Nous trouvons tout d’abord, sur les côtés du centrum, deux prolongements à direction transversales, les apophyses transverses ou diapophyses. Aux diapophyses font suite les côtes, qui prennent dans la nomenclature d’Owen le nom de pleurapophyses. Les côtes, à leur tour, viennent s’implanter sur une pièce impaire ou médiane plus ou moins saillante en avant, c’est le sternum ou hœmépine. L’arc antérieur, on le voit, abstraction faite de la multiplicité de ses segments, répète exactement la disposition et la forme de l’arc postérieur.

Avant d’aller plus loin, nous devons signaler, dans la région de l’arc antérieur, la présence de deux éléments supplémentaires.

Ce sont :

les parapophyses, indépendantes chez quelques poissons, qui s’implantent sur les côtés du centrum, un peu en avant des diapophyses, d’où le nom d’apophyses transverses antérieures, qui leur à été donné ;
les hypapophyses, prolongements impairs et médians, qui se détachent de la face antérieure du centrum pour se diriger en avant, à la manière d’une épine : la vertèbre lombaire du lièvre nous en offre un exemple très net.

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 2 - Leurs variations

Ainsi entendue, la vertèbre-type est une simple expression anatomique, qui ne se trouve réalisée nulle part dans la nature. II n’est aucun animal, en effet, qui la possède à l’état de perfection absolue. Si nous parcourons, à cet égard, les nombreux degrés de l’échelle zoologique, nous voyons la vertèbre se modifier sans cesse, perdre ici un de ses éléments, là un autre, présenter enfin, soit dans son ensemble, soit dans ses détails, une longue série de modalités dont la description précédente n’est que la synthèse.

Pour nous en tenir à l’anatomie humaine, nous voyons les vertèbres varier avec les différentes régions de la colonne dans des proportions souvent fort étendues.

a. Arc neural
L’arc neural, et la neurépine qui s’en échappe, sont bien développés dans toutes les régions, la région coccygienne exceptée. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un simple coup d’œil sur le plan dorsal d’une colonne vertébrale : le canal vertébral se poursuit sans discontinuité, depuis le trou occipital, auquel il fait suite, jusqu’au sommet du sacrum.

b. Arc hœmal
mais il n’en est pas de même de l’arc hœmal : celui-ci n’existe pour ainsi dire à l’état parfait qu’à la partie supérieure du thorax, où nous rencontrons sept cercles complets, constitués, pour chacun d’eux, par la face antérieure du centrum, deux apophyses transverses, deux côtes, deux cartilages costaux et une pièce sternale. Partout ailleurs, l’arc hœmal est incomplet ou même tellement réduit qu’il faut toutes les ressources de l’embryologie ou de l’anatomie comparative pour nous permettre d’en reconnaître les divers éléments.

Déjà, à la partie inférieure du thorax, l’élément sternal a disparu et les côtes deviennent plus ou moins libres au milieu des parties molles.

A la région lombaire, les côtes elles-mêmes ont disparu en tant que pièces indépendantes. Les apophyses transverses qui les représentent et qui seraient bien mieux dénommées apophyses costiformes, sont soudées au centrum ; quant aux apophyses transverses proprement dites, elles sont représentées par ces tubercules accessoires, que nous avons décrits sur la partie postérieure de la racine des appendices costiformes, un peu en dehors des apophyses articulaires supérieures. Du sternum, il n’en reste d’autre trace que la ligne blanche abdominale, à laquelle viennent aboutir, comme homologues des cartilages costaux, les insertions aponévrotiques du muscle grand droit.

A la région sacrée, pas de sternum et pas de côtes apparentes : l’embryologie nous démontre qu’il faut chercher les éléments de ces dernières dans les parties antéro-latérales du sacrum, où l’on voit encore, à la période fœtale trois ou quatre points d’ossification spéciaux (points costaux de Gegenbaur), correspondant exactement à la série des points d’ossification des côtes. Les apophyses transverses des vertèbres sacrées sont visibles encore à la face postérieure de l’os, où elles affectent la forme de simples tubercules placés en dehors de trous sacrés.

