De l’art d’aimer et de s’aimer soi-même

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Je viens de terminer le dernier livre du Dr Alain Cassourra, Erectus, les pérégrinations d’un homme en quête d’érection, chez Flammarion 2019.

Livre surprenant parce que l’auteur se met en scène ou plutôt met en scène sa difficulté à obtenir une érection et dévoile là ses « problèmes » sexuels et ses recherches pour arriver au plaisir.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, cette déferlante de sexe n’est pas le but du livre, juste le prétexte pour expliquer son malaise, sa sexualité difficile au point de ne plus avoir de pratique, et ses autres difficultés, même si on lit de temps en temps de vraies scènes érotiques qui vous traversent et vous laissent sans voix, tellement elles sont pleines de poésie.

Articulé sur trois parties, chacune faite de ses progrès, si l’on peut dire, pour obtenir satisfaction, physique d’abord, « Stimulator », puis tantrique à travers la méditation « Dhamma Mahi » pour découvrir in fine qu’il s’agit simplement d’aimer, « Anahata », mais de cet amour incommensurable, en premier de soi-même, si difficile à obtenir, qui permet de s’ouvrir au monde et aux autres dans un élan propre à cet amour comme le montre l’exemple de l’accolade (p.236-237) qu’Alain Cassoura pratique de temps en temps avec ses patient.e.s.

L’accolade

« Le toucher a une place particulière. Il est le passeur entre la matière, l’énergie, les émotions et la pensée, le catalyseur, le révélateur et le magicien. Quelle que soit l’interface de contact, le plus souvent la main, mais parfois juste la pulpe d’un doigt, ou à l’extrême tout le corps, cette rencontre à l’écoute de l’instant, dépourvue d’intention, se révèle un corps à corps thérapeutique ». Ici Cassoura parle de l’accolade – « Dans celui-ci [accolade], les frontières entre touchant et touché ne sont pas hermétiques. L’un devient l’autre et inversement, allées et venues du balancier entre transfert et contre-transfert. Pour le patient, il s’agit d’un nettoyage progressif, d’une douche et d’un essorage, par un bain de sentis et ressentis noveaux ou oubliés et redécouverts » (extrait, p.237).

Le soin

« Nous nous quittons comme nous nous sommes trouvés, sur un grand sourire, une complicité certaine, une bienveillante compréhension. Je pars grandi par cette rencontre, content d’avoir été son patient, content à l’idée de revenir et de l’être à nouveau. Ailleurs, nous sommes frères d’armes. Ses soins n’ont rien à voir avec les miens, mais ils reposent sur une démarche similaire : l’écoute, l’approche globale de l’être, un cœur ouvert, des mains porteuses de vie » (extrait, p.59-60).

Au sujet du soin en général et en ostéopathie en particulier

« Dans les congrès d’ostéopathes où j’ai été amené à intervenir, tout comme dans les cours que j’ai donnés, j’ai mesuré combien la notion de plaisir dans le soin se révèle tabou. Dans beaucoup d’esprits, il faut souffrir pour guérir et, en tout état de cause, il est hors de question de se réjouir. Il est acceptable qu’un thérapeute fasse mal, mais pas acceptable qu’il donne du bien-être. Je ne prêche pas pour la confusion des genres, un soin se doit de rester un soin, mais je regrette ce repli frileux et étriqué qi, pour rester intègre et sans ambiguïté, se révèle morbide, car la souffrance est du côté de la mort, là où la jouissance est du côté de la vie ». p.62 – à la suite : « Parler de sensualité dans le toucher thérapeutique réveille une hostilité certaine. Pourquoi donc ? Parce que le plaisir reste tabou, et que derrière la notion de sensualité, le plaisir rôde et la sexualité s’immisce. Pourtant, « la sensualité est l’attachement aux plaisirs des sens. Elle désigne aussi l’attribut, la qualité, l’acte, l’effet ou l’état de ce qui est sensuel. Ce dernier n’est pas obligatoirement lié à la sexualité ou à l’attirance sexuelle ». Dans cette définition, il est explicitement précisé sa non-assimilation d’ordre sexuel. Mais dans l’imaginaire et le fantasme, parler de la sensualité du toucher évoque la sexualité, et la rattacher à un soin dérange, bouscule le cadre, fait craindre l’abus. Nous avons peur, parfois à juste raison, mais souvent pour le pire. Nous avons peur de nous réjouir, peur d’accueillir la vie en nous ! » (extrait, p.62-63).

« Que la connaissance de soi passe par la redécouverte de son propre corps et par l’abolition de tabous encore vivaces, trimbalés, entretenus malgré les apparences, au fil du temps, dans le non-dit collectif d’une société qui peut paraître désinhibée mais au fond ne l’est guère. Chacun, homme ou femme, devrait être invité pour mieux se connaître, se respecter, s’aimer, à toucher son corps et l’aimer. La réjouissance est contagieuse » (extrait, p.85).

et du patient :

« Les patients sont un baromètre de ce que nous sommes, ils se livrent à mesure de ce qu’ils perçoivent de nous » (extrait, p.98).

