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Bernard Barillon, paroles d’anciens

Propos recueillis par François Bel D0. MRO(F)
 
Créé le : mercredi 16 janvier 2019 par A.O., François Bel

Dernière modificaton le : mercredi 16 janvier 2019
ApoStill n° 6 – Mars 2000

Bernard Barillon
Bernard Barillon, D0. MRO(F) est l’un des pionniers de l’ostéopathie française. Il commence l’étude de l’ostéopathie avec Paul Gény à la fin des années 50, puis reçoit l’enseignement de Denis Brookes. C’est grâce à l’entremise de ce dernier qu’un groupe d’ostéopathes français accueille en 1964 les ostéopathes américains Harold L Magoun, Viola Frymann, Tom Schooley, tous élèves directs de Sutherland. Ils furent les premiers ostéopathes américains à accepter d’enseigner l’ostéopathie crânienne hors des frontières américaines et à des non-médecins. Il a ensuite enseigné l’ostéopathie crânienne au collège IWGS et a participé à la fondation du Groupe de recherche en ostéopathie crânienne (GROC) et de l’Académie d’ostéopathie crânienne (AOC). Pour Le journal de l’Académie, il a accepté de répondre aux questions de notre confrère François Bel.

Bernard Barillon (1920-2012)

François Bel : Monsieur Barillon, merci d’avoir accepté de nous parler de votre parcours en ostéopathie.
Bernard Barillon : Je n’aime pas beaucoup parler de moi, et si j’ai accepté de répondre à cette interview, c’est surtout pour faire connaître aux jeunes générations d’ostéopathes les débuts de cette discipline en France. Je ne sais pas si cela est un avantage, mais j’ai connu les tout débuts de l’ostéopathie en France puisque j’ai été diplômé en 1960. D’ailleurs mon parcours ressemble à celui de Francis Peyralade (voir interview revue ApoStill n° 3, mars 1999), puisque nous nous sommes côtoyés pendant quelque temps au cours des premières années. Comme lui, mais un peu plus tôt, j’ai été formé en kinésithérapie chez Paul Gény. C’était en 1956. C’est pendant cette formation que nous avons contracté le virus de l’ostéopathie. Lorsque Mr Gény a ouvert son école d’ostéopathie en 1957, j’ai tout de suite commencé sa formation.
Cette école fut la première en France et Thomas Dummer y a enseigné avant de devenir directeur de Maidstone en Angleterre. Très tôt Paul Gény a rencontré des difficultés avec l’ordre des médecins, ce qui l’a conduit à transférer son école à Londres. Puis, quelques années plus tard, les deux hommes se sont brouillés et Tom Dummer s’est retiré pour créer l’école de Maidstone.

Photo prise par G. Moll, DO. MRO(F) à Bordeaux lors du séminaire « Paroles d’anciens » organisé par EROP - Études et recherches en ostéopathie pluridimensionnelle -, en janvier 2000.

