C36 – Le corps comme un millefeuille

I l ne s’agit pas d’une recette de pâtisserie dont les rares qui n’ont déjà vu derrière les fourneaux me savent bien incapable….

Il s’agit d’un point de vue sur le corps et notamment en se plaçant dans le concept fascial.
Pour beaucoup peut-être, exceptés ceux qui pratiquent uniquement avec cette référence, le fascia est souvent associé à un déroulement de fascia, au paufinement d’une libération… mais il faut se rappeler qu’il en est tout autrement : le fascia est un tout qui constitue et sépare toutes les parties du corps.

On peut prendre l’image d’une nappe qu’on laisse tomber sur une table avec la vaisselle déjà dressée. La nappe est un tout dont les replis séparent les pièces de vaisselle.

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Dans le cas du fascia, les différentes pièces ou organes se différencient de l’intérieur et ne sont pas préexistantes comme dans l’exemple simpliste de la nappe.
Ce petit préambule afin de garder à l’esprit que les techniques décrites dans la suite de l’article sont des techniques fasciales : le point d’appui est le fascia et non pas comme on pourrait le penser des techniques plus ou moins articulaires.

Le fascia fait le lien… comme toujours !!!!

Mais ici il faudra garder à l’esprit la notion de continuité tissulaire dans l’intention malgré nos attentions diverses.

Le cas clinique qui nous intéresse est ce que j’appelle certainement en abus de langage le «Faux Wobbler».
Je ne l’ai pour ma part trouvé que chez les chevaux aussi bien chez l’adulte sous forme de dysfonction primaire ou chez le poulain en croissance; exemple qui nous servira de modèle. Ce nom de «faux wobbler» est dû au fait que la restriction majeure de mobilité se situe au niveau de C4-C5. Selon mon expérience on trouve ce type de disparité en race Pur Sang Anglais sur des individus de 7-8 mois environ.

J’ai constaté chez certains, sans que le modèle de l’individu semble rentrer en ligne de compte, une très forte rigidité au niveau cervical associée ou non à une légère ataxie mais dans tous les cas accompagnée par une tendance gracile de l’encolure. Au moment de la survenue de ce phénomène, les chevaux présentent une baisse d’état significative tant du point de vue quantitatif (poids) que qualitatif (poil, gaité…). Il est à noter que, le plus souvent, cette baisse d’état est attribuée, à tort à mon sens, à la présence de parasites.

Pour ma part, je crois que la fatigue occasionnée par cette restriction de mobilité est la responsable de cette fonte. En effet, comme nous allons le détailler plus loin, ce faux wobbler amène les chevaux à tenir en quasi permanence leur tête avec l’aide des muscles de l’encolure alors que le rôle de soutien automatique devrait être dévolu au ligament nuchal. On pourra se rappeler des banderilles plantées sur le ligament nuchal du taureau de corrida, permettant de mettre en valeur l’homme dans l’arène… mais ne l’oublions pas aussi de meurtrir le ligament nuchal et ainsi obliger le taureau à des efforts plus importants pour tenir sa tête lors du combat !!!.

Avec des moyens plus importants, il pourrait être intéressant de suivre le fibrinogène et les CPK de tels individus, cela pourrait peut être nous permettre de sortir de nos pensées ostéopathiques oniriques afin de nous rapprocher de nos confrères «scientifiques».

Laissons les informations venir sans les organiser a priori et peut-être serons-nous capables de mettre en place de nouveaux paradigmes.

Mais revenons à notre sujet : donc ces poulains présentent une restriction importante de mobilité au niveau cervical qui est quasi toujours sur le même modèle: il s’agit d’une latéroflexion gauche de C4 sur C5. On a donc les facettes articulaires gauches de C4C5 qui se rapprochent et inversement à droite. Cela crée une concavité gauche de l’encolure au niveau des massifs osseux . Parallèlement, le ligament nuchal effectue une sinusoïde compensatrice. En fait, c’est cette sinusoïde compensatrice que j’ai pu constater sur un poney (regardant pour une fois les choses du dessus) qui m’a amené au modèle que je vous décris. On peut facilement se rendre compte en réalisant sur soi le modèle, la fatigue occasionnée par une telle position imposée.

Cette LF gauche de C4 sur C5 est associée à une compensation sur le diagonal G : l’antérieur gauche « recule « et le postérieur droit « monte». Une analyse fine de toute autre partie charnière ou non comme C0 donne des restrictions associées. La raison qui me fait penser que la zone cervicale est prépondérante tient en deux faits :
– d’une part la densité y est incomparable à celles rencontrées aux autres endroits…
– et le caractère empirique, une fois de plus, qui par la loi des essais-échecs m’a conforté dans cette intuition.

Cette restriction localisée globalement, de quoi s’agit-il ?

Je pense que l’hypothèse d’une disparité de développement des différents tissus peut être incriminée. En effet tout semble fonctionner comme si les vitesses de développement des différents tissus de l’encolure n’étaient plus les mêmes avec en fin de compte un « décalage tissulaire». L’absence d’harmonie ici naît non d’un mouvement inadapté comme on peut le rencontrer chez l’adulte, mais s’appuie sur la particularité de ces individus : ils sont en croissance. Peu de recherches ont été produites à ma connaissance autour des vitesses de développement tissulaire, mais on prend vite conscience en le formulant que l’équilibre de ces moments de croissance est précaire.