A la région coccygienne, la vertèbre se trouve réduite à son corps : encore ce corps est-il le plus souvent très rudimentaire. L’arc neural a disparu sans laisser le moindre vestige. Il en est de même de l’arc hœmal du moins chez l’homme ; car, chez les poissons, chaque pièce coccygienne possède en avant du centrum un anneau complet (os en V de l’anatomie ichthyologique), véritable arc hœmal destiné à protéger l’artère caudale.

Si nous remontons maintenant au-dessus du thorax, nous voyons l’arc hœmal tout aussi réduit à la région cervicale qu’à la région lombaire. Ici encore la côte, extrêmement réduite, s’est fusionnée avec l’apophyse transverse correspondante : elle est représentée, sur cette apophyse, par le tubercule antérieur et la portion d’os qui lui correspond en avant de la gouttière où chemine le nerf rachidien (lame costale de l’apophyse transverse). Quant au sternum, il a, lui aussi, en grande partie disparu. Nous ne voyons, en effet, comme éléments homologues de la formation sternale qu’un tout petit os, le corps de l’os hyoïde, et les deux raphés médians sus-hyoïdien et sous-hyoïdien. En revanche, la région cervicale nous offre un élément nouveau que nous chercherions vainement dans quelque autre région de la colonne : c’est le trou de l’artère vertébrale, que l’on peut appeler, en raison de sa situation, le trou transversaire. On admet généralement que ce trou est compris entre l’élément osseux qui constitue l’apophyse transverse proprement dite (lame transversaire) et celui qui représente la côte (lame costale).

 3 - Lois de ces variation

Toutes ces transformations de la vertèbre sont soumises à une grande loi, celle de l’adaptation de l’organe à la fonction qu’il est appelé à remplir.

En arrière de la colonne formée par les corps vertébraux, un organe délicat, la moelle, descend sans interruption de la première vertèbre cervicale à la dernière vertèbre sacrée (disposition fœtale) ; sans interruption aussi, l’anneau neural se développe autour d’elle, depuis l’atlas jusqu’à l’extrémité inférieure du sacrum. La moelle, à aucune période de son évolution, n’est en rapport avec le coccyx :l’arc neural ne s’y montre jamais.

II en est de même en ce qui concerne l’arc hœmal en avant de la colonne vertébrale, II est une région, importante entre toutes, où se trouvent réunis l’appareil essentiel de la fonction respiratoire, les poumons, et l’organe central de la circulation, le cœur. A ce niveau, l’arc hœmal apparaît avec tous ses éléments et forme à ces organes une sorte de cuirasse protectrice, qui commence au centrum, contourne d’un côté à l’autre la ligne médiane antérieure et vient se terminer à son point de départ, en formant un anneau complet. Au-dessus comme au-dessous de la région cardio-pulmonaire, nous ne rencontrons aucun organe aussi important, aucun organe qui ait besoin d’une protection aussi immédiate ; du reste, la présence d’un système d’arc costaux articulés avec un sternum eût été grandement préjudiciable au libre jeu des colonnes cervicale et lombaire : pour cette double raison, ces éléments squelettiques, qui eussent été à la fois inutiles ou même nuisibles, ne s’y montrent qu’à un état profondément rudimentaire.

Un argument d’un autre ordre peut être invoqué en faveur de cette subordination de l’organe à la fonction, c’est que, dans les cas où la moelle ne se développe pas ou bien subit un simple arrêt dans son développement, comme dans le spina bifida, l’anneau neural, lui aussi, ne se montre pas ou tout au moins reste incomplet. Ne dirait-on pas que la nature se refuse à façonner un organe que n’attend aucune fonction ?

Examinons maintenant la transformation que subit la vertèbre - type dans le segment le plus élevé de la colonne vertébrale, le crâne.

 4 - Constitution vertébrale du crâne, vertèbres

Oken, nous l’avons vu plus haut, distinguait dans le crâne humain (et par ce mot de crâne nous entendons ici la tête osseuse tout entière) quatre vertèbres, à savoir :

1 - une vertèbre occipitale ;
2 - une vertèbre sphéno-pariétale ;
3 - une vertèbre sphéno-frontale ;
4 - une vertèbre ethmoïdo-nasale.