F. B. : C’est donc à cette époque que vous avez connu Francis Peyralade ?
B.B. : Oui et non. En fait, j’étais juste quelques années avant lui, mais nous nous sommes rencontrés aux conférences organisées par une petite société que nous avions créée. Cette petite association, la Société de recherche ostéopathique (SRO) était un peu l’équivalent de l’Académie d’ostéopathie.
À cette époque, nous en étions vraiment aux balbutiements, un peu limités même par rapport à nos collègues anglais qui avaient commencé longtemps avant nous, la British School of Osteopathy (BSO) ayant été fondée par John Martin Littlejohn en 1917. Les Anglais pratiquaient une certaine ostéopathie, un peu différente de l’ostéopathie de Still. Je crois que cette différence existe toujours. Littlejohn a été professeur à Kirksville mais, à la suite de différends, s’est rapidement séparé du fondateur. Après quelques années Littlejohn est revenu en Angleterre pour créer la BSO, dont l’enseignement différait de celui de Kirksville.
F.B. : C’est-à-dire ?
B.B. Je ne sais pas précisément ce qui a séparé ces deux hommes, je crois que Still voyait les choses sous un angle anatomique, alors que Littlejohn considérait plus l’aspect physiologique. De plus, ils avaient l’un et l’autre une rigidité d’esprit qui ne facilitait pas la cohabitation.
F.B. : Êtes-vous déjà allé aux États-Unis ?
B.B. : Bien sûr, j’ai traversé une vingtaine de fois l’Atlantique. De là-bas, j’ai rapporté pas mal de documents.
Je suis allé à Kirksville pour voir l’endroit où tout a commencé, je suis également allé me recueillir sur la tombe de Still. Enfin, j’ai rencontré des ostéopathes américains, en particulier ceux qui avaient connu Sutherland et avaient été formés par lui.
Lorsque l’école de Paul Gény fut transférée à Londres, nous avons constitué un groupe de cinq personnes dont Francis Peyralade, et avons étudié en France, avec l’aide de Denis Brooks qui était enseignant en Angleterre. Il nous a apporté des choses complémentaires à nos études avec Paul Gény, en particulier des techniques de Mitchell. Avec lui, nous avons pu participer au premier stage de crânien en Europe, donné à Paris en 1964 par Harold Magoun, Viola Frymann et Tom Schooley. Ils sont revenus plusieurs fois, ce qui nous a permis de recevoir une bonne formation complémentaire dans ce domaine. Cela m’a vraiment « mis le pied à l’étrier » de l’ostéopathie crânienne. À la suite de cela, nous avons pu devenir membres de la Cranial Academy et c’est en tant que membre de cette association que j’ai pu suivre d’autres séminaires aux États-Unis.
F.B. : Là-bas, vous avez rencontré des ostéopathes éminents comme Rollin Becker, Robert Fulford et bien d’autres, que pensez-vous de ces rencontres ?
B.B. : Je pense que chacun d’eux a une approche personnelle de l’ostéopathie mais qu’ils restent d’accord sur les principes fondamentaux. D’ailleurs, en 1997, lorsque je suis allé à Chicago pour les cinquante ans de la Cranial Academy, j’ai rencontré pour la dernière fois Robert Fulford. Il est en effet décédé quelques jours après. Mais il était complètement différent, utilisant l’énergie des cristaux et d’autres choses. Pour moi, il s’agit d’une déviation, ce n’est plus vraiment de l’ostéopathie. Viola Frymann, en revanche, demeure très proche de la lignée ostéopathique, elle n’a pas perdu de vue le concept.
J’ai lu beaucoup de textes de Becker, mais il est parfois difficile à saisir, je trouve son propos complexe, chez lui je pense que ça tourne un peu au spiritualisme : je me demande si ce n’est pas une tendance aujourd’hui.
F.B. : Viola Frymann développe également une conception très spirituelle, ne pensez-vous pas ?
B.B. : Oui bien sûr, mais c’est différent, elle est très religieuse, très croyante. D’ailleurs, beaucoup à la Cranial Academy sont comme cela. J’ai assisté à des réunions où l’on commençait par la prière. Au début cela surprend, mais il faut les prendre comme ils sont.
F.B. : Monsieur Barillon, quel a été votre parcours avant de devenir ostéopathe ?
B.B. : Je suis fils d’ouvrier, mon père était menuisier. Je suis né au Mans en 1920, puis mes parents sont revenus à Chartres - leur région d’origine - et je suis toujours resté dans cette région.
Mon enfance s’est passée de façon ordinaire, il n’y a pas eu de choses exceptionnelles. Et après des études au lycée de Chartres, mes parents n’étant pas très riches, j’ai commencé à travailler. Tout d’abord, j’ai fait un travail de bureau, puis j’ai trouvé un travail me convenant mieux dans un atelier d’art où je faisais des vitraux. Pendant sept ans, j’ai pratiqué cette activité, puis le travail dans le vitrail a diminué parce que ce qui avait été détruit par la guerre était en grande partie restauré. Il y avait également beaucoup d’ateliers concurrents qui se montaient. J’ai pourtant pensé monter moi aussi mon atelier, mais devant la tournure des événements, j’ai hésité, pour finalement renoncer. Je pense avoir bien fait puisque j’ai des copains qui se sont lancés mais qui ont eu du mal à faire face.
