Pathologie des sterno-claviculaires
bien d’autres étiologies que les SAPHO
J.-M. BERTHELOT, Service de rhumatologie, CHU de Nantes
La pathologie des sterno-claviculaires est mieux connue des rhumatologues depuis la description des syndromes SAPHO. L’atteinte élective de cette articulation est en effet une des originalités de cette entité. La popularité ainsi acquise a toutefois peut-être laissé dans les mémoires le sentiment qu’une atteinte des sterno-claviculaires devait être considérée comme un argument décisif pour évoquer le diagnostic de spondylarthropathie au sens large. En fait, bien d’autres étiologies sont à évoquer devant un gonflement des sterno-claviculaires : tumorales, inflammatoires, traumatiques et dégénératives-métaboliques. Il faut également faire la part des variantes anatomiques ou radiologiques qui peuvent en imposer pour des aspects pathologiques.
Anatomie de l’articulation sterno-claviculaire
L’articulation sterno-claviculaire peut être vue comme la somme de deux articulations. Bien que ces deux articulations soient en continuité, et qu’elles aient en commun, d’une part, un ménisque et, d’autre part, une enveloppe ligamentaire, on peut distinguer au sein de la sternoclaviculaire (figure 1) :
– une partie haute, entre la partie haute de la clavicule et la partie haute du sternum, dont le cartilage est plutôt fibreux (fibrocartilage), comme celui des sacroiliaques sur le versant iliaque. La présence d’un fibrocartilage s’explique sans doute par le fait que la fonction de ce segment est surtout d’endurer les contraintes de compression/distraction, tout en tolérant les mouvements d’antépulsion et de rétropulsion de la clavicule ;
– une partie basse, dont le cartilage est plutôt hyalin, entre la base de la clavicule et, d’une part, la partie haute du manubrium et, d’autre part, la partie supérieure de l’extrémité de la première côte. Le caractère plus hyalin (glissant mais plus fragile) du cartilage de ce segment s’explique sans doute par le fait que sa fonction est de faciliter les mouvements de rotation/circumduction de la sterno-claviculaire.
Un ménisque est interposé entre l’extrémité interne de la clavicule et le sternum ainsi que la première côte. Le ménisque interposé entre la clavicule, d’une part, et le sternum puis la première côte, d’autre part, est commun à ces deux zones (figure 2), et contribue à la fois à amortir les stress en compression, et à faciliter les mouvements de circumduction, sans mettre trop en tension les deux ligaments qui ceinturent l’ensemble (figure 1) : ligaments sterno-claviculaires et interclaviculaires. On devrait toutefois rajouter à ceux-ci le ligament costo-claviculaire qui solidarise l’extrémité de la clavicule et la première côte.
Un ménisque est interposé entre l’extrémité interne de la clavicule et le sternum ainsi que la première côte.
La première côte vient au contact de la sterno-claviculaire. En effet, l’extrémité de la première côte fait, non seulement anatomiquement, mais sans doute aussi fonctionnellement, partie de la sterno-claviculaire : un contact avec l’extrémité de la première côte peut se faire lors des inspirations profondes, qui pourrait sans doute à la longue faciliter des lésions des cartilages ou des ménisques, notamment quand les ligaments chargés d’éviter les mouvements de trop grande ampleur entre la première côte et la sterno-claviculaire deviennent défaillants (figure 3).
Signes d’appel
Douleur
Les douleurs en provenance de la sterno-claviculaire peuvent être « projetées ». Comme d’autres articulations médianes, en partie fibrocartilagineuses, et peu mobiles (symphyse pubienne, sacro-iliaque), la sterno-claviculaire peut induire des douleurs, non seulement en regard de l’articulation, mais aussi bien à distance.
Des douleurs en regard de la partie médiane de la clavicule, voire rapportées à tort à la gléno-humérale, peuvent provenir de la sterno-claviculaire, et il faut également penser à examiner la sterno-claviculaire en présence d’une souffrance de l’acromio-claviculaire (syndrome des « deux-bouts ») et de certaines souffrances dorsales hautes (Dr Delbarry, Saint-Brieuc) irradiant de manière transfixiante à partir de la sterno-claviculaire, laquelle peut rester peu douloureuse en l’absence d’examen attentif.
Les douleurs en provenance de la sternoclaviculaire peuvent être « projetées ».