Pour bien comprendre le mode de constitution de ces différentes vertèbres, il importe de se rappeler que le sphénoïde qui constitue une pièce unique sur le crâne adulte, se compose en réalité de deux pièces distinctes : une pièce antérieure ou sphénoïde antérieur, comprenant la partie antérieure du corps et les petites ailes ou apophyses d’Ingrassias ; une pièce postérieure ou sphénoïde postérieur, formée par la partie postérieure du corps et les grandes ailes. Les deux sphénoïdes, antérieur et postérieur, dont l’indépendance est complète et permanente chez la plupart des mammifères, sont encore distincts chez l’homme au septième mois de la vie fœtale. Ce point étant bien établi nous résumons dans le tableau suivant la constitution anatomique des quatre vertèbres céphaliques en indiquant pour chacune d’elles ses différents éléments constitutifs :

Éléments de la vertèbre

Vertèbre occipitale

Vertèbre sphéno-pariétale

Vertèbre sphéno-frontale

Vertèbre nasale

1 - Corps

Apophyse basilaire

Corps du sphénoïde postérieur

Corps du sphénoïde antérieur

Lame perpendiculaire de l’ethmoïde et vomer

2 - Trou

Trou occipital

Intervalle que circonscrivent les trois os constitutifs de cette vertèbre

Échancrure ethmoïdale

Absent

3 - Lames

Écaille occipitale

Grandes ailes du sphénoïde, temporaux et pariétaux

Petites ailes du sphénoïde et frontal

Lames criblées de l’ethmoïde (?)

4 - Apophyses épineuses

Crête et protubérance occipitale externe

Manque
(suture bipariétale)

Manque
(suture métopique)

Manque
(suture médionasale ?)

5 - Apophyses articulaires inférieures

Condyles

Bord postérieur de cette vertèbre

Bord postérieur de cette vertèbre

Absentes

6 - Apophyses articulaires supérieures

Les 4 bords de l’occipital

Bord antérieur de cette vertèbre

Pourtour de l’échancrure ethmoïdale

Absentes

7 - Apophyses transverses

Apophyses jugulaires

Apophyses mastoïdes

Apophyses orbitaires externes (?)

Masses latérales de l’ethmoïde (?)

De même que la vertèbre ordinaire se complète, ainsi que nous l’avons dit plus haut, par un arc antérieur ou arc hœmal, de même la vertèbre crânienne se complète, sur sa face antérieure ou ventrale, par une série d’éléments squelettiques qui se développent au sein des arc branchiaux

C’est ainsi que la vertèbre occipitale a pour arc hœmal le corps et les grandes cornes de l’os hyoïde, rattachés autrefois à l’occipital par une portion latérale aujourd’hui disparue.

Vertèbre sphéno-frontale

L’arc hœmal de la vertèbre sphéno-pariétale n’est autre que la chaîne hyoïdienne, qui, sous les noms divers de stylohyal, de cératohyal, d’apohyal, descend de la base du crâne jusqu’au corps de l’os hyoïde.

Vertèbre sphéno-pariétale

La vertèbre sphéno-frontale se rattache à l’os mandibulaire ou maxillaire inférieur par l’enclume, l’os carré des oiseaux et le cartilage de Meckel, qui prennent naissance dans le deuxième arc branchial.

Vertèbre occipitale

Nous voyons enfin se rattacher à la vertèbre ethmoïdo-nasale, à titre d’arc hœmal, le massif osseux de la mâchoire supérieure, dont les éléments se développent dans le premier arc branchial.

II est jusqu’aux trous de conjugaison qui viennent témoigner encore en faveur de l’analogie, déjà si considérable, qui existe entre le crâne et la colonne vertébrale. II suffit, en effet, de jeter un simple coup d’œil sur la base du crâne, pour constater que le trou déchiré postérieur et la fente sphénoïdale ne sont que des trous de conjugaison, trous de conjugaison principaux, auxquels viennent s’ajouter, comme on l’observe du reste sur le rachis de nombreux mammifères, plusieurs trous de conjugaison accessoires, tels que le trou grand rond et le trou ovale, qui livrent passage, eux aussi à des paires de nerfs crâniens.