À cette période, j’ai commencé à avoir des problèmes de santé, des douleurs rhumatismales. Les traitements que je recevais étaient inopérants, j’ai même fait deux mois d’hôpital sans résultat, excepté la perte de 19 kilos. Donc, j’ai voulu un peu comprendre et m’intéresser à mon propre sort. N’ayant pas les moyens d’engager des études de médecine, je me suis lancé dans la kinésithérapie. J’ai choisi l’école de Paul Gény parce qu’il y avait des cours du soir, ce qui me permettait de continuer à travailler dans la journée.
C’est donc là que j’ai découvert l’ostéopathie. Pendant quelques années j’ai tenu un cabinet de kinésithérapie à Chartres, l’ostéopathie était à l’époque méconnue. Mais nous incorporions de plus en plus d’ostéopathie dans nos traitements, jusqu’à ne faire plus que de l’ostéopathie.
F.B. : Qu’est-ce qui vous a amené à devenir ostéopathe ?
B.B. : L’ostéopathie que nous a fait connaître Paul Gény nous a passionné. Je voulais toujours en savoir plus que ce que nous recevions en kinésithérapie. Je voulais chercher plus loin. Et aujourd’hui encore je continue à chercher.
F.B. : Qu’est-ce que vous continuez à chercher ?
B.B. : Je cherche à comprendre et à approfondir, j’ai traduit beaucoup de textes américains pour essayer d’aller au fond des choses. J’aime surtout traduire les textes écrits par les anciens élèves de Still afin de mieux appréhender le personnage.
F.B. : Avez-vous participé également à la création et à l’organisation des structures ostéopathiques françaises qui régissent aujourd’hui notre profession ?
B.B. : En 1975, lors d’une conférence organisée à Orléans, je retrouve Jean Josse, un de mes anciens collègues à l’école de Gény. Il me dit qu’il est train de monter un collège d’ostéopathie, l’INTM (Institut national de thérapie manuelle) qui deviendra par la suite IWGS (Institut William Garner Sutherland) et me demande de venir donner des cours d’ostéopathie crânienne. C’est comme cela que j’ai vraiment commencé à enseigner. Je faisais déjà un peu de formation avec le groupe d’ostéopathes qui avaient participé aux stages de Magoun : Francis Peyralade, René Quéguiner, et les deux médecins indochinois les Drs Lung et Mau. Sur les conseils de Harold Magoun, nous avions créé un petit groupe de formation l’Association d’études et de recherches sur les techniques kinésithérapiques (AERTK).
Ainsi, lorsque Jean Josse m’a proposé d’enseigner j’ai beaucoup hésité car je ne voulais pas trop me disperser en travaillant à deux endroits à la fois et, de plus, je me posais encore trop de questions. Mais finalement, j’ai accepté de participer à la formation d’IWGS et j’y ai enseigné jusqu’en 1983. À cette date, je suis parti car je me trouvais en désaccord avec certaines choses qui me paraissaient importantes : j’ai toujours essayé de préserver le concept parce que je pense que si nous ne respectons plus les principes fondamentaux, nous ne faisons plus d’ostéopathie. C’est ce concept qui fait l’originalité et la valeur de l’ostéopathie.
F.B. : Que veut dire selon vous respecter le concept ?
B.B. : Eh bien, le concept repose sur les trois grands principes de l’ostéopathie : l’unité du corps, la capacité d’autorégulation et la relation mutuelle de la structure et de la fonction. Ce n’est qu’en respectant ces principes que l’on pratique vraiment l’ostéopathie. Sinon, on sort du domaine ostéopathique pour faire d’autres choses : de la thérapie manuelle, de la vertébrothérapie, de la fasciathérapie, etc.
F.B. : Avez-vous participé à la création et à l’organisation d’autres structures ostéopathiques ?
B.B. : En 1976, j’ai créé le GROC (Groupe de recherche en ostéopathie crânienne) pour procéder à une étude approfondie du concept crânien et de ses applications. De nombreux élèves venant de différentes écoles ont suivi mon enseignement. Puis en 1980, j’ai créé l’Académie d’ostéopathie crânienne (AOC). À cette époque, se créaient en France de nombreux collèges d’ostéopathie et tout le monde enseignait l’ostéopathie crânienne. Mais beaucoup l’enseignaient sans en connaître réellement les fondements. D’après les échos qui me parvenaient, il y avait beaucoup trop d’interprétations personnelles qui finalement dénaturaient le concept de Sutherland. Par exemple, dans certains collèges, que je ne citerais pas, on enseignait que le rythme crânien était établi en faisant la moyenne du rythme des quatre cadrans du crâne, ou d’autres choses tout aussi aberrantes.
Alors, pour qu’elle serve de référence à l’enseignement du crânien, avec des élèves d’IWGS, j’ai créé cette structure. Mais cette académie n’était pas réservée à ce collège, elle se voulait un lieu d’échange et de rencontres pour tous sur le sujet.
F. B. : Cette académie a-t-elle duré longtemps ?
B.B. : Elle a duré plus d’une dizaine d’années. Au bout d’un moment, j’ai donné ma démission car nous avions des difficultés de fonctionnement et les gens qui venaient là souhaitaient surtout recevoir des cours. Il n’y avait donc pas réellement d’échange. Par la suite, c’est Gérard Montet qui a repris et il me semble qu’en 1997, l’Académie d’ostéopathie crânienne s’est fondue dans l’Académie d’ostéopathie de France.
F. B. :L’organisation de l’ostéopathie française, dans ses différentes structures d’organisations professionnelles (ROF, UFOF, AFDO, etc.), répond-elle à vos espérances d’hier ?