Gonflement
Les gonflements de la région ne sont pas tous dus à une atteinte de la sterno-claviculaire. Le caractère souvent peu douloureux au début des pathologies sterno-claviculaires peut faire que certaines lésions ne seront évoquées qu’en présence d’un gonflement de l’articulation. Toutefois, certains gonflements dans cette zone peuvent relever d’autres étiologies : kystes migrés (inflammatoires ou infectieux) (figure 4), pneumatocèle (à ne pas ponctionner !), ou gonflements très volumineux faisant suite à une chirurgie ORL. Il est souvent préférable de ne pas envisager de ponction avant un minimum d’imagerie complémentaire aux clichés standards (échographique, scanner, IRM).
Diagnostic
Pathologie tumorale
Il faut d’abord éliminer les tumeurs malignes, mais aussi bénignes du manubrium et, bien plus rarement, de l’extrémité interne de la clavicule. Les tumeurs les plus fréquemment rencontrées dans le manubrium sont les métastases lytiques et/ou condensantes (sein, prostate), les myélomes et lymphomes, chondrosarcomes, puis les ostéosarcomes, histiocytofibromes, fibrosarcomes, tumeurs d’Ewing, angiosarcomes et réticulosarcomes. Les deux tumeurs bénignes les moins rares dans cette localisation sont les ostéomes ostéoïdes et les dysplasies fibreuses.
Pathologie infectieuse
Il faut ensuite ne pas méconnaître un sepsis. Comme ailleurs, les staphylocoques puis streptocoques sont les germes les plus fréquemment retrouvés. Toutefois, des étiologies plus inhabituelles sont à suspecter : brucellose (autre analogie avec la sacro-iliaque), salmonellose, Candida et autres levures, voire Proprionibacterium acnes et gonocoques. Une étiologie infectieuse est d’autant plus à suspecter chez les patients ayant des abords veineux répétés (toxicomanes) ou durables (pose de cathéthers). L’extension de l’infection aux tissus de voisinage (sein, espace rétrosternal) est possible (figure 5), les médiastinites étant d’un pronostic péjoratif.
Pathologie rhumatismale
Les étiologies rhumatismales ne se limitent pas aux spondylarthrites et au syndrome SAPHO. En effet, les polyarthrites rhumatoïdes et la plupart des maladies de système peuvent, bien que rarement, également affecter la synoviale de la sterno-claviculaire (figure 6).
L’inflammation des sternoclaviculaires ne se résume donc pas à des enthésites, des synovites agressives pouvant se voir. Des destructions à type de chondrolyse et d’érosions peuvent même se développer dans les polyarthrites rhumatoïdes les plus sévères, qui peuvent aussi être notées à la manubrio-sternale (angle de Louis).
Les polyarthrites rhumatoïdes et la plupart des maladies de système peuvent affecter la synoviale de la sterno-claviculaire.
Toutefois, l’atteinte inflammatoire de la sterno-claviculaire doit bien sûr faire évoquer une spondylarthrite quand celle-ci semble prédominer sur les enthèses ceinturant l’articulation, ce qui peut être plus facilement évoqué quand la douleur est reproduite à la percussion de l’extrémité interne de la clavicule, plus qu’à la pression de l’interligne. Lorsque la douleur et/ou le gonflement débordent sur la clavicule ou le sternum, la possibilité d’un SAPHO doit être évoquée. La lecture attentive des scintigraphies permet assez souvent de noter qu’au début les points de fixation concernent aussi, voire surtout l’extrémité de la première côte et/ou les zones d’insertion des ligaments et muscles au-dessus ou en dessous de l’articulation (figure 7).
Au stade où l’ostéite aseptique s’est installée, les atteintes peuvent déborder sur les deux os. La fixation peut, dans les formes les plus complètes, déborder en dehors des pièces osseuses quand une hyperostose suivant le trajet des ligaments vient compléter l’ostéite, ce que le scanner montre alors au mieux (figure 8).
Des pathologies métaboliques ou dégénératives peuvent aussi induire des tableaux de gonflement d’allure inflammatoire des sterno-claviculaires. Il s’agit d’abord des arthroses sterno-claviculaires, qui sont assez fréquentes sur les scanners, mais mal vues sur les clichés standards, et peu douloureuses en général. Elles affectent surtout la partie basse, hyaline, de l’articulation, qui se prolonge sur la face supérieure de la première côte (figure 9).