Dans les nombreux cas que j’ai pu rencontrer le trauma n’était pas avéré et fort peu probable. Reste donc le caractère de sollicitation à prendre en compte.

Je ne vois que deux sollicitations majeures à cet âge : l’activité et la nutrition.
En nous arrêtant sur le second aspect, il faut prendre conscience que l’utilisation actuelle des races majeures de chevaux amène à une modification énorme de leur environnement naturel et de leur type de nutrition et donc de digestion. En effet, un cheval en liberté se déplace et mange pendant 17 à 18 heures par jour… no comment !
La sélection génétique fondée sur des critères de précocité chez le PSA entraîne là aussi des modifications dans la qualité et la quantité de nourriture….
Ne force-t-on pas le moteur comme le pense Patrick CHÊNE ?
L’expérience que j’ai pu constituer est que de toute façon, à l’opposé de ce qu’on pourrait penser, il faut accepter de laisser ces individus un peu « fit» et ne surtout pas les supplémenter intensivement en minéraux.
Concernant l’activité, même si cela est en apparente opposition avec ce qui précède, je conseille toujours de fortement réduire les sorties des poulains dans ce cas. L’opposition apparente naît du fait que l’individu est déjà en compensation dans ce cas… certainement qu’une alimentation «ancestrale» en pâturage n’aurait pas entrainé ce problème, mais s’il est là, il faut le régler.

Pour en revenir aux tissus, ils sont en décalage, mais ce décalage spatial, si on en croit ce qui précède, est dû en fait à un décalage temporel : ils ne se sont pas développés à la même vitesse… La compensation grandit jusqu’à devenir douloureuse… Et les premiers signes apparaissent.

Encore une fois, cette tension ne naît pas, à mon sens, d’une traction interne au niveau du canal médullaire comme dans le Wobbler, mais d’un déphasage des plis fasciaux, comme un millefeuille dont les différents plans auraient glissé les uns par rapport aux autres. C’est pourquoi il est à mon sens fondamental de situer son intention au niveau de l’harmonie fasciale, les différents éléments rencontrés n’étant que des différenciations de ce dernier.
Le livre à lire est donc le fascia.

Manipulation:
– On se place à gauche en regardant l’avant du poulain
– On prend contact avec le cheval en réalisant un pli de peau au dessus du massif vertébral en C4 C5 avec la main droite. Une grande partie du travail se situe dans la réalisation de ce pli de peau. En fait il faut amorcer un pli de peau au niveau qui le permet (zone de plus grande profondeur de la concavité cervicale) permettant au poing de devenir le point d’appui de l’enroulement du cheval autour de votre main.
On peut ici retrouver cette pensée chère aux acupuncteurs que l’aiguille ne rentre pas dans les tissus mais qu’au contraire ils s’écartent pour la laisser pénétrer. Ici le corps du cheval s’enroule autour de votre poing. La plus grande difficulté est de transformer une prise de judo en danse. Pour ce faire, il faut écouter et suivre la vitesse du cheval en offrant le minimum de force et donc de contrainte. On peut s’aider en gardant à l’esprit cette notion d’enroulement. Peut être constaterez vous aussi comme ça peut m’arriver que la manœuvre nécessite des aménagements : déplacement… Il faut toujours suivre dans la mesure du possible!
Lorsqu’on effectue cette manœuvre, on fait du fonctionnel de structure, cette structure étant le fascia.
Ainsi, si on revient sur la forte densité en C4 C5, le fait de mobiliser ainsi l’encolure est le seul moyen structurel que j’aie trouvé permettant la réharmonisation cervicale sans douleur. Attention cela ne veut pas dire que tout se passe comme dans un rêve.
Cette manipulation menée sur un poulain atteint de faux wobbler est extrêmement puissante… allant jusqu’à déséquilibrer complètement le cheval !
– Pour ma part, le signe majeur de réharmonisation est celui de la libération de la peau du pli de peau : en effet, au début du mouvement, on sent le poing utilisé comme pleinement solidaire du corps, on a l’impression que tous les tissus sont collés. En fin de mouvement, la peau retrouve son autonomie, on a l’impression qu’on peut la décoller à nouveau. Dans ce cas, l’enroulement est pour moi terminé.
– Très souvent une réaction locale du système nerveux autonome se produit avec sudation et fort dégagement de chaleur… le massif cervical retrouve instantanément une partie de sa plasticité…
La vie retrouve son expression harmonieuse.
– On finit le travail par la libération habituelle des zones en compensation.

En conclusion, je crois qu’il faut rappeler que si ce «Faux Wobbler» arrive durant la croissance, nombreux sont les chevaux d’âge qui, tournant toujours autour des mêmes problèmes seraient fortement aidés dans leur homéostasie si d’aventure on se risquait à chercher cette densité chez eux. Bien évidemment des années de compensation masquent un peu le tableau. Par ailleurs je ne saurais trop vous adjoindre à la plus grande douceur dans cette manipulation qui est redoutable et à prendre garde à bien rétablir l’équilibre de tous les systèmes (musculaire, énergétique…) lorsque vous effectuez cette manœuvre chez un cheval d’âge chez qui les adaptations secondaires peuvent être nombreuses en fonction de sa souplesse de base.


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