B.B. : Je ne me suis jamais vraiment investi dans l’organisation de ces structures « politiques » car ce qui m’intéressait le plus c’était l’aspect technique et l’enseignement. Je me suis toutefois inscrit au Registre assez tôt. Par rapport à ce qui se passe aujourd’hui, je ne peux guère m’exprimer car je n’ai plus beaucoup de contacts avec ce milieu. Je vois bien que l’ostéopathie prend de l’expansion, qu’elle se développe, mais va-t-elle vraiment dans le bon sens ? Est-elle toujours respectueuse de l’enseignement de Still ? C’est difficile à dire quand on a peu de contacts avec les étudiants et les milieux ostéopathiques.
F. B. : Pour la première fois en France, l’ Académie d’ostéopathie vient de traduire et de publier l’Autobiographie de Still et Philosophie de l’ostéopathie. Qu’en pensez-vous ?
B.B. : Les traductions de ces livres sont vraiment importantes et j’ai même écrit à Pierre Tricot pour le féliciter de son travail.
F.B. : Pensez-vous que la philosophie du fondateur et les concepts sont bien compris aujourd’hui ?
B.B. : Je pense que les concepts demeurent toujours valables, il n’y a pas de doute que la structure gouverne toujours la fonction. Le coup de génie de Still est vraiment d’avoir compris l’importance de la structure et de travailler pour développer cette idée. Il a peut-être été aidé dans ce sens par le fait que la médecine de son époque n’avait pas beaucoup de résultats et que dans certains États des États-Unis, beaucoup de gens étaient traités par des rebouteux. À une époque, Still lui-même a travaillé comme rebouteux. Je me souviens avoir vu, au Musée de l’ostéopathie de Kirksville, une carte de visite mentionnant : « Doctor Still, Bonesetter » (rebouteux). Je pense d’ailleurs qu’au départ il pensait vraiment qu’il s’agissait de déplacements d’os, mais aujourd’hui on ne peut plus penser cela. Ce ne sont pas les os qui posent problème. Ce sont les tissus mous, les fascias qui entourent les os et les différentes structures molles qui sont à la source des difficultés.
Par rapport à votre question, j’ai un peu de mal à répondre car j’ai peu de contacts avec les étudiants en ostéopathie. Je suis tout de même invité chaque années aux examens du Collège ostéopathique Sutherland (COS). Je pense que l’on y est proche de la philosophie ostéopathique de Still.
Je suis allé récemment en Suisse et en Belgique, donner un cours sur les techniques fonctionnelles. Je ressens que le courant passe aussi pas mal avec eux. J’ai revu en Belgique Anthony Chila, un éminent ostéopathe américain que je connais bien, je suis déjà allé chez lui dans l’Ohio.
F. B. : Aux États-Unis, pays du fondateur, l’ostéopathie a quelque peu perdu ses principes philosophiques et techniques pour devenir plus médicale, ne craignez-vous pas qu’il arrive la même chose ici ?
B.B. : Il est vrai que c’est un risque si l’ostéopathie est réservée aux médecins, mais si nous continuons d’enseigner en dehors des écoles de médecine, je pense que nous resterons dans la bonne lignée. Aux États-Unis, cette situation résulte du fait que de nombreuses personnes désirent faire de la médecine mais ne trouvent pas de place dans les écoles de médecine, alors elles s’orientent vers l’ostéopathie, parce que les diplômes sont équivalents. Cependant, elles n’ont pas l’intention de la pratiquer. Il y en a peut-être également qui au départ désirent réellement pratiquer l’ostéopathie mais qui se rendent compte qu’il est plus facile de prescrire que de travailler avec ses mains pour attendre la réponse des tissus. Car il faut parfois passer beaucoup de temps sur un même patient, il m’arrive de travailler pendant une heure avec un patient.
F.B. : Votre pratique est donc plutôt d’orientation fasciale et fonctionnelle que structurelle ?
B.B. : Oui, plutôt, même s’il m’arrive de pratiquer des techniques structurelles quand je sens un blocage cervical ou lombaire. Mais je ne le fais qu’après avoir travaillé les tissus et assez rarement.
F.B. : Depuis Still, différents courants ont fait évoluer l’ostéopathie : le crânien, le viscéral, le somato-émotionnel, etc. Que pensez-vous de cela ?
B.B.  : Pour moi, ce ne sont que des mots car il y a l’ostéopathie et c’est tout, il n’est pas nécessaire de la diviser en viscéral, en vertébral, en crânien, en somato-émotionnel, etc., l’ostéopathie est une et indivisible. L’homme est une globalité et il faut l’aborder dans sa globalité. Même une personne qui souffre de migraines ne sera pas forcément soulagée en travaillant sur le crâne. Le problème peut bien avoir d’autres origines.
F.B. : Mais les concepts développés par Sutherland vous semblent-ils différents de ceux développés par Still ?
B.B. : Je ne pense pas, je crois que Sutherland a été tout à fait fidèle à Still, d’ailleurs il le dit lui-même dans certaines de ses conférences. Enfin, Still pratiquait déjà des techniques fonctionnelles, notamment vers la fin de sa vie. Sutherland dit d’ailleurs que Still avait déjà l’idée du concept crânien.
F B. : Après des années d’expériences, qu’est-ce qui vous semble essentiel en ostéopathie ?