J’ai lu ce livre comme on lit un roman policier, avec curiosité et rapidement avec passion, remettant toute autre activité au lendemain, découvrant de-ci delà de vraies perles (pp.59-60, 62-63, 85, 98, etc.), d’une poésie rare, admiratif des description faites, comme la page de couverture du Tao de l’art d’aimer, pris au jeu de ses découvertes de soins autres et de ses rencontres qui parfois vous coupent le souffle.

Tao de l’art d’aimer

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« D’emblée, je fus ému par la première de couverture, raffinée dans les tons jaune-orangé parsemé de vert. J’y voyais un peu de mousse, un arbre taillé à l’esthétique travaillée, incliné, noué, étalé, tortueux et éternellement en paix, une allée de sable bordée d’une palissade miniature, ajourée au ras du sol. J’y notais un banc surmonté d’un vase Chinois et de quelques fleurs blanches clairsemées, fragiles, ouvertes vers le ciel comme autant d’oiseaux. Au sol, une natte était déroulée, avec à son extrémité gauche les pans d’un tissu bleu nuit, enroulés autour d’un oreiller carré, dense, dur. Et au centre de ce jardin, un couple à la peau pâle s’alanguissait, les cheveux enroulés dans des coiffures traditionnelles dont un chignon avec baguettes. Ils étaient enlacés à demi nus, à demi recouverts de tissus, à demi assis. La peau laiteuse de la femme alanguie frémissait sur celle plus mate de l’homme. Leurs jambes étaient écartées, tendrement entremêlées, les joues étaient contre joues, et les deux amants tournaient leur regard vers un dessin tenu par l’homme évocateur d’une posture, d’un pieu de jade pénétrant un mont de Vénus »(extrait, p. 79)

Je n’avais pas terminé le deuxième chapitre que j’avais compris le sens de ses expériences à la fois réelles et imaginaires, le sens de sa quête vers lui-même et vers son Être intérieur, à travers toutes les expériences de la vie, ses souvenirs d’enfance, sa maturation psychologique (voire psychanalytique) au fil de ses découvertes, le tout relié à son corps, au toucher, avec cette envie pressante, indispensable et essentielle pour tous ceux qui soignent avec leur mains, de trouver le lien entre ses propres failles et de découvrir au fur et à mesure des chapitres qu’il s’agit bien de réunir ici Corps, Âme, Esprit et Spiritualité.

Boudha
Boudha
Musée des arts asiatiques – Nice

L’éveil

« L’éveil n’était donc pas un vaisseau insubmersible, celui de la connaissance de soi, qui nous fait quitter la rive de l’inconscience, de l’illusion, des mesquineries, traverser les flots tumultueux des passions et nous dépose sur l’autre rive, l’opposée, celle de la plénitude et de la paix intérieure. Il n’y aurait donc point de frontières entre les deux berges : « Je ne suis rien, je ne sais rien, je ne peux rien. » Il me fallait admettre que la méditation passait par l’acceptation du meilleur comme du pire, en soi et hors de soi. Mon patient brûlait sa vie des frasques de l’amour, et l’apaisait de la pluie divine des mille pétales du lotus suprême, Sahasrara (le septième chakra, situé au sommet du crâne) » (extrait, p.127).

Si le fil conducteur tout au long du livre reste, comme il le dit lui-même, sa bite, ce livre décrit tout autre chose, une découverte de sa famille, des arrières grands-parents paternels, pour comprendre sa lignée, une découverte de la sensualité, qui peut aller jusqu’à l’érotisme et la sexualité, mais qui est le plus souvent oubliée, cachée alors qu’elle est l’essence même du ressenti, et une découverte du vrai amour, en premier par la rencontre « sur les quais de la Seine, face à Notre-Dame » (p.258) avec sa Vénus, ce qui nous vaut plusieurs scènes d’un érotisme poétique à vous couper le souffle. Et par les cadeaux que la Vie fait à l’auteur dans ses autres rencontres, dans les soins qu’il offre à ses patients, dans ses visions qui semblent si extravagantes, mais qui, pour ceux qui en ont fait l’expérience, sont tout à fait authentiques et justes.

Dire que j’ai aimé ce livre, c’est peu dire. Je l’ai adoré ! Merci Alain Cassoura de ce partage, de ce que tu montres de la Vie, de celle qui nous nourrit, nous transforme et nous amène à la plénitude.


Je voudrai remercier particulièrement Alain Cassourra de m’avoir autorisé à publier ces larges extraits.

 

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