Telle est, réduite à sa plus simple expression, la théorie vertébrale du crâne, telle que l’ont exposée longtemps les adeptes d’Oken et de Goethe. Elle est, en apparence, fort simple et parfaitement justifiée par ce que nous voyons sur un crâne d’adulte. Mais cela ne suffit pas pour élever une théorie, qui n’est en somme qu’une hypothèse, à la hauteur d’une vérité démontrée. Et, de fait, les recherches relativement récentes entreprises sur l’évolution du crâne sont loin d’être entièrement favorables à la théorie en question.

 5 - Objections à la théorie vertébrale du crâne [1]

Des objections d’une grande valeur ont été formulées contre elle par des anatomistes éminents, Huxley, Gegenbaur, Haeckel. Ces objections peuvent être ramenées à quatre :

a) Première objection. L’assimilation des segments crâniens précités à la vertèbre ordinaire est inexacte parce qu’elle ne tient aucun compte du mode d’évolution, pourtant si différent, de la voûte et de la base du crâne : la base provenant d’une ossification dans le cartilage et faisant partie de l’endosquelette ; la voûte provenant d’une ossification membraneuse et appartenant, par conséquent, à l’exosquelette ou squelette dermique. Nous savons que la vraie vertèbre, à quelque région qu’elle appartienne, s’ossifie tout entière en plein cartilage, et, tout entière aussi, fait partie de l’endosquelette.

b) Deuxième objection. La corde dorsale ou notochorde est, comme on sait, l’axe primitif autour duquel apparaissent et se développent les vertèbres. La vertèbre est donc caractérisée par la présence de la notochorde à son centre, d’où la formule suivante pas de notochorde, pas de vertèbres. Or, la corde dorsale poursuivie de la région cervicale jusqu’à sa terminaison supérieure, traverse successivement le corps de l’axis, l’apophyse odontoïde ou corps de l’atlas, l’apophyse basilaire de l’occipital ou basi-occipital, le corps du sphénoïde postérieur ou basi-post-sphénoïde et s’arrête au niveau de la selle turcique, où elle se termine par un léger renflement en massue. Si donc nous pouvons jusqu’à un certain point considérer comme des éléments vertébraux toute la portion du crâne qui est située en arrière de la selle turcique, nous ne pouvons, sous peine de négliger un fait qui est essentiel dans l’espèce, rattacher de même à la vertèbre la portion qui se projette en avant de la selle turcique, c’est-à-dire le sphénoïde antérieur, le frontal, l’ethmoïde, etc.

c) Troisième objection. Un phénomène constant dans l’évolution de la colonne vertébrale membraneuse est l’apparition, sur les côtés de la corde dorsale, de lignes transversales, fractionnant le tissu embryologique sous le nom de protovertèbres. Or, nous n’observons rien d’analogue dans le développement du crâne. Le tissu embryonnaire qui constitue le crâne membraneux forme un tout continu. Aucun embryologiste n’a pu y surprendre encore la moindre trace de segmentation : le crâne ne possède pas de proto-vertèbres.

d) Quatrième objection. De même, à la phase suivante (période cartilagineuse), nous voyons la colonne vertébrale cartilagineuse se segmenter autour de la notochorde en autant de petites masses qu’il y aura plus tard de vertèbres. Au crâne, au contraire, le cartilage se montre d’une seule coulée et reste ainsi à l’état de plaque unique et complètement indivise (plaque basilaire), jusqu’à ce qu’apparaissent les points d’ossification qui façonnent alors, mais alors seulement, des pièces distinctes. Si ces pièces sont réellement comparables aux pièces de la colonne vertébrale, il y a tout lieu de s’étonner de l’apparition si tardive de cette analogie : nous n’avons en effet que deux organes, homologues mais différents, sont d’autant plus semblables qu’ils sont plus jeunes, d’autant plus différenciés qu’on s’éloigne davantage de leur origine embryonnaire. Or, ce serait tout le contraire en ce qui concerne le crâne et le rachis !

 6 - Réponses[2]

Ces objections, on en conviendra, sont fort sérieuses et semblent ruiner à fond la théorie vertébrale du crâne. II n’en est rien cependant : un certain nombre de faits, mis en lumière par les recherches de Kölliker, viennent en atténuer la portée.