Il s’agit ensuite des « maladies de Brower » (figure 10), qui ne sont sans doute qu’une forme clinico-radiologique d’arthrose sterno-claviculaire portant aussi sur la portion basse de l’articulation, et qui se manifestent par une condensation douloureuse du coin inférieur de la clavicule.
Peut s’y rajouter avec le temps un équivalent d’ostéophyte. La douleur peut être assez intense et durer des mois, voire des années. Une lésion de la partie basse du ménisque pourrait être un facteur favorisant aux deux phénomènes (douleur et condensation), mais ceci reste à démontrer. Le fibrocartilage méniscal peut se calcifier dans les chondrocalcinoses et entraîner parfois des poussées d’arthrites, comme celui des poignets et des acromioclaviculaires. Des destructions des sterno-claviculaires, du fait de micro-érosions sous-chondrales, peuvent survenir dans les hyperparathyroïdies sévères et prolongées, indépendamment de toute chrondrocalcinose, en particulier dans les insuffisances rénales chroniques. Cet aspect est proche de celui induit à la sacro-iliaque par les hyperparathyroïdies sévères (figure 11).
Les insuffisances rénales chroniques peuvent aussi favoriser des dépôts calciques (calcinose tumorale) en regard ou au sein de la sterno-claviculaire, du fait de l’hyperphosphorémie chronique.
Pathologie traumatique
Enfin, un piège redoutable peut être l’oubli d’une instabilité de l’articulation, surtout s’il s’agit d’une luxation postérieure. En effet, cette dernière (qui se fait vers le haut et l’arrière) peut induire des lésions très graves du médiastin, et n’est pas toujours bien vue sur les seules radiographies (figure 12). En cas d’antécédents de traumatisme, un scanner doit être très vite réalisé pour confirmer le diagnostic (figure 13), même si l’échographie peut parfois aider à le suspecter très fortement.
Ces instabilités postérieures peuvent être favorisées par des fractures proximales de la clavicule et/ou une hyperlaxité pathologique. Les luxations antérieures sont bien moins graves, se font vers le bas, et peuvent n’être que peu ou pas douloureuses (ou pendant les 3 premiers mois seulement).
Elles ne sont parfois diagnostiquées que du fait d’une tuméfaction, notamment chez les femmes après 45 ans. Elles peuvent être à l’origine d’une arthrose plus précoce, pouvant ne se manifester au début que sous la forme d’une condensation, à ne pas toujours rattacher qu’aux syndromes SAPHO. Des images faussement anormales, qui peuvent parfois être associées à une tuméfaction des sterno-claviculaires, méritent d’être connues. Il s’agit surtout d’un aspect « fourchu » de l’extrémité proximale de la clavicule, qui pourrait faire craindre une ostéonécrose de celle-ci. Cette dernière existe bien (et porte le nom de maladie de Friedrich) mais reste exceptionnelle en dehors du contexte des radiothérapies locales.
Cet aspect fourchu correspond à l’absence de développement d’un noyau d’ossification qui persiste toutefois un peu entre les deux « pinces » (figure 14). La présence d’ossicules surnuméraires peut aussi prêter à confusion avec, soit des calcifications d’hydroxyapatite, soit des avulsions partielles.
Pour en savoir plus
- Restrepo CS et al. Imaging appearances of the sternum and sternoclavicular joints. Radiographics 2009 ; 29 : 839-59.
- Robinson CM et al. Disorders of the sternoclavicular joint. J Bone Joint Surg Br 2008 ; 90 : 685-96.
- Ross JJ, Shamsuddin H. Sternoclavicular septic arthritis: review of 180 cases. Medicine (Baltimore) 2004 ; 83 : 139-48.
- Noble JS. Degenerative sternoclavicular arthritis and hyperostosis. Clin Sports Med 2003 ; 22 : 407-22, ix.
- Lemos MJ, Tolo ET. Complications of the treatment of the acromioclavicular and sternoclavicular joint injuries, including instability. Clin Sports Med 2003 ; 22 : 371-85
Source: Journal International de Médecine (17/10/2012) – Réservé aux abonnés.
Copyright © Len medical, Rhumatologie pratique, novembre 2012
Nous remercions le Journal International de Médecine (JIM) de nous avoir autorisé à reproduire cet article sur le Site de l’Ostéopathie.