B.B.  : La compréhension et le respect du concept ostéopathique. Et « faire ce que le corps demande », comme disait A. T. Still. Je crois que cela résume toute l’ostéopathie.
F B. : Quelle qualité vous semble importante pour être un bon ostéopathe ?
B.B. : L’écoute. Aussi bien avec les oreilles qu’avec les mains. Il y a également l’observation mais cela fait partie de l’écoute. Il faut bien se mettre dans la tête qu’en ostéopathie on ne soigne pas des maladies mais des individus. Donc qu’il n’y a pas de recette.
Pour être un bon soignant, il faut aimer les gens et le contact, avoir envie de leur apporter quelque chose et de les soulager.
F.B. : En quoi l’approche de l’ostéopathe vous semble-telle différente de celle d’un autre thérapeute ?
B.B.  : L’approche du médecin est plus technique car il doit poser un diagnostic, mettre un nom sur un problème et soigner par rapport à cela, alors que l’ostéopathe raisonne plutôt en mécanicien : Pourquoi ça ne marche pas par ici ? Où cela résiste ? Qu’est-ce qui passe par là ? Quelles sont l’alimentation sanguine et l’innervation de la zone ? Et pour cela, il m’arrive souvent de me replonger dans des livres pour comprendre l’anatomie et la physiologie. Encore une fois Still disait, et je suis tout à fait en accord avec lui, que « l’ostéopathie c’est d’abord de l’anatomie, ensuite de l’anatomie et toujours de l’anatomie » . J’ajouterai également la physiologie pour comprendre comment cela fonctionne.
Finalement, l’ostéopathie me semble quelque chose de simple. Ce qui est compliqué, c’est le corps humain car chaque corps a son mode de fonctionnement. « Il faut connaître le normal pour approcher l’anormal », nous disait Still. D’ailleurs tout ce que nous disons, nous le retrouvons dans les écrits d’Andrew Taylor Still.
F.B. : Vous semble-t-il important qu’il soit aujourd’hui étudié par les ostéopathes ?
B.B. : Effectivement, et c’est pourquoi je me suis permis d’écrire à Pierre Tricot pour le féliciter d’avoir traduit Still, cela va permettre de le mettre à la portée du plus grand nombre. Car même en anglais, pour ceux qui savent le lire, il faut relire les écrits de Still plusieurs fois, dix fois, vingt fois, chaque lecture apportant de nouvelles visions. C’est comme la Bible, il faut savoir lire entre les lignes.
F.B. : Les livres de Sutherland n’ont pas encore été traduits ?
B.B. : En effet, et en accord avec Pierre Tricot je me charge de traduire Teaching in the Science of Osteopathy. D’ailleurs, le travail est déjà bien avancé puisque j’avais déjà traduit des passages pour mon usage personnel.
F .B. : Vous continuez donc à creuser en ostéopathie. C’est le Dig On (Continuer à creuser en anglais, D0.) de Sutherland que vous mettez en pratique ?
B.B.  : Ah oui ! Tu sais pourquoi ce Dig On ? C’est l’histoire du champ de patates que le jeune Sutherland, dans son enfance, devait toujours creuser afin de trouver de nouvelles pommes de terre.
F .B. : Nous avons évoqué votre parcours ostéopathique dans l’enseignement et dans votre cabinet, mais avez-vous eu d’autres expériences ostéopathiques ?
B.B. : Quand j’ai pris ma retraite en 1985, j’ai tenté quelque chose que je n’ai pas vraiment réussi. Je voulais profiter de mon temps libre pour approfondir un certain nombre de questions. Il existe à Chartres, comme dans bien d’autres villes, un service de psychiatrie infantile.
Je pensais et je pense encore que les enfants avec des problèmes psychiatriques devaient avoir des problèmes crâniens importants. Je voulais donc m’en assurer et mener une étude sur le sujet. Je cherchais donc un médecin avec qui collaborer pour examiner un grand nombre d’enfants, les traiter régulièrement - gracieusement afin de recueillir les informations sur la question. Je suis donc allé trouver le médecin responsable du service de psychiatrie infantile, je lui ai expliqué mon projet. Il ne comprenait rien à l’ostéopathie, je lui ai donné des documents, qu’il n’a sans doute jamais lus. Comme j’ai insisté plusieurs fois il m’a confié à son assistant qui n’était pas plus intéressé par ma recherche. Finalement, on m’a tout de même confié une gamine, parce que la mère était une ancienne patiente que j’avais traitée en cabinet. C’est elle qui a demandé à ce que sa fille soit suivie par mes soins. J’ai traité cette jeune fille, autiste, une année durant. Je pensais bien que les observations sur un seul enfant n’étaient pas suffisantes pour mon étude. Toutefois, cette jeune fille a fait de grands progrès, petit à petit elle est devenue de plus en plus communicante et, au bout d’un an, le médecin qui la suivait a dit : « Oui, c’est vrai qu’elle a fait des progrès, mais c’est peut-être les médicaments ! D’ailleurs on va arrêter car cela dérange le service. »
F.B. : Si vous êtes intéressé à creuser cette question, je vous invite à vous joindre aux associations « Enfant handicapé, espoir ostéopathique » où des ostéopathes traitent gracieusement des enfants handicapés. Il en existe un peu partout en France et il y en a une pas trop loin de chez vous, aux Mureaux dans les Yvelines.
B.B. : Pourquoi pas, il faudra que vous me donniez les coordonnées.