Relativement à l’absence des protovertèbres crâniennes, Kölliker rappelle les observations de Götte, qui a découvert sur le crâne de la larve du bombinator quatre proto-vertèbres distinctes (segments de Götte) et les recherches de Balfour, qui a reconnu sur les embryons des plagiostomes une série de segments analogues à des protovertèbres. II a observé lui-même, chez le poulet, des traces de segmentation dans la région céphalique postérieure. Pour ce qui est de l’absence de segmentation sur le crâne cartilagineux, Kölliker répond avec raison qu’il existe des poissons (chimères, raies) dont le rachis ne présente, lui aussi, aucune trace de segmentation sur des longueurs parfois considérables et, pourtant, n’en est pas moins un composé de vertèbres.

Le savant professeur de Würzburg rappelle enfin, en faveur de la théorie de Gœthe, deux faits d’une grande importance.

Le premier fait consiste en l’apparition d’un certain nombre de renflements qui ont été observés par lui et par Mihalkowicz sur la portion céphalique de la notochorde, renflements qui répondent, dans le rachis, aux intervalles compris entre deux vertèbres voisines et qui, dans le crâne, représentent par analogie un commencement de métamérisation.

Le deuxième fait est l’existence, à la base du crâne, de deux ou trois disques intervertébraux, visibles seulement pendant la vie fœtale, qui se trouvent situés, le premier entre l’apophyse odontoïde et l’apophyse basilaire et le corps du sphénoïde postérieur et celui du sphénoïde antérieur. Ces disques fibreux répondent, suivant la règle, aux renflements précités de la corde dorsale.

 7 - Conclusions [3]

Que conclure de ces faits ? Que la vérité n’est pas dans les extrêmes et qu’il faut considérer, comme également inexactes, la théorie qui rejette toute analogie entre le crâne et la colonne vertébrale et la théorie inverse qui ne voit dans la boite crânienne qu’une série de vertèbres, en tout analogues aux vertèbres ordinaires et modifiées par suite de leur adaptation à un rôle nouveau. II faut ici, comme sur bien d’autres points controversés, savoir faire l’éclectisme.

J’attache, pour ma part, une grande valeur à la corde dorsale et je divise, à cet égard, la boite crânienne en deux portions : une portion postérieure, renfermant encore la corde, c’est la portion cordale ; une deuxième portion, dépourvue de corde, c’est la portion acordale ou précordiale.

La portion cordale, en dépit des objections formulées ci-dessus, est manifestement constituée par une série de vertèbres, que l’on peut évaluer à deux ou plutôt à trois, depuis qu’Albrecht a découvert dans l’apophyse basilaire l’existence de deux pièces osseuses, ayant chacune la valeur d’un centrum (voir Occipital). Ces trois vertèbres ont pour corps ou centrum :

la première, la partie postérieure de l’apophyse basilaire ou basi-occipital ;
la seconde, la partie antérieure de cette même apophyse basilaire ou os basiotique d’Albrecht ;
la troisième, le corps du sphénoïde postérieur ou basi-postsphénoïde.

Quant à la portion précordiale du crâne, il convient pour l’instant (des recherches ultérieures pourront modifier cette opinion) de ne pas y chercher des équivalents de vertèbres et de l’interpréter, avec Mihalkowicz et Kölliker, comme le ’produit d’une prolifération du segment plus antérieur du rudiment crânien primitif. Elle provient, du reste, du même blastème que la portion cordale et se comporte de la même façon que cette dernière dans son rôle d’organe protecteur des centres encéphaliques.

 8. Notes

L’édition du Testut de 1928, revue, corrigée et augmentée par A. Latarjet, professeur à la faculté de médecine de Lyon, apporte d’autres arguments à ces objections que nous reproduisons ci-dessous :

[1] 5 - Objections à la théorie vertébrale du crâne. Théorie segmentaire du crâne.

La théorie émise par Oken et Gœthe fut longtemps admise, mais bientôt discutée. Elle eut l’avantage de susciter de nombreuses recherches et de substituer à une vue de l’esprit la connaissance de plus en plus précise de l’origine de l’extrémité céphalique des vertébrées ou céphalo-génèse.

Huxley, le premier, dans ses éléments d’Anatomie comparée, produisit des objections de grande valeur empruntées à l’Embryologie, qu’on peut ainsi résumer :

a) - Le squelette de la tête comprend des os qui ne se développent pas de la même façon : les uns, primaires, se développent dans le crâne primordial cartilagineux ; les autres, secondaires, sont des os de revêtement.

b) - Le cerveau est logé primitivement chez les vertébrés inférieurs à l’intérieur d’une capsule cartilagineuse non segmentée et il conclut : Il n’est pas possible de considérer un seul os du crâne comme provenant de la transformation d’une vertèbre. Le crâne ne représente pas plus une colonne vertébrale modifiée que la colonne vertébrale, un crâne transformé. Enfin, le squelette de la tête et la colonne vertébrale constituent plutôt des modifications différentes d’une seule et même formation.

Gegenbaur édifia à peu prés en même temps ce que l’on peut appeler la théorie segmentaire du crâne. Il trouvait une preuve de cette segmentation, tout d’abord dans les arcs viscéraux (arcs branchiaux) qui pour lui répondaient aux côtes et représentaient par conséquent les arcs inférieurs des segments vertébraux dont les centres et arcs supérieurs doivent être cherchés dans le crâne. A juste titre il distingue dans celui-ci deux parties, l’une qui renferme le segment antérieur de la corde dorsale, l’autre située en avant de la corde (voy. Développement). Il identifie la partie cordale à une formation vertébrale car les nerfs crâniens ont dans son étendue un dispositif semblable à celui des nerfs spinaux. Gegenbaur estime qu’ils sont au nombre de neuf paires : le vague avec ses racines ventrales (Sélaciens) représente cinq paires spinales, le glosso-pharyngien et l’acoustico-facial répondent chacun à une paire, le trijumeau et les nerfs moteurs de l’œil à deux paires. La portion antérieure ou précordiale ne renferme que deux nerfs, l’olfactif et l’optique qui n’ont aucun rapport avec les nerfs spinaux, constituant des parties modifiées du cerveau lui-même. Gegenbaur admet donc logiquement, que le crâne comprend deux parties : l’une postérieure, réellement vertébrale, est caractérisée par la présence de la corde et par des nerfs disposés métamériquement ; l’autre antérieure ou évertébrale que Gegenbaur considère comme une néo-formation, s’est formée par accroissement de la partie postérieure ou vertébrale.

Cette théorie de Gegenbaur a eu le grand mérite de faire appel aux nerfs, éléments beaucoup plus primitifs et beaucoup plus stables au point de vue métamérique que les pièces osseuses, éléments qui apparaissent tardivement et que des conditions mécaniques secondaires peuvent transformer du tout au tout.

[2] 6 - Le développement des segments primordiaux de la tête et des nerfs crâniens et la théorie segmentaire du crâne.

L’Embryologie apporta après les travaux de Gegenbaur une contribution importante à la solution du problème de la céphalo-génèse. Balfour découvrit en effet la présence de segments primordiaux ou somites au niveau de la tête comme il en existe au niveau du tronc. Ces recherches reprises et développées par Van Wijhe et Froriep surtout, puis, plus récemment encore, par, Furbringer, Brachet, etc., donnent, pour la solution du problème, des renseignements extrêmement précieux. Des recherches de ces auteurs sur la segmentation du mésoblaste céphalique et sur les nerfs crâniens étudiée surtout chez les vertébrés inférieurs, il résulte qu’on peut distinguer avec Brachet trois régions dans l’extrémité céphalique : une région antérieure, une région moyenne et une région postérieure ou occipitale

a. La région antérieure possède trois somites qui sont de véritables entités et qui sont suffisamment constantes pour qu’on puisse les considérer comme des métamères de la tête.

Ces trois premiers segments sont appelés prémandibulaire, mandibulaire et hyoïdien.

Du prémandibulaire naissent les muscles de l’œil innervés par le nerf oculomoteur commun (droit interne, droit inférieur, droit supérieur et petit oblique) ;

du mandibulaire sort le grand oblique innervé par le nerf pathétique ;
enfin le somite dit hyoïdien fournit le droit externe dont le nerf est l’oculomoteur externe.

Le second somite mandibulaire répond au premier arc branchial ou arc mandibulaire dont les muscles (muscles de la mastication) sont innervés par le nerf trijumeau.