Photo de G. Moll prise lors du séminaire « Paroles d’anciens » en janvier 2000.

F.B. : Avez-vous fait d’autres choses de ce type, d’autres tentatives d’études qui ont pu aboutir ?
B.B. : Après cela j’ai pris ma retraite et j’ai été appelé à donner encore des cours sur le crânien. Surtout à l’étranger d’ailleurs.
À un moment, j’ai rencontré un médecin belge intéressé par l’ostéopathie, j’ai donc mené avec lui une étude sur la technique du quatrième ventricule. Nous avons mis sur pied un protocole d’étude avec une prise de sang avant et une autre après réalisation de la technique, et nous avons observé les différentes modifications des constituants sanguins. Nous avons obtenu des résultats assez intéressants montrant que notre technique apportait des changements non négligeables.
F.B. : Quel est le meilleur souvenir de votre vie d’ostéopathe ?
B.B. : Oh ! je ne sais pas, il y en a beaucoup ! Mais ce que je peux dire c’est que l’ostéopathie a donné un sens à ma vie. Un de mes regrets, c’est peut-être de voir que mon fils n’a pas suivi dans l’ostéopathie bien qu’il me dise ne pas être insensible à ce sujet, mais maintenant il est parti sur une autre voie.
F.B. : Merci d’avoir bien voulu répondre à toutes ces questions.

Extrait de ApoStill n° 6 – Mars 2000 - Le journal de l’Académie d’Ostéopathie - www.academie-osteopathie.fr
Nous remercions le Président de l’Académie d’Ostéopathie de nous avoir autorisé à publier cette interview.
Article paru sur le Site de l’Ostéopathie le 27-01-2012



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