Le troisième somite ou hyoïdien répond à l’arc hyoïdien dont la musculature est innervée par le facial, et dont la muqueuse relève du glosso-pharyngien.

b. La région moyenne de la tête se trouve en regard de la plaque auditive. Elle ne se métamérise que transitoirement et seulement dans les groupes inférieurs. Les somites transitoires qu’on y trouve sont au nombre de trois (somites IV, V, VI) ; ils ne donnent naissance à aucun muscle, et ils se transforment tout entiers en mésenchyme. Le dernier de ces trois somites transitoires, c’est-à-dire le sixième, est en regard de l’extrémité postérieure de-la crête ganglionnaire du nerf vague. Ce point répond à la région où la portion évertébrale de Gegenbaur se continue avec la région cordale ou vertébrale (fig. 207 et 208). Les six somites dont nous venons de parler répondent également à la région que Furbringer a appelé paléocrâne, c’est-à-dire, le crâne le plus ancien, délimité par un plan passant en arrière du vague.

c. La région postérieure de la tête comprend en général trois somites, (VII, VIII, IX) cette région porte aussi le nom de région occipitale ou encore néocrâne (Furbringer). Les trois somites n’appartiennent pas à la tête primitive mais au tronc. La région occipitale « n’est qu’une partie du tronc absorbée par la tête » (Brachet).

Les trois somites qui la constituent se comportent d’ailleurs comme ceux du tronc. La musculature de la langue se rattache à leur développement et les filets moteurs qui l’innervent viennent du nerf hypoglosse constitué par les racines ventrales appartenant aux somites VII, VIII, IX. Cette occipitalisation se caractérise au point de vue nerveux de la façon suivante : le nerf perd tort d’abord sa racine dorsale (sensitive) et si le myotome (muscles dérivant du somite) disparaît, la racine ventrale (motrice) disparaît aussi. Chez les mammifères, les trois racines ventrales des somites VII, VIII, IX constituent l’hypoglosse, mais les racines dorsales ont disparu, cependant on peut en trouver une par anomalie chez l’adulte (racine sensitive de l’hypoglosse). Cette incorporation de plusieurs somites du tronc à la tête n’est plus niée aujourd’hui (fig. 207). Nous pouvons donc conclure que la tête est bien formée de deux parties distinctes, l’une céphalique proprement dite (région antérieure et moyenne) et l’autre postérieure, occipitale appartenant au tronc mais englobée précocement par la tête. Nous constatons une segmentation céphalique évidente ; mais cette segmentation du mésoplaste primitif n’entraîne pas forcément la segmentation du squelette. Nous l’avons déjà dit à propos de la colonne vertébrale, la segmentation de celle-ci est un phénomène secondaire.

[3] Conclusions

En conclusion nous pouvons dire que la théorie vertébrale du crâne, telle qu’elle a été énoncée pour la première fois par Oken, ne peut plus être retenue. Nous ne pouvons parler aujourd’hui avec les anatomistes modernes que d’une théorie segmentaire du crâne : les segments, comme le dit Vialleton, sont des éléments fondamentaux de la structure qui peuvent se retrouver dans la région céphalique comme ailleurs ; mais segment ne veut pas dire vertèbre.

Nous estimons que le développement considérable de l’encéphale, sans parler du développement des arcs branchiaux, ni de l’importance des organes des sens supérieurs, ont modifié considérablement le mode et le rythme du développement de la tête en comparaison avec celui du reste du corps. Chez les vertébrés supérieurs, l’encéphale a incorporé la partie supérieure de la moelle pour l’adapter à de nouvelles destinées. Ce phénomène est à l’origine de l’occipitalisation crânienne. Le développement squelettique, toujours tardif, s’est adapté à ces adaptations nouvelles : on retrouve, et ceci seulement à la partie postérieure de la base du crâne, le souvenir de cette conquête de la tête primitive sur le tronc. Si on peut encore parler par analogie de la vertèbre occipitale, il n’est plus possible d’admettre la moindre ressemblance entre les autres parties du squelette crânien et les différentes pièces d’une vertèbre. La théorie vertébrale du crâne a vécu./tabs

Le site de l’Ostéopathie remercie particulièrement la revue OSTÉO, la revue des Ostéopathes, de l’avoir autorisé à publier cet article
1re pubication : Site de l’Ostéopathie le 10 décembre 2008



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